Des femmes témoignent - L'Infirmière Magazine n° 214 du 01/03/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 214 du 01/03/2006

 

trafic d'êtres humains

Reportage

Attirées par de belles promesses, des centaines de jeunes femmes pauvres, originaires d'Ukraine, aspirant à une vie meilleure, sont acheminées en Europe. Battues, violées, sans cesse en danger, elles vivent au quotidien le cauchemar de la prostitution.

En Ukraine, avec l'aide d'associations, j'ai pu entrer en contact avec certaines de ces femmes si visibles dans nos villes et qui ont échappé à l'enfer de la prostitution(1).

Parmi les femmes victimes de trafic, rares sont celles qui s'en sortent. Celles qui réussissent se heurtent à la maladie, à la terreur d'être retrouvées par leurs trafiquants. Elles doivent affronter les maladies sexuelles, la honte des proches, le scandale. Elles ont fui avec l'aide d'associations italiennes, grecques, allemandes, lithuaniennes, ukrainiennes et russes. ONG et acteurs sociaux occupent le vide laissé par les pouvoirs politiques.

Proies faciles

Ces femmes sont approchées dans leur pays d'origine par une connaissance ou par une personne inconnue, souvent une femme, qui va parvenir à gagner leur confiance. Il y a aussi les petites annonces alléchantes qui promettent des emplois à l'étranger. Le chômage, la pauvreté, les logements insalubres, la naïveté et l'espoir de gagner de l'argent dans des pays riches font le reste.

Mutilées, tabassées

Des centaines de jeunes femmes originaires des pays de l'ancien bloc soviétique sont acheminées vers des pays d'Europe.

Les premières filles de l'Est sont arrivées en 1996. La première vague était constituée de mères de famille. Depuis trois ans, ce sont de jeunes femmes, souvent mineures. Beaucoup passent par des bordels en Turquie ou en Hongrie avant d'arriver en France.

Les victimes voyagent avec des visas touristiques en bus, en train ou en avion. Leur passeport est confisqué par les trafiquants dès la frontière. Elles sont ensuite vendues, violées, puis prostituées dans la rue, les bordels, des camionnettes... Elles changent de ville, voire de pays, selon le bon vouloir de leurs proxénètes. Les rebelles sont mutilées, tabassées ou tuées devant leurs compagnes d'infortune. Nous les croisons sur les boulevards de nos métropoles.

Loi dangereuse

La loi de sécurité intérieure, conçue pour rassurer les riverains, punit de 3 750 Euro(s) d'amende et de deux mois de prison le racolage. Elle a pour effet de condamner les prostituées à la clandestinité et d'accroître la pression des réseaux. La situation administrative de ces femmes (faux papiers, visas touristiques...) les fragilise. Cette loi anéantit le travail de prévention des associations (information sur les risques sanitaires, distribution de préservatifs...) Car les victimes de trafic se prostituent dans des conditions d'hygiène déplorables. Se soucier de leur santé, c'est aussi les encourager à songer à l'avenir. Pour la police, elles restent des clandestines, régulièrement contrôlées, emmenées en centre de rétention, puis reconduites à la frontière... mais le réseau veille, et elles reviennent très vite avec un nouveau visa.

La police préfère croire à une prostitution volontaire. Les associations s'efforcent de sortir les victimes des centres de rétention, gérer les demandes d'asiles, trouver un hébergement aux plus exposées... Les acteurs sociaux tels que l'ALC(2) à Nice manquent cruellement de moyens, l'État s'étant largement déchargé de sa mission de réinsertion. Les associations demandent l'arrêt des expulsions, la délivrance d'un titre de séjour pour toute personne s'engageant à sortir de la prostitution, l'hébergement dans des structures sécurisées et une formation professionnelle. Sans assistance aux victimes, il est vain de lutter contre le trafic d'êtres humains.

Depuis cette loi, les femmes se cachent ou travaillent par téléphone ou Internet et il est plus difficile pour les associations d'entrer en contact avec elles. La situation est devenue paradoxale : d'un côté, on finance les associations, et de l'autre, on les empêche de rencontrer les prostituées. Le pire pour les acteurs sociaux est de perdre leur trace...

Trafic mondial

Aujourd'hui, les Albanaises, Roumaines, Ukrainiennes, sont majoritaires. Derrière ces prostituées échouées en France se cachent de gigantesques organisations criminelles. La traite des êtres humains ne connaît pas de frontières. Paris, Nice ne sont que des étapes sur la route de la servitude. Ce trafic mondial dégage d'énormes profits.

Peu de femmes s'en sortent. Ces femmes ukrainiennes qui ont eu le courage de raconter leur histoire méritent que l'on s'interroge. Vendre son corps n'est jamais un acte librement consenti ! La terreur pouvait se lire sur le visage de Tania que j'ai rencontrée à Nice et qui voulait s'en sortir. Les associations continuent de lutter contre ce fléau, mais seule une réelle volonté politique pourrait changer le cours des choses.

1- Merci à Olga, Uba, Tania, M. Vilany, Lena, Natalia et sa mère qui ont accepté d'être photographiés.

2- ALC : Accompagnement, lieu d'accueil, carrefour éducatif et social.