L'observance, clef du succès thérapeutique - L'Infirmière Magazine n° 214 du 01/03/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 214 du 01/03/2006

 

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Horizons

Malgré des évolutions récentes, les traitements du VIH demeurent contraignants. L'éducation thérapeutique est capitale. Découverte de deux consultations d'observance mises en place dans les Antilles françaises, à Fort-de-France et à Saint-Martin.

Les consultations d'observance de Fort-de-France et de Saint-Martin ont été mises en place au courant de l'année 2002. En Martinique, le constat était clair : « Les patients étaient mal préparés à la prise d'un traitement, explique Véronique Beaujolais, cadre infirmier. En outre, les différents acteurs de la prise en charge manquaient de coordination, chacun ne voyait qu'un aspect du patient : l'un ses difficultés d'observance, l'autre ses problèmes d'hébergement, le troisième ses troubles psychologiques... » Cette situation se traduisait par de nombreux malades perdus de vue et des échecs thérapeutiques en cascade. À Saint-Martin, le tableau était assombri par le départ annoncé du médecin infectiologue, dont on craignait qu'il n'entraîne une rupture du lien établi avec les patients.

habitudes de vie

Les deux équipes ont donc décidé de faire appel à « Comment dire », structure de formation qui avait déjà travaillé avec le CHU de Nice. Dans les deux cas, ce sont des infirmières qui ont bénéficié de la formation fondée sur la relation d'aide, les techniques d'entretien, le counselling, la méthodologie de la consultation. Aucune n'exercera à plein temps cette mission. Véronique Beaujolais partage le mi-temps dévolu à la consultation d'observance avec une collègue. Quant à Brigitte Ledoux, infirmière à l'hôpital de Saint-Martin, elle alterne trois semaines en consultation puis une dans le service. Une autre infirmière la relaie la quatrième semaine.

La consultation d'observance vise à rechercher les éventuels obstacles à la prise régulière et contraignante d'un traitement, plusieurs fois par jour. « On questionne le patient sur ses habitudes de vie afin de voir si elles sont compatibles avec la prise d'un traitement », explique Brigitte Ledoux. Beaucoup des séropositifs suivis à l'hôpital vivent dans des conditions de précarité telles qu'ils ne mangent pas régulièrement. « C'est lors de cette consultation que nous nous sommes aperçus qu'un patient n'avait même pas de réfrigérateur pour entreposer ses gélules », observe Véronique Beaujolais. D'autres travaillent ou vivent dans la promiscuité et ne veulent pas prendre leurs médicaments devant leur entourage, qui ignore leur séropositivité.

schéma thérapeutique

Ces deux types de consultation ont leurs spécificités. À Fort-de-France, on reçoit les patients pour la première fois sous traitement ou présentant une interruption thérapeutique. Un schéma thérapeutique est décidé en staff, en présence de l'assistante sociale et du psychologue. Suivent trois entretiens avec l'infirmière de la consultation d'observance. Le premier permet de revenir sur la prévention, la pathologie et de faire le point sur l'état d'esprit du patient, les raisons d'un échec thérapeutique. « La durée des entretiens varient de trente minutes à deux heures », note Véronique Beaujolais.

À Saint-Martin, tous les patients sont adressés à la consultation d'observance (même ceux pour qui le traitement n'est pas d'actualité où l'entretien tournera davantage autour de la pathologie, de son évolution, de la prévention...), le contenu de cette première séance est assez proche de celle pratiquée à Fort-de-France. « On leur montre les médicaments, on explique les effets secondaires, les bilans qu'il faudra régulièrement réaliser et on leur demande de réfléchir à la manière d'inclure ce traitement dans leur mode de vie. » Un schéma thérapeutique alternatif est proposé ; il permet des prises soit matin et soir, soit une seule fois par jour. Mais ici, pas de simulation, comme cela se pratique à la consultation d'observance de Pointe-à-Pitre (cf. encadré).

« Au départ, on a essayé avec des bonbons, car nous n'avions pas la possibilité de confectionner de fausses pilules, remarque Brigitte Ledoux. Cela ne convenait pas, cela infantilisait les patients. » Dans les deux cas, à l'issue de la réflexion ou de la simulation, le patient est revu, environ une semaine plus tard. « Quand on sent que la personne est partie prenante, on lui donne l'ordonnance », explique Brigitte. Dans les cinq jours, un autre rendez-vous est fixé. Le patient amène ses médicaments pour que le protocole soit réexpliqué. Puis, d'autres rendez-vous sont donnés, deux à une semaine d'intervalle, un troisième quinze jours après. À Fort-de-France, le protocole de base comprend au moins trois rendez-vous.

répéter jusqu'au déclic

« On explique, on réexplique, on répond aux questions, résume Brigitte Ledoux. Et il faut persévérer, continuer à répéter même quand ça ne marche plus, jusqu'à ce que le déclic se produise. » Elle se souvient d'un patient qui a cumulé jusqu'à 34 consultations avant que sa situation ne se règle ! C'est lorsque sa femme est tombée enceinte et qu'un nouveau traitement lui a été proposé, que la compliance s'est instaurée. « Je peux les voir hors protocoles, quand ils ont besoin de parler », note aussi Véronique Beaujolais. Car la consultation d'observance, c'est beaucoup d'écoute et un véritable travail sur la relation avec le patient. « Ils ont tellement à dire. Avec cette consultation, on les prend en charge dans leur globalité ! », poursuit-elle.

Un travail avec le patient mais aussi un travail en réseau, selon Brigitte Ledoux. Car le service d'hospitalisation, où les infirmières de la consultation se déplacent, le centre de dépistage anonyme et gratuit mais aussi la pharmacie, et même des infirmières libérales sont impliqués. En effet, les infirmières de la consultation d'observance de Saint-Martin forment aussi leurs consoeurs libérales au suivi à domicile de type Dot(1). « Quand on n'est pas sûre que la personne fera appel à nous en cas de difficulté, précise Brigitte Ledoux, on lui propose une infirmière libérale à domicile. Elle passe à l'heure de la prise médicamenteuse et peut identifier certaines difficultés en voyant le patient évoluer dans son milieu. »

de bonnes statistiques

Et les résultats sont au rendez-vous. « Maintenant, dès le premier bilan, leur charge virale chute de façon fabuleuse », souligne Brigitte Ledoux. Les renouvellements d'ordonnance sont plus fréquents. Quant à la consultation de Fort-de-France, Véronique Beaujolais assure que le service n'a plus à rougir de ses statistiques en matière d'échec thérapeutique, désormais « proches de la moyenne nationale ».

1- Dot : directly observed therapy.

contact

- Centre hospitalier L.-C. Fleming, service de médecine, unité CISIH, BP 381, 97054 Saint-Martin cedex.

Tél. : 05 90 52 26 18.

- CISIH Fort-de-France, hôpital La Meynard, 97261 Fort-de-France cedex. Tél. : 05 96 55 23 02 (V. Beaujolais).

- Comment dire

Mél : commentdire@compuserve.com.

Internet : http://www.commentdire.fr.

zoom

Simuler avant de traiter

La simulation est un procédé propre à la consultation d'observance de Fort-de France. Elle est proposée à tous les patients avant leur premier traitement. « Notre pharmacien élabore des gélules à base de poudre de maïs, qu'il faut prendre selon la même posologie que le vrai traitement », note Véronique Beaujolais. Les faux médicaments présentent la même couleur que ceux prescrits en réalité. Les indications de conservation au réfrigérateur, à l'abri de la lumière doivent également être respectées, ainsi que les modalités de prise (au cours des repas, avec un verre d'eau, etc.). « Dans les huit jours qui suivent, on se revoit pour évaluer ensemble les difficultés rencontrées par le patient », poursuit l'infirmière. Cette semaine d'essai permet ainsi de dédramatiser la situation. « La simulation déjoue en elle-même beaucoup d'anxiété et réduit le stress du patient », précise Catherine Tourette-Turgis, de la structure « Comment dire », à l'origine du protocole mis en place à Fort-de-France. Le malade peut calmement trouver le meilleur endroit pour entreposer son traitement, le prendre, se tromper dans les prises sans conséquences. Quant au soignant, il peut distinguer les obstacles à la mise en place d'une routine sans les mettre sur le compte d'effets secondaires, parfois importants, liés au vrai traitement. « Les patients acceptent facilement la simulation, poursuit Véronique Beaujolais. Je l'ai même faite avec un patient médecin. Il trouvait cela intéressant et nécessaire. »