« Ne minimisons pas le problème ! » - L'Infirmière Magazine n° 214 du 01/03/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 214 du 01/03/2006

 

Enfants précoces

Questions à

Sylvie Tordjman a monté un centre destiné aux enfants surdoués en difficulté. Elle souhaite « faire de la différence une source d'épanouissement et non de rejet et d'isolement ».

Qu'appelle-t-on précocité intellectuelle ?

On qualifie de surdouée ou de précoce une personne qui présente des facilités intellectuelles supérieures à la norme. Les enfants intellectuellement précoces sont souvent excellents dans un domaine, mais paradoxalement, rencontrent des difficultés scolaires. Ils présentent régulièrement des troubles du comportement (hyperactivité, troubles obsessionnels ou Toc, agressivité, isolement social ou dépression). Ne minimisons pas le problème posé par les enfants surdoués en difficulté, en méconnaissant sa fréquence ou en considérant que ces enfants « trop intelligents » n'ont pas besoin d'aide ! En France, on dénombre 200 000 enfants précoces, dont un tiers en échec scolaire. Rappelons que tous les enfants en échec scolaire ou présentant des troubles du comportement ne sont pas des surdoués, et les enfants surdoués ne sont pas tous en difficulté.

Qu'est-ce que cette unité pour surdoués en difficulté ?

Cette USD(1) est intégrée au centre hospitalier Guillaume-Régnier de Rennes. Nous évaluons d'abord le fonctionnement cognitif et socio-affectif de l'enfant. Puis, nous proposons à la famille une prise en charge thérapeutique. En parallèle, nous créons des partenariats avec les acteurs impliqués dans la prise en charge de ces enfants. Actuellement, nous développons, par exemple, un réseau de correspondants sur la France entière, pour diriger les enfants venant d'autres départements. C'est un énorme boulot ! Enfin, nous proposons des formations aux équipes pédagogiques en respectant leur spécificité. Elles s'adressent aux professionnels de la santé de l'enfant, comme les orthophonistes et les pédopsychiatres, et aussi aux professionnels de l'éducation comme les infirmières scolaires et les enseignants. Plusieurs écoles nous ont déjà contactés pour être informées, voire formées.

Comment est composée l'équipe ?

Je dirige ce centre, aidée d'une équipe formée spécifiquement par des professionnels de Yale et des Pays-Bas. Il y a deux pédopsychiatres, deux psychologues, un médecin généraliste et une secrétaire.

Comment se passe concrètement la prise en charge de l'enfant ?

Un premier entretien d'une demi-heure se fait au téléphone avec notre secrétaire. Le premier rendez-vous nous permet de comprendre les difficultés de l'enfant. Suivront trois bilans d'évaluation de deux heures, au cours desquels seront testés le QI, l'aspect émotionnel et la créativité. Nous réalisons ensuite une synthèse avec toute l'équipe et proposons une prise en charge thérapeutique de l'enfant. Sans oublier de favoriser le lien entre parents et équipes pédagogiques. Nous suivons les enfants de la région de Rennes et dirigeons les autres vers des correspondants de leur région.

Comment est née l'idée de ce centre ?

J'ai travaillé pendant douze ans en CMP avec des jeunes qui présentaient des troubles du comportement et étaient en échec scolaire. Régulièrement, il s'agissait d'enfants surdoués. Que l'on dépistait par hasard. Quel gâchis ! L'idée a germé ainsi : dépister les enfants surdoués avant qu'ils ne soient en échec scolaire. Et leur proposer un suivi thérapeutique adapté.

Vous poursuivez vos recherches sur la précocité. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je travaille sur le lien entre précocité et hyperactivité. Les enfants ont-ils un déficit attentionnel à l'école parce qu'ils s'ennuient ou sont-ils en permanence hyperactifs ? Ma seconde réflexion tourne autour de leurs difficultés socio-affectives. Rencontrent-ils des difficultés sociales parce qu'ils sont perçus de manière différente ? Ou alors avaient-ils à la base des difficultés avec leur environnement, entraînant un retrait social qu'ils ont « remplacé » en « hyper-investissant » un domaine intellectuel ? Il demeure tant à découvrir sur la précocité !

1- USD - tél. : 02 99 32 91 75.

Sylvie Tordjman Professeur en pédopsychiatrie au CHU de Rennes.

Chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent du CHU de Rennes depuis 2004, Sylvie Tordjman(1) a passé dix ans en service de pédopsychiatrie à l'hôpital Bicêtre à Paris. Elle concilie depuis toujours une approche clinique et un travail de recherche sur le développement de l'enfant. Elle a passé un an et demi au Yale

Child Study Center, centre de référence pour l'enfant aux États-Unis. En 2006, elle crée la première Unité pour surdoués en difficulté en France (USD).

1- S. Tordjman et coll., Enfants surdoués en difficulté : de l'identification à une prise en charge adaptée, Presses universitaires de Rennes, 2005.