Vol au-dessus de l'Amazonie - L'Infirmière Magazine n° 214 du 01/03/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 214 du 01/03/2006

 

Le Smur 973 de Guyane française

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Créé il y a tout juste vingt ans, le Smur de Guyane française couvre tout le département. Il est notamment réputé pour ses interventions héliportées dans les communes isolées, au coeur de la forêt.

Dans les locaux du Smur, au sein du centre hospitalier Andrée-Rosemon de Cayenne (voir article, p. 34), le Dr Cédric Belleville, médecin régulateur, de garde ce jour-là, s'apprête à diligenter une équipe. Il s'agit d'organiser le transport d'un patient destiné à être rapatrié depuis Grand Santi, une commune reculée du département, frontalière avec le Surinam. Alors que la mission s'organise dans la salle de régulation, la permanencière auxiliaire de régulation médicale reçoit un appel du centre de santé de Saint-Georges de l'Oyapock, commune située à l'opposé du département, très proche du Brésil. Détresse cardiaque.

un dauphin pour le samu

Dans la salle de réarmement, la batterie de matériel nécessaire à cette intervention est sortie en attendant d'embarquer à bord de l'hélicoptère. Un Dauphin 365 N est affecté au Samu. Un second vient en remplacement du premier, lorsque celui-ci est indisponible, ou exceptionnellement, en renfort du premier. « C'est le seul Samu des Tom et Dom à bénéficier d'un tel service », confie l'un des pilotes, Yves Pertin, également directeur régional d'Hélicoptère de France. Sur la DZ, il embarque l'équipe avant de prendre la direction de l'aéroport de Rochambeau Cayenne pour effectuer le plein de carburant. Moment délicat pour ce pilote très expérimenté, le décollage - comme l'atterrissage - se fait à la verticale ! Il faut une vingtaine de minutes pour rejoindre le centre de santé de Saint-Georges de l'Oyapock, contre plusieurs heures par la route. Dans le centre de santé, le patient entouré par l'équipe médicale attend l'équipe d'urgence qui doit le rapatrier sur Cayenne.

sites isolés

Le Smur de Guyane intervient sur l'intégralité de ce Dom de 84 000 m2, couvert à 90 % par la forêt équatoriale et frontalier avec le Brésil et le Surinam. Le Smur routier, régulé par le centre 15 de Cayenne, est présent à Cayenne, Kourou et Saint-Laurent du Maroni, les grandes agglomérations du littoral où vit 80 % de la population guyanaise. Arrêts cardiaques, infarctus, diabète, accidents de la circulation, etc. Le Smur remplit les missions classiques. Les théâtres d'intervention le sont moins.

« La spécificité du Smur de Guyane, ce sont les interventions héliportées sur tous ces sites extrêmement isolés du département », souligne François Galeran, infirmier présent en Guyane depuis dix ans. Après avoir obtenu son DE en 1994, François a travaillé une année en intérim à Bordeaux, « avant d'arriver par hasard en Guyane », fait-il remarquer. À Cayenne, il a exercé dans différents services : en hémodialyse, aux urgences, puis au Samu depuis trois ans.

« Nous sommes l'un des départements les plus touchés avec un nombre d'accidents très élevé par rapport au nombre d'habitants, précise le Dr Cédric Belleville. Médecin généraliste, il a également une spécialité de médecine d'urgence assortie à une capacité de médecine de catastrophe. Nous avons beaucoup de traumatologie routière », poursuit-il. Autre phénomène responsable d'accidents graves, les activités en forêt. « Les traumatismes sont surtout liés aux activités liées à l'orpaillage, à l'exploitation de la forêt, entraînant la chute d'arbres, des accidents avec des engins de chantiers, quads, tronçonneuses... », explique Cédric Belleville.

on tire sur l'hélico !

« Nous avons aussi beaucoup de tentatives de suicide et d'accidents domestiques », indique François Galeran. La Guyane a une démographie galopante, avec une population jeune. « On dénombre aussi pas mal de grossesses à problèmes avec des femmes qui ne sont pas suivies et accouchent à domicile », poursuit-il. Avec des frontières perméables, un grand nombre de clandestins pénètrent dans ce département pour venir prospecter de l'or en toute illégalité. Un univers violent soumis à la loi du plus fort où les traumatismes par armes à feu et armes blanches sont directement imputables aux règlements de compte dans les milieux de l'orpaillage. Si, jadis, le Smur se rendait dans ces zones de non-droit pour porter assistance, aujourd'hui, ces interventions n'ont plus lieu. « Pour des raisons de sécurité, nous n'intervenons plus sur les sites d'orpaillage clandestins, assure François Galeran. Les blessés doivent rejoindre un centre de santé par leur propre moyen. » Il y a quelques années, un coup de feu a été tiré en direction de l'hélicoptère.

relayés par l'armée

Lorsque les soins ou les interventions chirurgicales ne sont pas possibles en Guyane, le Smur effectue aussi des évacuations sanitaires aériennes (Evasan) sur la métropole, « sous réserve de ne pas démunir le Smur guyanais », note Cédric Belleville.

Le Smur héliporté de Cayenne travaille aussi en étroite collaboration avec les FAG (Forces armées guyanaises), seules habilitées à réaliser des hélitreuillages au-dessus de la forêt et en mer, et également autorisées à voler de nuit. « En Guyane, la nuit tombe brutalement vers 18 heures. Au-delà de 16 heures, nous ne sortons plus avec l'hélicoptère. Les Puma de l'armée prennent le relais en cas d'intervention et embarquent les équipes », explique Cédric Belleville.

Pas une journée de répit pour le Smur. « Hier, nous sommes sortis huit fois, raconte François Galeran. Parfois, on passe plus de huit heures en hélico. » Par rapport à la métropole, les temps de vols sont longs, près d'une heure pour arriver sur une zone. Après le survol de l'est guyanais en provenance de Saint-Georges de l'Oyapock, l'équipe arrive sur la DZ. Très agité, le patient en détresse cardiaque est immédiatement pris en charge et transféré aux urgences où il va être admis aux soins intensifs de cardiologie. Entre deux sorties, cette équipe prête main forte aux urgences, tandis que d'autres réarment les kits de matériel, toujours conséquents lors des interventions. « Il nous arrive d'emporter pas mal de matériel, pour parer à toutes les éventualités », note Chahera Gourari, infirmière. Loin de tout, il faut pouvoir faire face et il est assez fréquent que le Smur héliporté change de destination en cours de route pour parer à la plus grande urgence. Tous ces professionnels ont été formés aux urgences. « C'est assez sportif, avec des montées d'adrénaline, relate un infirmier qui ne compte plus ses heures de vols. Mais nous avons un vrai sentiment d'utilité, car les gens qui nous sollicitent sont vraiment démunis et n'ont souvent pas d'autres choix. »

de mickey à cayenne

Parmi les tout derniers à avoir intégré le Smur, Chahera Gourari est arrivée en mars 2005. Formée à l'hôpital Fernand-Widal à Paris, la jeune femme a enchaîné les expériences : réanimation cardiaque à Beaujon, pédiatrie à Robert-Debré, puis Euro Disney où elle s'est occupée des trois sites de santé. « Une expérience vraiment intéressante », se souvient-elle. Après avoir vu une annonce Internet, elle intègre la néo-natalité au CH de Cayenne, puis le service des urgences et de réanimation, la dialyse, et ensuite le Samu-Smur. « La diversité médicale et chirurgicale est vraiment passionnante, confie la jeune femme, avec des cas que je ne retrouverais pas en métropole. »

Dynamique, Chahera Gourari reconnaît que cette expérience lui a enseigné l'autonomie et le plaisir de travailler en harmonie avec les équipes médicales. « Ici, ce qui est aussi très gratifiant, c'est la diversité ethnique des populations soignées. » En milieu de matinée, cette infirmière embarque pour Grand Santi, afin de réaliser l'intervention initiale. Quarante-cinq minutes de vol pour rejoindre ce village isolé en bordure du Maroni, aux frontières du Surinam.

1- Centre hospitalier de Cayenne Andrée-Rosemon, 3, avenue des Flamboyants, 97300 Cayenne. Tél. : 05 94 39 50 50. Internet : http://www.ch-cayenne.fr.

le smur en chiffres

- 14 médecins urgentistes, assistants et praticiens hospitaliers, 12 infirmières et 1 cadre de santé, 7 ambulanciers, 9 permanenciers et 1 secrétaire.

- En 2004 : 52 521 appels reçus par le Smur, 1 851 sorties et 459 sorties héliportées et 17 588 victimes assistées.

- En 2004 : 165 Evasan(1) effectuées dont deux tiers ont été réalisées sur les Antilles et un tiers sur la métropole.

- 1 heure de Smur héliporté coûte 1 530 Euro(s) et une Evasan environ 3 650 Euro(s).

1- Évacuation sanitaire aérienne.