Le passage à l'acte hétéroagressif - L'Infirmière Magazine n° 215 du 01/04/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 215 du 01/04/2006

 

Schizophrénie

Thérapeutiques

Comment évaluer la dangerosité des patients en psychiatrie, notamment des schizophrènes souvent exposés au passage à l'acte hétéroagressif ?

Au sein des équipes soignantes en psychiatrie, la question de la dangerosité des patients se pose régulièrement, même si les passages à l'acte effectifs sont rares. Cette dangerosité n'est pas spécifique à une pathologie. Elle peut concerner des patients victimes de manie aiguë, des psychotiques « chimiorésistants » ou des sujets présentant un trouble de la personnalité psychopathique.

homicide

Les données statistiques sur l'hétéroagressivité dans la schizophrénie concernent essentiellement les gestes homicides. Parmi les auteurs de crimes, on retrouve entre 10 % et 20 % de personnes reconnues a posteriori comme schizophrènes. Les études notent un risque d'homicide par un schizophrène quatre à sept fois plus élevé que dans la population générale. Ces sujets sont plus souvent des hommes de 20 à 30 ans (80 %), pour lesquels le diagnostic n'a pas encore été posé (1 cas sur 2). Pour les autres, une mauvaise adhésion aux soins est fréquente.

Les victimes de ces homicides sont souvent les membres de l'entourage (mère, père). Ces gestes, dépourvus de visée « utilitaire », ont une motivation émotionnelle. L'incomplétude du développement psychoaffectif et la non-résolution des conflits primaires laissent persister chez le schizophrène des affects indistincts d'amour et de haine envers les parents. Une trop forte proximité peut générer une mise en péril de l'intégrité psychique du sujet à laquelle peut répondre une agression alors incontrôlée et brutale. La moitié des schizophrènes, auteurs d'homicides, relatent un sentiment de danger de mort imminent pour eux-mêmes et près de 60 % des sujets agissent sous l'injonction d'hallucinations.

toxiques

Parmi les facteurs associés au passage à l'acte criminel dans la schizophrénie, la consommation de toxiques, notamment d'alcool, joue un rôle déterminant. Un schizophrène sur deux environ consomme régulièrement un stupéfiant. Le risque de commettre un acte criminel est alors multiplié par dix.

La société française a fait le choix de permettre aux personnes dangereuses et présentant une maladie mentale d'être soignées par le secteur psychiatrique. Ainsi, des schizophrènes, auteurs de violences, pourront être adressés à l'hôpital. D'autres auteurs de faits graves devront attendre une décision du juge s'appuyant sur l'avis d'experts psychiatres pour être hospitalisés s'ils sont reconnus pénalement irresponsables.

Les équipes de ce secteur peuvent prendre en charge la majorité de schizophrènes, même s'ils sont dangereux. Les contacts répétés et adaptés avec les soignants, les traitements antidélirants et les soins d'isolement et de sédation adaptés, sont alors des outils précieux.

Si le milieu hospitalier classique se montre insuffisant face à la dangerosité d'un patient, l'équipe de soins fait alors appel à l'une des quatre unités pour malades difficiles (UMD) existant en France. Le cadre particulièrement « contenant », sécurisant de ces unités, et le savoir- faire des soignants permettent un soin adapté sur plusieurs mois avant un retour à l'hôpital.

malades très exposés

La prise en charge psychiatrique de ces malades est aujourd'hui rediscutée par les experts et les juges. Ceux-ci concluent souvent à la responsabilité pénale de ces malades qui sont alors soignés en prison. D'ailleurs, les futures UHSA (unités hospitalières sécurisées adaptées) qui placeront ces malades sous un régime carcéral s'inscrivent dans la même démarche.

Comme la schizophrénie est souvent assimilée par le grand public à la dangerosité, rappelons que, si la violence potentielle de ces malades existe, elle reste rare. S'ils sont souvent auteurs d'actes hétéroagressifs, ils en sont aussi les victimes. Ils sont enfin très exposés à l'acte suicidaire. Il est essentiel que le secteur conserve les moyens de soigner ces patients.

Bibliographie

-> Les dangerosités : de la criminologie à la psychopathogie, entre justice et psychiatrie, sous la direction de Christiane de Beaurepaire, Michel Bénezech, Christian Kottler, John Libbey-Eurotext, 2004.

-> Homicide par des malades mentaux : analyse clinique et criminologique, Sarah Barbera Pera, Alexandre Dailliet, L'Encéphale, 2005, 31, 539-49, cahier 1.

-> Homicides psychotiques, à partir d'une étude réalisée à l'unité pour malades difficiles « Henri-Colin » incluant 21 cas, Dominique Mathis, Magali Bodon-Bruzel, Christian Kottler, Perspectives Psy, volume 44, n° 3, juillet-septembre 2005, p. 214-218.

LE CHIFFRE DU MOIS

Le taux de suicide des patients schizophrènes est 40 FOIS SUPÉRIEUR à celui de la population générale.

Cf. « Schizophrène et suicide : limiter les risques », L'Infirmière magazine, supplément Santé mentale, n° 212, p. 21.