Passager clandestin dans la soute - L'Infirmière Magazine n° 215 du 01/04/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 215 du 01/04/2006

 

Vous

Vécu

Enfin une rubrique tout entière dédiée à votre prose. Empreints d'humour, d'émotion, de tendresse, vos témoignages sont désormais publiés dans la rubrique « Vécu ». Les textes peuvent être adressés via notre messagerie électronique (atronchot@groupeliaisons.fr) ou par courrier. À vos stylos !

Après cinq minutes de covoiturage sportif, Christophe gare la camionnette du Smur devant le pavillon. Une jeune fille portant un panier de fleurs nous attend en souriant, d'un air un peu niais. Nous lui parlons très peu car elle mesure 1 m 20 et ses pieds en granit sont recouverts de mousse... Nous préférons grimper l'allée au pas de charge, saluer les nains de jardin et pénétrer dans la maison. À l'intérieur, les ambulanciers nous accueillent avec le tapis rouge.

péritonite intermittente

«... Ah, vous êtes là... On vous a appelé car la dame qu'on devait transporter a vraiment trop mal au ventre... »

Soit. Une fois les présentations faites, nous étudions le problème. Effectivement, la dame en question, d'une corpulence respectable, se tient l'abdomen en gesticulant. Ceci dit, la surcharge pondérale dont elle bénéficie se complique d'une surcharge acoustique, la souffrance la faisant hurler en continu.

Les ambulanciers, les tympans détruits, nous en apprennent plus.

« Elle n'a pas vu le médecin. Il n'était pas libre... Elle se tord de douleur toutes les deux minutes et puis ça s'arrête... Et ça recommence... »

Cette péritonite intermittente bouscule nos connaissances médicales. Afin de tirer les choses au clair, Denis, l'assistant, essaie de l'examiner. Bizarrement, elle se débat et refuse de se dévêtir. Nous profitons alors d'une réplique sismique abdominale pour faire le forcing. Pendant que la dame reprend ses vocalises à 110 décibels, nous la déshabillons manu-militari.

Après lui avoir retiré son tee-shirt, son jogging, son Damart et son pull à col roulé (nous sommes le 11 juillet mais le fond de l'air est frais...), une surprise nous attend. De taille.

acclamations

En fait de douleurs inexpliquées, nous assistons à une illustration saisissante de la fécondité nationale. Notre patiente accouche en direct sur le brancard ! La tête de l'enfant est déjà à moitié sortie... Malgré nos commentaires sans équivoque, elle nie l'évidence aussi farouchement que Bill Clinton surpris avec le pantalon sur les chaussettes. Manifestement, elle a vécu cette grossesse à l'insu de son plein gré...

La suite est d'une logique implacable : le bébé sort de son squat et nous le réceptionnons avecles honneurs qui lui sont dus. Une petite fille amène une paire deciseaux sur un coussin en velours etl'assistant coupe le cordon, préalablement clampé, sous les acclamationsdu public. L'orchestre joue « Ah, si j'étais resté célibataire », tandis que les majorettes font le tour du salon... Mais j'exagère un peu le côté joyeux de l'événement (il n'y avait peut-être pas de majorettes...).

les yeux de sa mère

En fait, la maman n'a pas le coeur à rigoler et elle finit par sangloter dans les bras de Christophe, tout ému. À part ça, le bébé est charmant. Il a les yeux de sa mère, le nez de son grand-père et la même réaction que Bill Clinton lorsque Hillary rentre à son tour dans la pièce : il pleure à tout va !

Afin de protéger notre potentiel auditif soumis à rude épreuve, nous abrégeons les festivités et décidons de retourner à l'hôpital. Une fois tout le petit monde installé en maternité, nous rejoignons le QG des urgences et remettons à jour le matériel du Smur dévasté par le baby-boom.

scoop d'enfer

La satisfaction du devoir accompli commence à nous irradier d'une joie sereine lorsque l'acte II de cette saga familiale fait irruption à l'accueil. Un homme, l'air soucieux, nous interpelle.

«... Bonjour... Ma femme a été amenée ici... Les voisins m'ont dit qu'elle avait très mal au ventre... Je viens aux nouvelles... »

Nous nous regardons en chien de faïence. En fait de nouvelles, Coco, on a un scoop d'enfer à te refiler. Mais le choix du média reste à définir. Je vais chercher le rédacteur en chef...

« Denis... Le Monsieur qui a fait germer la petite graine est dans le hall... Mais apparemment, il ne se rappelle plus avoir jardiné l'année dernière... »

L'assistant me regarde, fou de joie : « Et c'est moi qui m'y colle... ? - T'as deviné... »

Une fois le jardinier assis dans le bureau, une bouffée de compassion me fait rester avec Denis. Celui-ci commence à tourner autour du pot et, très vite, il transpire autant qu'un pingouin égaré vers l'Équateur. L'heureux papa, qui ne connaît pas encore son bonheur, a du mal à imprimer sur le disque dur... Le docteur reconfigure le réseau informatique. Vous allez rire, cher Monsieur... L'embarquement a été mal contrôlé dans l'avion... Il y avait un passager clandestin au fond de la soute à bagages.

Un ange passe.

ovaire-dose

En fait, un bébé que l'on désire et un autre qui se tape l'incruste, c'est un peu la même chose, sauf que c'est exactement le contraire. Le pauvre homme est fort contrarié. L'ange repasse et sort une boîte de kleenex. Trop tard ! L'ovaire-dose d'émotions est telle que le papa tombe dans les pommes...

Lorsqu'il revient du pays des Goldens, quelques instants après, un grand désespoir envahit son coeur. La pilule est vraiment dure à avaler (ça doit être de famille). Il a une gueule de bois à rendre jaloux Pinocchio... Bientôt, comme Bill Clinton venant de se faire arracher la tête par Hillary, il se met à sangloter.

dose d'étincelles

Mais brusquement, le grand désespoir boucle ses valises et déserte l'endroit. Une certaine colère débarque en trombe et occupe le terrain : «... Ah, la garce... Me faire un enfant dans le dos ! Elle pousse vraiment le bouchon un peu trop loin... »

Remonté de cette façon, il nous faudra trois bons quarts d'heure pour qu'il envisage d'admettre le début du commencement de la perspective paternelle qui s'offre à lui. Christophe finit par lui montrer le chemin de la maternité. Il récupère son râteau, son arrosoir, et il suit le collègue en traînant les sabots.

La journée finie, je rentre chez moi. Ma chère et tendre me détaille le scénario du « ouiquende ».

« Tu sais... on avait prévu d'aller voir le feu d'artifice du 14 juillet, mais les Tartempion nous invite à un barbecue... »

Ce n'est pas grave, Simone, cette année, je m'en fous un peu. Je viens de voir un gars en pétard. J'ai même assisté à une explosion démographique. Je te promets, j'ai eu ma dose d'étincelles...