Suivez le guide ! - L'Infirmière Magazine n° 215 du 01/04/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 215 du 01/04/2006

 

Agressivité

Questions à

Confrontée à des situations de violence dans son service, Élisabeth Goriot, cadre supérieur de santé à l'hôpital Sainte-Anne, a imaginé avec son équipe un guide pour prévenir l'agressivité.

Comment vous est venue l'idée d'un guide à usage interne sur « La prévention de l'agressivité » ?

Lorsque j'ai pris mes fonctions en tant que cadre supérieur de santé fin 2004, j'ai constaté que les équipes étaient très exposées aux passages à l'acte des patients. Mon service était même souvent à feu et à sang : les renforts étaient appelés au moins une à deux fois par semaine et cela ne pouvait plus durer. J'ai invité l'équipe à réfléchir sur la prévention de ces situations agressives. Il me semblait important que toute l'équipe - médecins, infirmières, assistantes sociales, psychologues, aides-soignantes - participe à cette réflexion.

Dans un premier temps, nous avons repris les situations les plus graves des trois derniers mois, notamment celles où le matériel avait été endommagé. Grâce à ce repérage, nous avons identifié, décodé, les situations à risque, et proposé des réponses plus adaptées.

Il me semblait primordial d'effectuer ce travail car ces situations mettent autant les équipes que les patients en danger.

Comment s'organise l'ouvrage ?

Le guide se présente sous la forme d'un tableau à trois colonnes. Dans la première, sont listées les situations à risque : le sentiment de ne pas être entendu, d'isolement ou d'enfermement que peut éprouver le patient, la remise du traitement ou les changements de chambre entre autres. La deuxième répertorie les comportements observables tels que les demandes multiples, l'augmentation du tabagisme, la peur ou les discours incohérents. Enfin, la dernière colonne correspond aux réponses proposées.

Existe-t-il « des remèdes miracle » pour éviter la violence ?

Non, les réponses que nous proposons dans le guide restent modestes. Chaque équipe doit aussi pouvoir inventer sa propre réponse. Le plus important est d'éviter de banaliser la frustration. « Plus tard » ne veut rien dire pour le patient.

Il faut s'accorder du temps pour réaliser un entretien à deux afin de désamorcer la frustration ou pour expliquer une décision avec des mots simples, de l'empathie. Cette initiative n'est pas efficace à chaque fois, mais on peut simplement espérer que la situation ne dégénère pas.

Les jeunes diplômées sont-elles suffisamment armées pour gérer cette violence ?

En fait, ce guide s'adresse surtout aux jeunes IDE. Depuis la disparition du diplôme d'infirmier de secteur psychiatrique en 1992 et la réduction des heures de cours dédiées à la psychiatrie, elles peinent davantage à trouver des réponses adaptées face à ces situations d'agressivité.

Nous organisons d'ailleurs des cours sur la gestion de la violence, ouverts à tout le personnel soignant, à l'hôpital Sainte-Anne.

La mise en place du tutorat s'est bien passée grâce à l'implication des infirmières de secteur psychiatrique. Ce tutorat est indispensable car il permet aux anciens de prendre soin des nouveaux et aux jeunes de respecter leurs aînés.

Enfin, nous avons mis sur pied une formation-action d'une durée de quinze jours. Elle permet aux jeunes IDE de se mettre en situation grâce à des jeux de rôles. C'est un minimum. L'idéal serait une année de spécialisation en psychiatrie. Nous l'attendons depuis 1992 et je ne me fais plus trop d'illusions maintenant.

Récemment, plusieurs faits divers marquants ont placé sur le devant de la scène la psychiatrie. Pensez-vous que la violence ait augmenté dans les hôpitaux ces dernières années ?

Je pense d'abord que la psychiatrie doit aujourd'hui gérer une population qui n'était pas prise en charge à l'époque : les sans domicile fixe, les alcooliques, les toxicomanes et les polytoxicomanes. Pour certains de ces patients, une psychopathologie est avérée. Les autres atterrissent en psychiatrie parce qu'il n'existe pas suffisamment de places dans des centres spécialisés. En outre, la diminution du nombre de lits, les équipes de plus en plus jeunes et le manque d'effectif n'arrangent pas la situation.

À Sainte-Anne, beaucoup de postes demeurent vacants, nous fonctionnons avec des effectifs minimums. Il faudra donc attendre un prochain clash ou un prochain fait divers pour qu'un ministre vienne verser sa petite larme et annonce un nouveau plan.

En attendant, nous n'avons toujours pas vu la couleur de l'argent et les effectifs promis dans le plan santé mentale !

Élisabeth Goriot Cadre supérieur de santé.

Infirmière de secteur psychiatrique depuis 1982, Élisabeth Goriot a fait toute sa carrière à l'hôpital Sainte-Anne, à Paris. Elle devient cadre de santé en 1994. En 2002, elle obtient un DESS stratégies de développement de formations en santé à Bobigny. Depuis 2004, elle est cadre supérieur de santé dans le service du Dr François Petitjean à l'hôpital Saint-Anne.