Un défi relevé - L'Infirmière Magazine n° 215 du 01/04/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 215 du 01/04/2006

 

Ibrahim Saaïdi

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Rencontre avec

Hémiplégique, Ibrahim Saaïdi est infirmier au dispensaire Prince Albert de Monaco, à Agadez (Niger). Sa volonté lui a permis de surmonter son handicap et de continuer à soigner dans l'un des pays les plus pauvres de la planète(1).

« Le 19 juillet est une date qui me pince le coeur. Ce jour-là, en 1999, j'ai fait un accident vasculaire cérébral. Je suis tombé. Tout mon côté droit était paralysé. Je n'ai pas réussi à me relever. » Ibrahim Saaïdi, infirmier nigérien d'une quarantaine d'années, parle avec la douceur qu'exhale son regard. Devenu hémiplégique, il a pu au prix d'efforts considérables récupérer 40 % de ses capacités et marcher à nouveau. « Aujourd'hui, je peux parcourir une distance de trois kilomètres », affirme-t-il. Au dispensaire de Dagmanett(2), à Agadez (Niger), où il travaille depuis 2002, il n'est pratiquement pas obligé de rester debout plus d'une quinzaine de minutes. Cela lui permet d'effectuer ses gardes de vingt-quatre heures, seul.

Le défilé de patients est quasi permanent. « J'aime mon métier parce qu'il est humanitaire. Après ce qui m'est arrivé, j'ai été récompensé. Je me suis rendu compte à quel point un infirmier pouvait venir en aide aux autres. Sans distinction. » À peine vient-il, d'une main ferme et assurée, de nettoyer les plaies d'un jeune garçon renversé par un cabou-cabou (moto-taxi) et de lui administrer des comprimés de Bactrim®, qu'une femme, coiffée d'une large étoffe noire brodée de fils rouges et argentés, lui présente son bébé fiévreux. Appuyé sur le rebord de son bureau métallique, l'homme robuste en blouse blanche saisit le thermomètre puis approche une chaise pour continuer la consultation assis, dans le local ouvert aux quatre vents, au sable, à la poussière.

tous les rôles...

Ibrahim est infirmier depuis dix-sept ans. Originaire de Zinder, ville située à 900 km à l'est de Niamey - la capitale -, il y fait ses études à l'Enicas (École nationale d'infirmiers et de l'action sociale). Après deux années au service chirurgie de l'hôpital de la ville, il est affecté à des dispensaires de brousse. Sous-équipés, ces CSI (Centres de santé intégrés) manquent de médicaments essentiels, de personnel qualifié. On en trouve, généralement, un pour plus de 25 000 habitants. De l'ethnie des Touaregs, Ibrahim sait s'adapter aux aléas du désert (qui recouvre 80 % du pays), de la misère : « À Timia, oasis de l'Aïr à 1 500 mètres d'altitude, j'ai accouché une femme de triplés. Elle n'avait pas un grain de mil à manger. Ni de quoi se couvrir. Avec une coopérante de Médecins sans frontières, nous avons pu trouver des solutions ».

En dépit de l'aide financière internationale, on n'observe guère d'amélioration du niveau de santé au Niger. Adoptée en 1987, l'« Initiative de Bamako » vise à favoriser l'accès aux soins de santé primaires, la baisse des coûts et la participation communautaire. Alors que 85 % de la population vit avec moins de 2 euros par jour, chaque bénéficiaire de soins doit prendre à sa charge une partie des actes. « Les gens de brousse sont très sensibles, vous êtes leur dernier recours », explique Ibrahim. Le rôle des infirmiers est essentiel. Et extensible à merci. « En brousse, il faut prendre les décisions seul. On a tous les rôles : assistanat social, chirurgie, accouchements... » C'est ainsi qu'en juillet 1999 - à la saison des pluies -, à Elmeki, autre village de l'Aïr, Ibrahim se voit dans l'urgence évacuer un septuagénaire en dénutrition. Il l'accompagne, à bord d'un camion de marchandises, jusqu'à l'hôpital d'Agadez.

« j'ai vécu un calvaire »

« À cette époque, je suivais un traitement contre l'hypertension artérielle. Pendant trois jours, je n'ai pas pu prendre mes médicaments. J'ai mangé de la viande salée. Ma tension artérielle est montée à 27-15 », se souvient-il avec amertume. Paralysé du côté droit - excepté son visage -, il ne peut plus se tenir debout. L'hospitalisation est immédiate. Elle durera six mois. Des ponctions lombaires indiquent l'absence d'hémorragie. Un pronostic qui amène son médecin à l'encourager à se battre. « J'ai vécu un calvaire. Ma femme et mes enfants ont dû quitter Elmeki et venir s'installer chez des amis à Agadez. Il a fallu attendre des mois pour que mon salaire (100 euros mensuels) soit versé », raconte Ibrahim. Le médecin qui le suit à l'hôpital d'Agadez est cubain. Comme d'autres praticiens, il est venu passer deux années au Niger dans le cadre de la coopération sud-sud. Il soutient fermement Ibrahim, comme ses amis français, rencontrés quelques années auparavant au dispensaire de Timia. « Ils m'ont demandé ce dont j'avais besoin. Une grande solidarité s'est mise en place autour de moi. Le plus important, c'était les médicaments, mais ils coûtent très cher. Il me fallait donc une aide financière. »

Grâce aux dons récoltés, son traitement au Nootropyl® peut commencer. En peu de temps, Ibrahim retrouve l'usage de sa main droite. Il se débrouille pour se déplacer, en marchant à quatre pattes. Trois mois plus tard, il s'arme de courage et s'assied au bord de son lit. Ses deux pieds touchent le sol. Il se lève, fait quelques pas et se rassied. « Je reviens de loin. Au bout de quatre mois, je pouvais faire cinq pas aller-retour. Et puis, j'ai réussi à sortir de ma chambre sans me tenir. Au bout de six mois, j'ai demandé à rentrer chez moi. » La maison où il retrouve sa famille est bâtie aux confins de la ville d'Agadez, aux portes du désert. À quelques mètres de là, le dispensaire Prince Albert de Monaco, construit en 1989, couvre les soins de plus de 40 000 habitants.

retour à la vie de soignant

Ibrahim demande à y être affecté quelques mois. « Je n'arrivais toujours pas à écrire avec ma main droite ni à rester longtemps debout. Mais je venais au dispensaire, de 7 h 30 à midi pour regarder et me distraire », se souvient-il, occupé à piquer le haut de la cuisse d'une petite fille blottie dans les bras de sa mère. Il la rassure en haoussa (langue la plus parlée au Niger) avec une voix calme et des gestes délicats. Puis dans un grand éclat de rire, il continue de raconter son retour à la vie de soignant : « Au bout d'une année, j'ai essayé de faire une piqûre à une personne très âgée... J'ai vu que ça se passait bien. À partir de là, je me suis occupé des injections et des pansements. Jusqu'à ce que je puisse à nouveau exercer mon métier, dans son intégralité. »

savoir aimer les gens

Ibrahim dit avoir « récolté les fruits de ses efforts ». À la porte de la salle de consultation peinte en bleu outremer et à moitié recouverte de carreaux blancs, une dizaine d'Agadéziennes, voilées ou coiffées d'un boubou enroulé en turban, patientent, leur bébé malade dans les bras. Quelques personnes âgées souffrantes sont là aussi, assises à même le sol, dans le petit hall d'attente où s'engouffrent le sable et la poussière du désert, omniprésents. « D'abord, il faut aimer les gens. Et être disponible, assure Ibrahim. L'infirmier est là pour tout le monde. »

1- Classé 174e sur les 175 pays recensés dans l'indice de développement humain des Nations unies. L'espérance de vie plafonne à 46 ans, un enfant sur quatre meurt avant l'âge de 5 ans.

2- CSI Prince Albert de Monaco, Dagmanett,

BP 189, Agadez, Niger. Tél. : (00 227) 44 05 31.

moments clés

- 1987 : fin de ses études à l'Enicas (École nationale d'infirmiers et de l'action sociale) de Zinder. Entre au service chirurgie de l'hôpital de Zinder.

- 1989 : arrivée à Agadez. Fait partie de l'équipe mobile qui travaille en brousse.

- 1990 : dispensaire de Timia.

- 1999 : dispensaire d'Elmeki.

- 19 juillet 1999 : accident vasculaire cérébral.

- 2002 : CSI Prince Albert de Monaco, Agadez.