Un vrai sas de décompression - L'Infirmière Magazine n° 215 du 01/04/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 215 du 01/04/2006

 

un centre d'accueil et de crise

24 heures avec

À Rosny-sous-Bois, en banlieue parisienne, l'équipe soignante du Centre d'accueil et de crise prend en charge en urgence les victimes de troubles psychiques : accueil, orientation et hospitalisation si besoin.

Un matin glacial de janvier, rue Jean-Jaurès, une rue pavillonnaire tranquille de Rosny-sous-Bois, ville de Seine-Saint-Denis à quelques kilomètres de la capitale. Entre ces maisons de ville se trouve un bâtiment appartenant à l'EPS de Ville-Évrard, qui héberge un des Centres d'accueil et de crise (CAC) de l'hôpital. Le CAC de Rosny-sous-Bois, baptisé Centre François-Tosquelles, demeure un des derniers CAC de la région parisienne à être ouvert 24 heures sur 24. Cette véritable structure d'urgence psychiatrique accueille et oriente si besoin les personnes en souffrance psychique. Le CAC de Rosny dispose de sept lits pour des hospitalisations de courte durée, de quelques jours à deux semaines, lesquelles ne se font jamais sous la contrainte.

Ce matin, Nicole Elizabeth et Marie-Christine Ignoti sont les deux infirmières présentes. Avec un étudiant en soins infirmiers actuellement en stage, Marie-Christine a cependant dû partir sur le site principal de Ville-Évrard, à Neuilly-sur-Marne, afin d'accompagner un des patients du CAC pour un examen médical. Nicole assure, quant à elle, les entretiens avec le psychiatre attaché à la structure. « Tous les entretiens des patients hospitalisés au CAC se font en binôme, médecin et infirmière. Cette prise en charge intensive nécessite une réflexion commune autour de la problématique particulière d'un patient », explique Patrick Richardson, le cadre infirmier de l'équipe.

Consultation infirmière

Le premier entretien est assuré par une infirmière. C'est une véritable consultation infirmière, dont l'objectif est notamment d'évaluer le degré d'urgence de la demande de soins. En fonction de cette première évaluation, l'infirmière oriente le patient vers son médecin traitant ou vers le psychiatre du CAC. Et c'est au terme de la consultation en binôme médecin-infirmier qu'un suivi sera déterminé pour le patient : hospitalisation de jour, suivi par le CMP ou en ville, hospitalisation de courte durée au CAC ou encore hospitalisation sur le site de Ville-Évrard si besoin.

« Nous travaillons beaucoup avec le téléphone, bien souvent notre premier outil d'évaluation, même si les personnes peuvent aussi se présenter spontanément sans nous avoir téléphoné au préalable, explique Patrick Richardson. C'est généralement après une conversation téléphonique, avec le patient lui-même, sa famille ou son médecin, que nous invitons la personne à venir consulter au CAC dans les heures qui suivent. »

La petite salle d'attente à côté de l'entrée est vide pour le moment, mais le téléphone sonne sans arrêt. Nous sommes vendredi, le week-end approche. De retour de Ville-Évrard, Marie-Christine ne semble pas étonnée. « Le vendredi est généralement une journée très chargée, confirme-t-elle. Les psychiatres privés, inquiets du week-end pour leur patient, nous appellent pour une hospitalisation, les hôpitaux vident leurs lits portes. Nous n'avons que sept lits, ils sont déjà tous pleins pour le week-end, et nous devons encore accueillir cinq personnes en urgence en début d'après-midi. » Le CAC couvre onze communes de Seine-Saint-Denis, quatre secteurs de psychiatrie adulte et un secteur de psychiatrie infanto-juvénile. Cette structure sectorisée est très connue dans le département, et les demandes de prise en charge émanent aussi bien des personnes et des familles, que de leur médecin traitant, du médecin du travail ou scolaire, etc.

Chaleur humaine

Pendant que les soignants courent entre les entretiens, le téléphone et la préparation des médicaments de midi, les patients hospitalisés discutent dans la salle de détente et d'activité mise à leur disposition. Il y règne une vraie chaleur humaine. « Nous hospitalisons essentiellement des patients qui présentent une pathologie névrotique mais aussi diverses formes de psychose sans gros troubles du comportement associés, dépression, "burn-out". Ils sont tous volontaires, compliants au traitement, car nous n'utilisons aucun moyen de contention. Pour les pathologies plus lourdes, nous transférons la personne vers le site de Ville-Évrard », souligne Patrick Richardson.

Le cadre infirmier de l'équipe soignante composée de neuf infirmières de jour et quatre de nuit est un fervent défenseur des centres d'accueil et de crise. « Le CAC est un outil formidable pour les patients, un véritable sas de décompression. Et cela évite bien souvent des hospitalisations plus lourdes pour des personnes en détresse », ajoute-t-il.

Reconnaissance

Les patients accueillis témoignent leur reconnaissance envers la structure. « Ici, je me sens vraiment bien, je me repose, il y a toujours quelqu'un qui peut m'écouter. Je sentais que je repartais dans la dépression, j'ai pu enfin ne plus penser à tout ce qu'il y a dehors », précise Laurence.

Fabienne, une autre patiente, est quant à elle passée par Ville-Évrard, faute de place dans le CAC. « Ville-Évrard a été le choc de ma vie, tout le monde est mélangé. J'avais peur de dormir la nuit, ce qui augmentait mes angoisses. J'ai signé une décharge, je suis rentrée chez moi, très mal, et j'ai alors appris qu'un lit était libre au CAC. Je suis venue très vite, j'ai besoin que l'on m'aide à m'en sortir », confie-t-elle.

Ado prostrée

Après les prises de médicaments dans la salle de soins, c'est l'heure du déjeuner. Les patients descendent dans la salle à manger en souriant et en bavardant. Aujourd'hui, la jeune Marine, une adolescente de 16 ans, a promis qu'elle viendrait déjeuner avec les autres. Hospitalisée au CAC depuis quelques jours, elle reste prostrée dans sa chambre, sans parler, sans vouloir se nourrir, et griffonne des dessins évocateurs de son malaise. « Nous accueillons souvent des adolescents, et ce, sans limitation stricte de durée de séjour. Il existe en effet très peu de structures pour les adolescents et elles sont le plus souvent saturées », déplore le cadre infirmier. La jeune Marine est une adolescente suicidaire. Elle refuse de se nourrir depuis qu'elle est hospitalisée et se réfugie derrière le mutisme. « Mais, nous ne pourrons pas la garder au CAC si elle refuse les soins. Nous serons obligés de la transférer à l'hôpital. Cette adolescente n'a pourtant rien à faire dans une structure lourde d'hospitalisation », constate avec tristesse Patrick Richardson. Le repas est un peu plus difficile que d'ordinaire. Marine, très pâle, ne veut toujours pas s'alimenter et même boire un peu d'eau. Les patients adultes essaient d'intervenir et de l'encourager, sans succès.

Après le repas, tous se réunissent dans la salle de détente pour fumer une cigarette, discuter ou regarder la télévision.

À 13 heures, les infirmières de l'après-midi, Patricia Ollivier et Maud Zynielka, arrivent. Elles échangent avec leurs collègues du matin et consultent le classeur de « transmissions soignantes » infirmier. « Nous nous efforçons de tout noter dans ce classeur de transmission au fur et à mesure de la journée. Nous consignons par ailleurs dans un cahier prévu à cet effet tous les appels téléphoniques que nous recevons ainsi que nos réponses », explique Patricia Ollivier.

Police ?

Entre les urgences de l'après-midi, les entretiens des patients hospitalisés, le téléphone qui sonne toutes les cinq minutes, Patricia et Maud sont débordées.

En milieu d'après-midi, une jeune femme désemparée appelle. Un ancien patient hospitalisé au CAC serait en plein délire. Armé d'un couteau, il aurait déjà agressé un de ses proches. La jeune femme, parente de la compagne de ce patient, a visiblement très peur. Sans décliner son identité, elle parle des enfants qui vont revenir de l'école, de la terreur de leur mère. Patricia lui conseille d'appeler le commissariat, ce que la femme au téléphone refuse par peur des représailles.

Consulté, Patrick Richardson retrouve le dossier du patient et propose de prendre l'avis du chef de service, le Dr Gérard Inglebert, présent au CAC cet après-midi. Celui-ci estime qu'il est de la responsabilité du CAC d'appeler la police. « Nous avons parfois des situations bien difficiles à gérer », reconnaît Patricia.

La jeune Marine vient quant à elle d'être vue par la psychiatre attachée à l'unité. Elle a prescrit une réhydratation et nutrition par perfusion. Les soignants savent qu'il va falloir convaincre la jeune fille et ce n'est pas une des missions les plus faciles. Patricia prépare la perfusion, Patrick décide de l'accompagner pour parler à Marine. Ils vont rester près d'une demi-heure dans la chambre de l'adolescente, qui finalement accepte les soins, au grand soulagement de toute l'équipe.

Fin de séjour

C'est la fin de la journée mais aussi du séjour pour Laurence, accueillie dans le CAC depuis près de deux semaines. Ses enfants, accompagnés de sa mère et de sa soeur, sont venus chercher leur maman. Ils sont en bas, tout sourire. La jeune femme serre dans les bras les autres patientes, certaines pleurent. « On se retrouvera, on s'aidera dehors », se promettent-elles.

Un homme d'une cinquantaine d'années, visiblement angoissé, vient d'être hospitalisé. « Ne vous inquiétez pas monsieur, lui dit Laurence, réconfortante en lui serrant la main. Vous serez bien ici, on s'occupera bien de vous, l'équipe est formidable. »