Café des sages

Ils arrivent les uns après les autres, saluent les inconnus, retrouvent avec plaisir leurs connaissances. Les femmes, majoritaires, sont vêtues avec soin : jolis pulls, foulards et rouges à lèvres. Sagement, chacun rejoint les chaises disposées çà et là dans la pièce, autour de larges tables. Personne ne touche aux soucoupes emplies de biscuits que les organisatrices de la rencontre ont pris soin de déposer un peu partout.

Alors, ce sont les jeunes qui font leur entrée. Elles sont une demi-douzaine de lycéennes de Marie-de-Champagne, un établissement de Troyes. Ce troisième « Café des âges », organisé par l'association « Troyes inter-âges(1) », est un espace de débat qui réunit ponctuellement, autour d'un thème, des personnes d'âges différents.

café citoyen

Inspirées de l'expérience des « Cafés géronto » en Belgique, ces rencontres, élaborées par l'association « Vieillir, c'est vivre ! » (cf. encadré), se tiennent partout en France et dans quelques pays voisins. Y assistent toutes les personnes qui le souhaitent, pour débattre d'un thème de société. Cette réflexion mutuelle doit « dégager une expression citoyenne » sur les relations entre générations, et permettre « d'influencer les politiques publiques » dans le sens d'une réelle place d'acteur accordée à la personne âgée dans la société.

« Le thème du jour, annonce Christiane Grandpierre, présidente de "Troyes inter-âges", est le vocabulaire intergénérationnel. » Ou comment les mots, propres à chaque génération, naissent, vivent et vieillissent, créant des barrières culturelles entre les jeunes et les plus âgés. Et comment faire pour faciliter la parole intergénérationnelle ?

provoquer la rencontre

L'intervention de Jean-Philippe Perrot, animateur-intervenant de ce « Café des âges », précède le débat. Coordonnateur en gérontologie, il est aussi « ambassadeur des aînés » de la ville de Troyes, chargé de « prendre en compte la parole de l'aîné dans la ville », explique-t-il. Il parle d'abord de l'intergénération, de cette « obligation, dans notre société, de provoquer la rencontre, qui ne se fait plus naturellement ». Puis, il évoque le regard sur la vieillesse, incite les lycéennes à porter le leur sur leurs aînés, rappelle que « la parole de l'aïeul était écoutée, respectée, il n'y a pas encore si longtemps. Elle était sacrée, car elle représentait la sagesse. »

Dans le club d'activités pour personnes âgées, jeunes et moins jeunes écoutent, sourient, murmurent, réagissent et se regardent à la dérobée. « Zone, Zep, trash, hyper-méga-top », Jean-Philippe Perrot égrène les mots de génération, des mots que les aïeux commencent à peine à employer que les jeunes les ont déjà délaissés... « Si les aînés étaient davantage en relation avec leurs enfants et leurs petits-enfants, ils connaîtraient aussi ce vocabulaire-là ! », ajoute l'intervenant.

« je te kiffe »

Une vieille dame se tourne alors vers Hinda, élève de terminale. « Quand tu dis à une copine : "Je te kiffe", ça veut dire quoi ? ». Hinda, deux nattes brunes, minijupe et grands yeux noirs, se lève pour intervenir à son tour. Dans la salle, la glace fond d'un coup lorsqu'elle se lance dans son explication. On s'agite, on rit, on veut parler à son tour, on apporte le café et les biscuits circulent. On parle texto et SMS, les jeunes se mêlent aux plus âgés, échangent des définitions : « primesautier », « gore », « antédiluvien »...

Martine, 73 ans, a écrit une pièce de théâtre sur les générations, où elle s'amuse du vocabulaire des jeunes. On lance l'idée de la jouer. Hinda est partante ; elles échangent leurs adresses. ça y est ! Le lien intergénérationnel est établi !