L'analyse de pratiques - L'Infirmière Magazine n° 216 du 01/05/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 216 du 01/05/2006

 

étudiants

Conduites à tenir

Un groupe de parole, initié par l'équipe pédagogique de l'Ifsi de Forbach et réunissant les différents acteurs impliqués lors du stage (étudiants, soignants et formateurs), vise à enrichir le projet professionnel de l'étudiant en soins infirmiers.

Dans un contexte d'accréditation, d'évaluation de la qualité des soins, la formation à l'analyse de pratiques doit faire partie de tout dispositif d'apprentissage et permettre d'enrichir le projet professionnel de l'étudiant en soins infirmiers.

CONTEXTE

Cette rencontre concerne la mise en place de groupes de parole, réunissant étudiants, soignants (IDE, cadres de santé) et formateurs pour réfléchir sur la pratique infirmière quotidienne.

Soucieuse d'améliorer la formation des étudiants en stage, l'équipe pédagogique de l'Ifsi de Forbach a initié un travail en partenariat avec les structures de stages. Différents projets ont fédéré des groupes de travail, composés d'étudiants, de soignants et de formateurs. Les thématiques de travail ont porté sur l'encadrement, l'accueil de l'étudiant en stage, les objectifs de stage, le livret d'acquisition de soins, les fiches signalétiques descriptives des différents lieux de stage et, enfin, l'analyse de pratiques. En tant que membres du groupe de travail, c'est de cette dernière thématique, moins habituelle, que nous souhaitons vous faire part.

POURQUOI

Ce projet d'analyse des pratiques vise à répondre à cette question : « Comment aider l'étudiant à développer la réflexion dans et sur "son agir professionnel" ? »

En effet, la dimunition du temps de travail aggravant la pénurie infirmière, l'augmentation des quotas étudiants et du taux de productivité des soins, conduisent à constater que le temps accordé à la réflexion sur la pratique des soins quotidienne fait défaut. L'étudiant en stage ne rencontre pas suffisamment de situations de soins questionnées par les équipes pour intégrer une dimension réflexive de sa pratique quotidienne dans la construction de son identité professionnelle.

Si l'on considère que l'alternance fait partie du dispositif d'apprentissage à part égale pour les lieux de stage et pour les instituts de formation, seul un travail en partenariat semble pouvoir renforcer la formation des étudiants à l'analyse de pratiques.

COMPOSITION DU GROUPE

La mission de notre groupe de travail a été de concevoir et de formaliser ce projet. Le groupe, fondé sur le volontariat, comprend six étudiants (deux par promotion), sept IDE et deux cadres de santé issus d'hôpitaux et de structures accueillant les étudiants de l'Ifsi de Forbach en stage, et deux animateurs : un cadre supérieur de santé et un cadre formateur.

DÉFINITION

Au cours de la première réunion, chaque participant a exposé sa conception de l'analyse de la pratique infirmière.

Le groupe a ainsi défini l'analyse de pratiques professionnelles et les conditions de sa mise en place : « une structure (sous forme de groupes de parole) permettant un temps d'échange, de réflexion entre les soignants (IDE, cadre de santé), les étudiants et les cadres formateurs sur les pratiques professionnelles, à partir de contextes de soins particuliers et/ou difficiles favorisant la remise en question et la distanciation ».

OBJECTIFS

- Permettre une réflexion commune sur la pratique infirmière quotidienne (facilités, difficultés), expression des vécus, confrontations des points de vue, à partir d'un thème donné ;

- Favoriser la distanciation, en vue de clarifier les représentations des étudiants ;

- Prendre conscience de l'importance d'une pratique réflexive, d'une remise en question de ses pratiques, permettant à l'étudiant la construction de son projet professionnel ;

- Diminuer l'écart entre la formation à l'Ifsi et la formation en stage ;

- Développer une dynamique positive entre l'Ifsi et les lieux de stage.

FORMALISATION

Différents éléments ont été étudiés pour formaliser cette structure : le public concerné, l'animation des groupes de parole, le coût temporel, le coût en personnes, les thèmes abordés, l'évaluation...

La mise en place de ces groupes de parole, d'une durée de deux heures par groupe, concerne toutes les promotions d'étudiants et se déroule à l'Ifsi, durant une période de stage.

L'animation de l'ensemble des groupes de parole est réalisée par le cadre de santé formateur ayant initié le projet et animé le groupe de travail.

Chaque groupe de parole est composé d'un maximum de dix étudiants d'une même promotion, d'au moins trois infirmières, et du cadre formateur chargé de l'animation.

Les thèmes abordés correspondent aux choix des étudiants pour chaque promotion. Cela permet de répondre aux besoins des étudiants en fonction de leur niveau de formation.

Pour exemples, on peut citer : « l'agressivité dans la relation soignant-soigné » comme thématique choisie par les étudiants de troisième année ; « la vérité au malade » pour les étudiants de deuxième année, et « la fin de vie » pour les étudiants de première année.

Les infirmières participent sur la base du volontariat, sur leur temps de travail avec l'aval des directeurs de soins, en fonction de l'échéancier organisé sur l'année et des thèmes proposés.

Une autre réflexion a porté sur les éventuelles craintes nourries par les soignants à l'égard de cette structure, et sur leur adhésion. Sans les soignants, ce projet perdait en effet tout son sens.

CHARTE

Nous avons décidé d'élaborer une charte de conduite destinée à clarifier les attentes en matière de fonctionnement des groupes de parole et à diminuer les craintes éventuelles des soignants face à l'inconnu.

« Le groupe de parole a besoin d'infirmier(e)s volontaires, souhaitant faire part de leurs expériences professionnelles et émotionnelles autour d'une pratique soignante, stipule la charte. Le groupe évoluera dans le respect des personnes (sans jugement de valeurs), de ce qu'elles expriment, en favorisant l'écoute, tout en respectant les limites émotionnelles de chacun. La confidentialité des échanges sera respectée. »

L'information aux soignants a été faite grâce à l'appui des directeurs de soins des structures accueillant les étudiants. Une réunion d'information (à laquelle l'ensemble des professionnels ont été conviés) a été prévue au sein de l'Ifsi. La diffusion s'est également faite par l'intermédiaire des différentes instances où le projet a été présenté, par le biais de l'intranet des différentes structures de soins, et lors des réunions de cadres, ces derniers étant chargés de diffuser l'information auprès des équipes soignantes.

Un questionnaire d'évaluation créé par le groupe de travail a été rempli par chaque participant à la fin des séances. Il a permis de mesurer le degré de satisfaction des participants quant au déroulement, à la richesse des échanges, à l'intérêt du thème abordé et du projet. Un réajustement rapide a pu être réalisé pour les prochains groupes de parole.

ÉVALUATION À COURT TERME

Une évaluation globale du projet mis en place au second semestre 2004-2005 a permis d'établir différents constats.

Les étudiants. Deux cent onze étudiants ont participé à cette initiative. À la question : « Situez sur une échelle de 1 à 6 votre degré de satisfaction quant au déroulement global », la moyenne a été de 5,2 sur 6.

Les étudiants ont trouvé les échanges très riches, ont apprécié la présence des soignants, les situations concrètes exposées, ont été surpris d'entendre le ressenti, les difficultés des soignants et leurs vécus. Ils relèvent que c'est rassurant, sécurisant de découvrir que les soignants vivent les mêmes choses. En effet, ils déclarent ne pas bénéficier pendant les stages de moments où les soignants les accompagnent dans la gestion des émotions liées aux situations difficiles. Ils se sentent plus formés au savoir-faire qu'au savoir être.

Ces échanges leur permettent de s'enrichir professionnellement, d'affronter certaines situations avec moins de crainte, d'évoluer et de se positionner. Ils disent se sentir reconnus par la présence des soignants et par la considération que les soignants ont accordé à leurs paroles.

Leurs témoignages révèlent l'importance qu'ils accordent à ces rencontres essentielles, leur souhait de voir se renouveler de façon régulière ces échanges « vrais ».

Les soignants. Quatre-vingt-deux soignants ont participé à cette initiative. À la question : « Situez sur une échelle de 1 à 6 votre degré de satisfaction quant au déroulement global », la moyenne a été de 5 sur 6.

Ils ont apprécié la richesse des échanges, le respect mutuel, l'écoute, et le non-jugement. Ils précisent que la mise en place de ces groupes de parole avec la participation de soignants est une initiative positive, qu'elle présente un intérêt professionnel certain pour les étudiants et pour eux-mêmes. Ils ont relevé l'intérêt de la confrontation des pratiques en milieu psychiatrique et en milieu général auprès des étudiants. Ces échanges leur permettent une remise en question quant à l'encadrement des étudiants. Les soignants souhaitent participer aux prochains groupes, et disent que ce projet doit être poursuivi.

Enfin, ils soulignent l'importance de développer ces structures dans les établissements de soins et témoignent d'une volonté de poursuivre une réflexion sur la pratique professionnelle avec leurs collègues des unités de soins.

L'animateur. Selon l'animateur, la direction prise par les groupes de parole semble bien être celle des objectifs fixés et rejoint l'esprit dans lequel l'équipe pédagogique de Forbach a souhaité mener ce travail en partenariat. La formation par alternance ne veut pas dire former l'un après l'autre, chacun de son côté, mais former ensemble. L'équipe pédagogique doit en être le garant.

L'animateur discerne dans ces rencontres une autre possibilité de cheminement à proposer aux étudiants. La création de nouvelles représentations conduit au changement, permet en toute conscience de modifier les pratiques professionnelles. Outil de changement, ces groupes de parole participeront au développement de certaines valeurs et postures des futurs professionnels : considération, respect, non-jugement, distanciation, éthique, positionnement, décision.

En outre, cette approche pédagogique s'est avérée source d'enrichissements, de réflexions, permettant à l'animateur de développer de nouvelles compétences. Il estime que ce type de structures donne la possibilité à l'étudiant de se révéler. Au cours de ces moments, il a découvert des étudiants différents autant par leur présence que par leur réflexion, à l'écoute, soucieux d'apprendre et de comprendre.

BILAN

La plupart des membres du groupe de travail ont également participé en tant que soignants ou étudiants aux groupes de parole et ont pu ainsi voir l'application du projet. Celui-ci a, sans conteste, fédéré des étudiants, des soignants et des formateurs, mais il atteste également de l'intérêt d'un travail en partenariat dans la formation de l'étudiant.

Serait-il utopique de croire que ces groupes de parole serviront à générer une culture de réflexion commune sur la pratique professionnelle ? De s'ouvrir à la critique et d'autoriser cette dernière sans jugement de valeur ? Permettre la critique, n'est-ce pas progresser ensemble ?

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