L'Inserm sème le trouble - L'Infirmière Magazine n° 216 du 01/05/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 216 du 01/05/2006

 

Délinquance

Éthique

Un collectif proteste contre le rapport de l'Inserm sur le trouble des conduites chez l'enfant, jugé « déterministe » et dangereux pour « le développement singulier de l'être humain ».

« Faudra-t-il aller dénicher à la crèche des voleurs de cubes ou les babilleurs mythomanes ? » Lancée en février dernier à l'initiative du collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans »(1), la pétition éponyme, avait déjà recueilli à la mi-avril plus de 174 000 signatures, débordant largement la sphère médicale qui l'avait initiée, pédopsychiatres en ligne de front. Parents, infirmières, enseignants, magistrats, citoyens... sont chaque jour plus nombreux à venir grossir les rangs des pétitionnaires. À l'origine de cette levée de boucliers, la publication, en septembre 2005, d'un rapport de l'Inserm, commandé par la Canam (Caisse nationale d'assurance maladie des professions indépendantes), dédié au trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent(2). Le cahier des charges de la Canam avait pour visée « une analyse approfondie des connaissances sur le trouble des conduites chez l'enfant avec l'objectif d'en améliorer le dépistage, la prévention et la prise en charge mais aussi d'identifier les recherches nécessaires à une meilleure compréhension des facteurs étiologiques et des mécanismes sous-tendant l'expression de ce trouble », précise le rapport.

pensée robotisée

Sur la démarche de la recherche, rien à redire car les besoins sont grands. Le repérage de troubles du comportement et la volonté d'une meilleure prise en charge ne sont pas non plus remis en cause. Mais le collectif pointe le caractère « prédictif » et « déterministe » de l'étude. En substance, un trouble du comportement chez un jeune enfant ne peut faire de lui un délinquant potentiel. « En stigmatisant comme pathologique toute manifestation vive d'opposition inhérente au développement psychique de l'enfant, en isolant les symptômes de leur signification dans le parcours de chacun [...] l'abord du développement singulier de l'être humain est nié et la pensée soignante robotisée ». S'agissant des réponses apportées en termes de soins, à partir de 6 ans, si les symptômes persistent, les experts préconisent des traitements psychostimulants et thymorégulateurs. Les pétitionnaires décèlent dans cette mesure les risques du développement d'une médecine comme outil de contrôle social.

« Zéro de conduite » met en garde sur l'instrumentalisation politique de ce rapport. Alors, rappelle-t-il, que le gouvernement prépare « un plan de prévention qui prône la détection très précoce des "troubles comportementaux" chez l'enfant, censé annoncer un parcours vers la délinquance. » Dans les faits, ses inquiétudes semblent fondées, puisque certaines orientations du rapport ont déjà été reprises dans l'avant-projet de loi sur la prévention de la délinquance, porté par le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy. Bref, un regard critique et une réflexion éthique ne seraient pas superflus dans le débat qui s'amorce !

1- http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org.

2- Le rapport peut être consulté sur le site de l'Inserm : http://www.inserm.fr.

TÉMOIN Françoise Janvier, infirmière scolaire.

« Rien n'est figé dans le temps ! »

« J'ai signé la pétition car je considère aberrant de vouloir cataloguer les enfants dès la petite enfance, lance Françoise Janvier, infirmière scolaire et adjointe au maire, chargée des affaires scolaires et sociales à Saint-Georges-de-Reintembault (35). Ce n'est pas parce que des enfants présentent des troubles comportementaux à un moment de leur vie qu'ils seront des délinquants. De nombreux critères jouent : l'âge, l'environnement familial, une fragilité passagère... mais rien n'est figé dans le temps. Il y a trois mois, nous avons accueilli un élève à la réputation détestable. Depuis, il est irréprochable. C'est l'exemple type de l'enfant qui a mûri, naguère sans doute pris au piège de l'étiquette qu'on lui avait collée. Un simple changement d'école lui a permis un nouveau départ. Concernant la prise en charge médicamenteuse préconisée par ce rapport, avant d'en arriver là, je pense qu'un accompagnement spécialisé peut dans bien des cas débloquer des situations. Parfois, quelques séances suffisent... »