La mort dans l'âme... - L'Infirmière Magazine n° 216 du 01/05/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 216 du 01/05/2006

 

Huguette Le Gall

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Rencontre avec

Ancienne infirmière, Huguette Le Gall anime à Rennes une association destinée à aider les personnes en fin de vie. Elle forme les accompagnants bénévoles à entendre la parole du mourant et de sa famille. Car, dans ces situations d'intense souffrance, « la bonne volonté ne suffit pas ».

Quand on dit qu'une personne va mourir, on pense généralement qu'elle est déjà morte, fait remarquer Huguette Le Gall. Pour moi, il n'en est rien. Au contraire, celui qui va mourir est toujours vivant. »

Cette ancienne infirmière a contribué à créer, en 1988, l'association Jalmalv ou « Jusqu'à la mort, accompagner la vie »(1). Chaque mois, avec une psychologue, elle aide les accompagnants de personnes en fin de vie à « relire ce que l'on a vécu avec les personnes mourantes ». Le soir de notre rencontre, elle aborde le sujet avec d'autres bénévoles de l'association rennaise.

mort d'un collégien

Quelques jours plus tôt, elle est intervenue dans un collège frappé par la mort d'un élève, des suites d'une maladie. Cent cinquante élèves sont réunis dans une salle. Ils sont tous très atteints par la mort de leur camarade. Malgré les larmes des jeunes, malgré leur détresse, Huguette Le Galle et l'infirmière de l'école parviennent à instaurer un échange. Pendant deux heures, au lieu d'une heure prévue initialement, les mots sortent. L'ancienne infirmière aide le groupe à exprimer une souffrance qui, autrement, se serait tue.

Éprouvant, difficile pour Huguette également, mais aller au-delà de ce que l'on ressent face à la mort est pour elle une nécessité. Un réflexe même. « Quand j'ai débuté en 1972 au chu de Rennes, dans ce qu'on appelait alors la Cité des vieillards - aujourd'hui on utilise par euphémisme le terme d'unité de long séjour pour personnes âgées -, j'étais de nuit. Je ne rencontrais que rarement les familles. J'avais donc pris pour habitude de leur écrire un petit mot quand leur parent disparaissait. J'essayais de décrire avec honnêteté les circonstances de la mort et de raconter le dernier moment. »

recréer un espace de parole

« Mettre des mots autour de la mort », selon l'expression utilisée par Huguette Le Gall, est la seule réponse qu'elle ait trouvée. « Accompagner l'autre, celui qui est mourant comme le parent ou le proche, faire un bout de chemin ensemble est la seule attitude possible. On s'aperçoit que tout le monde protège tout le monde, qu'il existe tellement de liens affectifs qu'on ne peut pas envisager la séparation... Alors, l'accompagnant bénévole, s'il ne peut pas imposer le lien, peut en revanche être un intermédiaire entre la personne en fin de vie et la famille en recréant un espace de parole. »

admise dans son propre service

Le regard porté par Huguette Le Gall sur la mort semble prendre sa source dans sa toute petite enfance. « J'avais trois ans et demi. Je me souviens de l'expression fixée sur le visage de mon père lorsqu'un jour, il est arrivé en disant que mon petit frère venait de décéder. J'aurais aimé alors trouver les mots pour réconforter mon père, tellement sa souffrance m'a paru grande... »

Après la gériatrie, où Huguette Le Gall commence sa carrière, les services s'enchaînent. Elle rejoint d'abord les urgences pendant deux années avant d'opter pour un service de traumatologie. Elle y restera un an. En 1977, elle obtient son diplôme de panseuse, « avec un a, note-t-elle avec humour. Aujourd'hui, on dit Ibode... C'est moins joli ! »

Huguette Le Gall entre alors au bloc, en neurochirurgie, avant d'être mutée, quatre ans après, en réanimation neurochirurgicale. Un parcours qui lui a fait côtoyer de nouveau la mort. « Aller à la rencontre des familles n'a jamais été un problème, même si ce n'était pas facile. »

Mais, en 1985, un problème de santé va changer radicalement sa vie. Elle est admise dans son propre service. Pourtant, elle reste positive - ou devons-nous dire lucide - et se dit qu'elle n'est pas dans le plus mauvais lit ! « Je n'y avais pas vu beaucoup de décès », remarque-t-elle avec humour. Désormais en fauteuil roulant, elle cesse d'exercer. Persuadée aujourd'hui que « la mort est plutôt enfermée à l'hôpital », elle s'efforce de « sortir » la fin de vie de l'univers hospitalier pour que la société s'en préoccupe.

Huguette Le Gall est très active dans le milieu associatif. Un temps, elle préside l'association de danse dans laquelle pratique sa fille. Et puis, en 1987, elle rencontre l'office des personnes âgées de Rennes. Elle n'est ni danseuse, ni... âgée, mais cela ne bride nullement son enthousiasme, ni son souhait d'apporter sa contribution. « Il faut être là où l'on est », dit-elle avec simplicité. L'Association des paralysés de France lui ouvre ses portes ? Surtout pas ! « Je n'avais pas envie d'être une handicapée parmi les handicapés. »

Près de vingt ans plus tard, cette mixité la ravit toujours. « Regardez, notre groupe de bénévoles est très mélangé ! Ce soir, une historienne de l'art est venue, mais sont présents également un agent hospitalier, une personne qui travaille dans l'immobilier, une secrétaire, une psychologue pour enfants, une infirmière... C'est du tout-venant, comme à nos débuts ! »

Un an après la rencontre avec l'office des personnes âgées, l'intérêt partagé pour l'accompagnement de personnes en fin de vie conduit à la constitution d'un groupe de parole. « Nous avons beaucoup réfléchi à la manière dont nous allions pouvoir travailler dans ce sens », explique Huguette Le Gall.

débuts difficiles

Cinq ans après, une formation a été imaginée pour préparer les premiers bénévoles. Et en 1994 seulement, les premiers accompagnements ont pu être effectués. « D'abord, devenir accompagnant ne s'improvise pas, souligne l'ancienne infirmière, devenue animatrice de la formation avec un médecin. Et puis, on ne rentre pas comme cela dans les maisons de retraite ou les hôpitaux, surtout pour aborder un sujet particulièrement difficile. Beaucoup de soignants avaient aussi l'image de la dame patronnesse venue faire sa bonne action. »

Après plus de dix ans d'activité, l'association Jalmalv Ille-et-Vilaine a trouvé sa place. Ses bénévoles interviennent dans sept établissements. Ils agissent même en étroite collaboration avec deux équipes mobiles de soins palliatifs. Mais, inlassablement, il faut bien expliquer comment leur action peut être complémentaire du travail des soignants. « C'est surtout une question de temps, précise Huguette Le Gall. Le problème des soignants est qu'ils courent après le temps. Nous, on vient en donner. Beaucoup de soignants pensent qu'ils devraient être formés à l'accompagnement de la fin de vie. Au contraire, dès leur diplôme, s'ils sont attentifs tout au long des soins, ils le seront dans les derniers instants de la vie. C'est important, on ne doit pas laisser ce moment particulier aux experts. »

préparés pendant 18 mois

La quinzaine de bénévoles présents au groupe de paroles de mars ne sont pas des experts. Mais, eux ont suivi un processus assez long de préparation à l'accompagnement. En moyenne, 18 mois sont nécessaires pour se retrouver un jour au chevet d'une personne en fin de vie. Après les groupes de parole, des sessions proposent de découvrir les différentes perceptions que l'on peut avoir de la mort, d'apprendre à gérer ses émotions, de prendre connaissance de la législation qui évolue... et de s'écouter pour bien identifier ses propres limites. L'objectif premier de la formation est bien d'apprendre à entendre. « On entend beaucoup de souffrance dans ces situations et la bonne volonté ne suffit pas. La parole de l'autre est quelque chose d'inattendu. »

Inattendu peut-être mais nécessaire à entendre car ce fil ténu peut lier à nouveau les proches et la personne qui va mourir. « Quand cet espace de parole est reconstruit, nous nous effaçons. Peut-être, un jour, quand chacun aura retrouvé sa place, l'association pourra disparaître ! »

OLIVIER QUARANTE

1- Jalmalv Ille-et-Vilaine fait partie d'une fédération nationale, reconnue d'utilité publique depuis 1993. Tél. : 02 99 53 48 82.

moments clés

- 1972 : après avoir obtenu son diplôme d'État à l'Ifsi de Vannes, Huguette Le Gall débute sa carrière d'infirmière à la « Cité des vieillards » à Rennes. Puis, elle travaille aux urgences, en traumatologie, en neurochirurgie et en réanimation.

- 1985 : un problème de santé la contraint à cesser d'exercer. Trois ans plus tard, elle crée Jalmalv Bretagne - Pays-de-Loire qui deviendra Jalmalv Ille-et-Vilaine en 1991. Les bénévoles de l'association interviennent dans les maisons de retraite, les hôpitaux, mais également chez les particuliers.

- 1994 : Huguette met au point une formation pour préparer les bénévoles à l'accompagnement de la fin de vie. L'ancienne infirmière intervient dans les Ifsi, auprès des aides-soignantes... et forme des professionnels en institution et à domicile.