Le parfum pour mémoire - L'Infirmière Magazine n° 216 du 01/05/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 216 du 01/05/2006

 

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L'odorat ravive les souvenirs d'antan... Pourquoi, alors, ne pas l'utiliser à des fins thérapeutiques ? C'est ce que proposent les ateliers olfactifs de l'hôpital Raymond-Poincaré. Leur mission : aider certains patients à se ressouvenir.

Une femme élégante traverse le couloir, appuyée sur sa canne anglaise. Ancienne professeur d'arts plastiques, cette femme a subi un accident vasculaire cérébral et souffre de troubles de la mémoire. Elle est victime d'une forme d'amnésie antérograde. Elle se souvient de faits survenus avant son accident mais, depuis cet événement, elle ne parvient plus à emmagasiner des souvenirs.

Depuis deux mois, elle se rend à l'atelier olfactif créé par l'unité de rééducation neurologique de l'hôpital Raymond-Poincaré à Garches (Hauts-de-Seine). Une fois par semaine, elle suit un parcours d'odeurs destiné à réveiller doucement en elle des brides de son passé récent. Car l'émotion procurée par une odeur stimule la mémoire.

une première en France

Depuis cinq ans, l'atelier est animé par Patty Canac. « Je ne suis pas issue du milieu médical, explique cette belle femme brune. Je suis experte en odeurs et en parfums. En tant qu'évaluatrice, je juge le travail de ceux que l'on appelle les nez. Je donne également des cours à l'Institut supérieur de parfumerie, à Versailles. Tout est venu de l'appel d'une membre de l'association CEW (cf. encadré). Elle s'était aperçue, après une visite en milieu hospitalier, que cet univers ne dégageait aucune odeur. Elle est venue me chercher et m'a proposé de créer un atelier olfactif afin d'aider les patients souffrant de troubles de la mémoire à retrouver leurs souvenirs. »

Au début du projet, Patty Canac tâtonne. Loin du glamour et des paillettes de l'univers des parfums, elle entre de plain-pied à l'hôpital.

voyage olfactif

Patty s'interroge d'abord sur les besoins des patients et sur le travail des soignants comme les ergothérapeutes ou les orthophonistes. « Il fallait que je parvienne à comprendre comment fonctionnaient les uns et les autres, explique-t-elle. Au départ, je venais pendant une heure et demie. Les séances se déroulaient avec des groupes de quatre à cinq personnes. L'idée était de les faire voyager avec les odeurs. Leur raconter en quelque sorte une histoire olfactive. Nous abordions des thèmes différents comme le voyage en forêt ou le goûter d'anniversaire. L'objectif était de faire communiquer les patients entre eux et de briser le barrage avec les soignants. Cela a d'ailleurs permis des rencontres entre voisins de chambre. » Pour certains patients du service, l'hôpital est soudain devenu un espace plus ludique.

très envie de communiquer

Très vite, les demandes affluent. Les professionnels de santé réalisent l'impact de cet atelier sur les malades. Lors de ces rencontres, certains, dont le système neurologique est très touché, se redressent et font des efforts pour sentir les petites bandelettes parfumées. « Ils présentent une posture plus dynamique, ajoute Patty Canac. En plus, certains ont de toute évidence très envie de communiquer leurs impressions. Ceux qui ne peuvent parler noircissent les ardoises. »

Devant le succès de ces séances, l'équipe du service et l'experte en parfums réfléchissent à un atelier qui durerait toute une journée. Plus personnel, guidé par le récit des familles, il permettrait de se concentrer sur le vécu du patient. Aujourd'hui, l'atelier de groupe se réunit le lundi. Le jeudi est réservé aux séances individuelles. Celles-ci durent une demi-heure, afin d'éviter une saturation olfactive.

« odothèque »

Face à Patty, assise près de l'orthophoniste, l'ancienne professeur d'arts plastiques respire les unes après les autres de petites languettes de papier blanc parfumées. Sur la table, sont posées des boîtes noires contenant des fioles étiquetées, aux termes variés : « mucus », « after-shave », « pain frais », « grenier », « essence »...

L'« odothèque » compte plus de deux cents odeurs. Lors de la séance précédente, cette femme s'était souvenue, en reniflant l'odeur du melon, que sa mère en achetait des caisses quand elle était enfant. Durant les deux dernières semaines, elle avait prononcé exactement les mêmes paroles. Elle ne parvient donc pas à figer le moment.

longue rééducation

Pourtant, aujourd'hui, elle a simplement ajouté : « Ah oui, je me souviens que je vous ai déjà raconté cela la semaine dernière ». Cet atelier ne vise pas les « résultats » à tout prix. Il est conçu pour redonner à des patients dont les fonctions neurologiques sont souvent gravement touchées la notion d'espace-temps. Chaque essence humée doit provoquer un souvenir, celui d'un geste ou d'un moment. « Cela vous emmène où ? », interroge sans cesse Patty Canac, consciente bien sûr de ne pouvoir faire de miracles.

« La rééducation neurologique, confirme Gaëlle Le Bornec, l'une des orthophonistes, cela se compte en années et cela représente beaucoup de souffrance. Ici, les patients posent en général leurs valises pour un long séjour. » Le travail de l'olfactothérapie se fait en parfaite collaboration avec les orthophonistes et les ergothérapeutes.

gaz et guimauve

« Les notions de plaisir et d'émotion sont très importantes, insiste Gaëlle Le Bornec. On tente de stimuler la mémoire par le souvenir de moments agréables. L'odeur évoque des sensations. Les patients peuvent se souvenir de parfums de l'enfance comme la guimauve, mais pas de la dernière fois qu'ils ont senti cela. » Réapprendre à reconnaître des parfums aide certains malades dans la vie de tous les jours.

C'est le cas de cet homme brillant, ancien chef d'entreprise, victime d'un accident vasculaire cérébral. Il a perdu une partie de ses facultés de mémoire. Il oublie tout au fur et à mesure. Lors de l'atelier, il parvient à discerner des odeurs. Aujourd'hui, sa faculté olfactive s'avère un réel soutien. S'il sent une odeur de gaz, par exemple, il va tout de suite se rappeler qu'il a allumé le four. Cet homme ne récupérera jamais sa mémoire mais son odorat lui permettra de mieux se guider dans la vie.

contact

Atelier olfactif, hôpital Raymond-Poincaré, unité de rééducation neurologique, 104, boulevard Raymond-Poincaré, 92380 Garches.

Tél. : 01 47 10 79 00.

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Beauté utile

« La beauté n'est pas futile mais aide à mieux vivre ! » Forte de ce postulat, l'association américaine CEW(1) a été fondée en 1954 outre-Manche avant de s'installer en 1986 en France, et ce grâce à la mobilisation d'une trentaine de fem-mes bénévoles.

Cosmetic Executive Women réunit plus de 240 membres qui occupent des postes clés dans l'ensemble des disciplines liées à la beauté : industrie, médecine, recherche, études, fabrication, commercialisation, distribution, services, finance, juridique, formation et communication.

Représentant les grandes marques de cosmétiques, elle rassemble des fonds visant à appuyer des projets caritatifs au sein de l'univers hospitalier.

C'est ainsi que CEW a mis en place, depuis 2002, des instituts de beauté mobiles dans les hôpitaux. On compte aujourd'hui, en France, dix instituts de beauté de ce type...

C'est le cas, notamment, à l'Institut Curie où les patientes qui viennent de subir une intervention chirurgicale peuvent gratuitement se faire maquiller, coiffer, épiler ou prêter des perruques...

Tout est mis à leur disposition pour se refaire une beauté... et retrouver doucement confiance en soi.