Les aînés se reposent sur le Laurier - L'Infirmière Magazine n° 216 du 01/05/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 216 du 01/05/2006

 

maison de retraite

Reportage

Le Laurier noble accueille près de 80 résidents âgés, atteints pour la plupart de la maladie d'Alzheimer. Ici, pas d'infantilisation ni de solutions faciles, un seul credo : l'autonomie...

Le paysage autour de la résidence du Laurier noble n'a rien de très bucolique. L'établissement inauguré en 2003 a été bâti au pied de grandes tours grises, juste à la sortie d'une bretelle de l'autoroute A1. Et pourtant, dès la porte d'entrée franchie, l'environnement hostile s'estompe au profit d'une architecture agréable, baignée dans la lumière d'un soleil hivernal qui pénètre par les immenses baies vitrées. Entre 70 et 80 résidents vivent dans cet Ehpad situé à Saint-Denis (93). Près de 80 % des pensionnaires de l'établissement sont atteints de la maladie d'Alzheimer.

Stimuler les sens

Francis Beddok, le directeur, s'emploie avec son équipe à optimiser la qualité de vie des résidents. « C'est assez difficile de les rendre pleinement heureux, reconnaît-il, la plupart de ces personnes sont ici malgré elles. Nous mettons tout en oeuvre pour que la maison soit la plus accueillante possible, pour les résidents comme pour les visiteurs. Mais nous devons aussi faire avec nos moyens. »

Les chambres sont disposées sur les trois étages. La salle commune a été aménagée au rez-de-chaussée, autour de l'escalier en colimaçon. C'est ici que sont pris les repas et que se déroulent la plupart des activités d'animation. Une télévision trône au fond de la pièce. « Je ne supporte pas de voir les résidents assis devant le petit écran, déclare Françoise, l'animatrice. Dans ce genre d'établissement, on infantilise les personnes et, par manque de temps, on les assiste trop. Faire de l'animation ne consiste pas à occuper les résidents. Les petits ateliers que je propose doivent aider les personnes à garder, voire à regagner de l'autonomie. Il faut trouver des activités qui stimulent les sens, les réflexes et la mémoire. »

Marcelle, 98 ans, est arrivée au Laurier noble en octobre dernier. « Je ne pouvais plus me débrouiller seule chez moi. Je n'arrêtais pas de tomber et j'en étais à ma septième fracture en quelques mois ! », confie-t-elle en souriant. Elle quitte rarement sa chambre, sauf pour les repas. « Je n'accepte pas de vivre au milieu de gens qui hurlent, précise-t-elle. J'ai eu une vie bien remplie, j'ai beaucoup voyagé et c'est sans doute pour cela que j'ai gardé la joie de vivre. » Ses enfants sont âgés (la plus jeune a 74 ans) et ne sont venus qu'une seule fois. « Quant à mes petits et arrière-petits-enfants, je ne les ai jamais vus. Il paraît que j'ai mauvais caractère ! », avoue-t-elle dans un grand éclat de rire ! Yvonne, 85 ans, a plus de chance. Depuis son admission, elle voit sa fille tous les deux jours. « Et en plus, elle m'appelle tous les soirs, ajoute-t-elle. Je ne me sens pas abandonnée, mais je m'ennuie, malgré tout. Je n'ai pas de contact avec les autres résidents. »

Recréer le lien

Le Dr Chouraki, médecin coordinateur au sein du Laurier noble, observe le comportement des résidents : « Avant d'arriver ici, la plupart d'entre eux n'avaient plus aucune relation de voisinage et n'allaient déjà plus vers les autres. L'institution sert aussi à recréer du lien entre les personnes. Et ce, grâce aux repas pris en commun, aux ateliers et différentes animations proposés. C'est peut-être cela le rôle essentiel d'une institution comme celle-ci. »

La parole aux proches !

La famille tient évidemment une place prépondérante dans l'équilibre des résidents. Tous n'ont pas la chance d'avoir des visites. Au début, les proches passent régulièrement, certains prennent leurs aînés pour un week-end. Puis doucement, ils s'effacent en évoquant diverses raisons : manque de temps, lassitude et démission devant la dégradation d'un être que l'on a aimé. « Il est difficile d'avoir devant soi son époux ou son parent qui ne vous reconnaît plus, qui vous insulte au cours d'une crise de démence », admet Marjorie, la psychologue du Laurier noble. Depuis quelques mois, elle coanime avec le Dr Chouraki un groupe de parole ouvert aux conjoints et, depuis peu, aux enfants de résidents. « Les familles abordent plus facilement le comportement des soignants que leur propre relation avec leur proche, remarque Marjorie. Elles sont plus revendicatives et ont beaucoup de mal à laisser agir le personnel. Comme si elles voulaient compenser ce sentiment de culpabilité d'avoir "abandonné" leur proche loin de leur foyer. Les problèmes d'intégration viennent plus souvent des familles que des personnes âgées. »

Rayon de soleil

Dans cet établissement, chacun a un rôle à jouer pour le bien-être des personnes âgées. « La plupart des résidents ne sortent quasiment plus, alors nous essayons de recréer au mieux une vie sociale, ajoute M. Beddok, et c'est donc important de faire venir la coiffeuse, le pédicure et des visiteurs bénévoles. »

Au premier étage, en effet, un petit salon de coiffure a été installé. Ce lieu est important pour les résidents. Claudine, coiffeuse à domicile, s'y installe chaque jeudi. « Souvent, quand j'arrive, quelques dames sont déjà sur le banc en train de m'attendre, confie-t-elle. Certaines m'appellent affectueusement "leur rayon de soleil" ! J'ai vraiment la sensation de leur apporter quelque chose. Se faire coiffer, c'est rester en vie ! Et tout ce qui peut ressembler à ce qu'elles ont connu avant d'être ici ne peut leur être que bénéfique. Ce petit moment passé en ma compagnie est aussi l'occasion, pour celles qui peuvent encore s'exprimer, de se confier sur leur vie, leur famille. »

C'est l'heure du goûter. Les auxiliaires de vie ont installé les résidents à leur place habituelle et le service peut se dérouler. Quatre femmes s'observent en silence. Parmi elles, Anne-Marie, 83 ans. « Je me trouve très bien au milieu de ces gens qui ont perdu la tête. Depuis que je suis ici, j'ai l'impression d'être déjà morte. Et, comme quand j'avais 4 ans, je fais ce qu'on me dit de faire... »

Au fond de la salle, la télévision, muette, diffuse un reportage animalier auquel personne ne prête attention.

Merci au directeur, au personnel du Laurier noble de m'avoir accueilli tout au long de ce travail. Merci à tous les résidents et aux familles qui ont accepté d'être photographiés.