Locaux à réhabiliter - L'Infirmière Magazine n° 216 du 01/05/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 216 du 01/05/2006

 

établissements

Dossier

Pénurie, manque de reconnaissance, relations tendues, pathologies très lourdes, horaires contraignants... Comme le montre l'étude Presst, le travail dans les hôpitaux locaux tient de la gageure...

L'hôpital local occupe, dans le système sanitaire français, une place paradoxale. Malgré le mouvement actuel de technicisation et de regroupement d'établissements, l'offre de soins de proximité et le travail en partenariat apparaissent de plus en plus nécessaires. Ils permettent de répondre à un certain nombre de défis : vieillissement de la population, maîtrise des dépenses de santé, maintien de l'offre de soin dans certains secteurs géographiques, etc. Pourtant, peu de travaux portent sur le travail et le rôle des soignants dans ces petites structures où il n'y a pas de médecins à demeure. L'exercice du métier y est-il différent, plus ou moins pénible, plus ou moins valorisant qu'ailleurs ? Un rôle propre soignant, voire aide-soignant, peut-il s'y développer, apportant ainsi des éléments plus généraux de réflexion sur la revalorisation de ces métiers ? Le rôle professionnel des soignants à l'hôpital local pourrait être plus affirmé que dans des établissements plus importants, leur rôle social peut également être l'objet d'une plus grande reconnaissance locale, favorisée par la proximité.

Peu de moyens

À l'inverse de ces hypothèses optimistes, l'hôpital local concentre également un certain nombre de difficultés : faible prestige, clientèle essentiellement composée de personnes âgées à faible revenu, remise en cause au nom de nouvelles normes de sécurité ou de qualité des petits établissements, part plus importante des personnels faiblement qualifiés (aides-soignants et agents de service), etc. Le manque de moyens et de personnel, surtout dans les unités où sont hospitalisées des personnes âgées, souvent perturbées psychologiquement, rend difficile la mise en oeuvre d'un véritable rôle propre soignant. Ce phénomène est d'autant plus mal vécu que le médical est peu développé et pourrait laisser la place à d'autres préoccupations. Les aides-soignantes se sentent cantonnées dans un travail routinier et fatigant physiquement, sans véritable reconnaissance.

En raison de la faible présence des médecins et de la nature des pathologies traitées (maladies chroniques liées au vieillissement, convalescence...), le travail médical curatif est, dans les hôpitaux locaux, moins présent que l'accompagnement et la prise en charge globale de la personne. L'idéal du rôle propre soignant pourrait donc s'y développer de façon tout à fait adaptée. Pourtant, selon l'étude Presst(1), les soignants des hôpitaux locaux sont, par rapport aux autres types d'établissements, ceux qui déclarent moins devoir prendre « beaucoup » d'initiatives dans leur travail (28,7 % contre 37,4 % pour l'ensemble des établissements) ; avoir la possibilité d'apprendre de nouvelles choses dans leur travail (50 % contre 68,4 % pour l'ensemble des établissements). Ils sont moins nombreux, selon leurs réponses, à avoir « beaucoup » la possibilité d'utiliser leurs compétences (24,3 % contre 38,2 % pour l'ensemble des établissements).

« Passionnée », surchargée

Malgré cela, les soignants des hôpitaux locaux sont les plus nombreux à trouver que leur travail a beaucoup de sens (75,5 % contre 70,5 % pour l'ensemble des établissements) et se disent aussi motivés que les autres. Les soignants interrogés disent aimer leur métier mais souffrir de mal le faire. « Mon métier est indispensable à l'amélioration de ma santé morale parce que je me sens réellement utile et les patients m'expriment souvent leur reconnaissance », déclare une infirmière sondée par Presst. « En 20 ans de service, je n'ai jamais été aussi passionnée [...] mais hélas, je déplore les conditions de travail, les emplois précaires, le manque de personnel qualifié. De plus en plus, en fin de journée, j'ai l'impression d'avoir fait ce que j'ai pu. Et le soigné dans tout cela ? » s'interroge une autre IDE.

Le désir de faire un métier que l'on sent utile et riche en rapports humains se heurte aux contraintes liées à une charge de travail très élevée. Les soignants des hôpitaux locaux sont les plus nombreux à déclarer ne « jamais » avoir le temps de parler aux patients (40 % contre 28,3 % pour l'ensemble de l'échantillon). Ils disent « souvent » ou « toujours » manquer de temps pour réaliser toutes les tâches (51,7 % contre 39,5 % pour l'ensemble de l'échantillon). Ces constats apparaissent d'autant plus regrettables que beaucoup de patients de ces structures sont des personnes âgées dépendantes.

Dans les structures de long séjour, le soignant se sent en lien avec les patients et en devoir de rendre ses soins plus personnalisés. Or, l'obligation d'effectuer les soins minimaux de base (lever des patients, toilettes, change des couches, aide à l'habillage, au repas, etc.) à un grand nombre de résidents dans un temps réduit, donne à beaucoup l'impression de faire « un travail à la chaîne » qui déshumanise le malade. « Le plus pénible, déplore une aide-soignante, c'est de faire beaucoup de "rendement" et pas assez de relationnel pour les patients en fin de vie. Le temps relationnel n'est pas un travail chiffrable, donc pas compté dans le travail. »

Relation sacrifiée...

La part relationnelle des soins semble « sacrifiée » devant l'obligation des soins d'hygiène ou d'aide à l'alimentation. De plus, c'est avec les mots théorisant le « rôle propre infirmier » que l'impossibilité de mettre la théorie en pratique est exprimée : « relation d'aide » ; « relationnel » ; « projets personnalisés », etc. Dans ce domaine, il est à craindre que les formations exacerbent le désir de bien faire mais aussi la souffrance liée à l'impuissance du soignant de retour dans son service. Les mots employés traduisent une forte culpabilité : « sacrifié », « volé » « au détriment »...

De tous les types d'établissements, les hôpitaux locaux sont ceux dans lesquels les soignants ont le moins le sentiment de pouvoir mettre en oeuvre leurs compétences dans le travail. De plus, mis à part les établissements privés à but lucratif, les hôpitaux locaux sont aussi ceux où la part de personnel n'ayant reçu aucune journée de formation dans les douze derniers mois est la plus élevée. Pourtant, parmi les infirmières, notamment, s'exprime le désir de professionnaliser la fonction de soignant afin qu'un vrai « rôle propre », adapté à ce qui est perçu du besoin des patients dans ces structures, puisse être mis en oeuvre.

Soins palliatifs

« J'ai passé un DU de soins palliatifs et on ne m'a pas donné la possibilité d'encadrer une équipe dans cette discipline », confie une infirmière. La comparaison avec les soins palliatifs est particulièrement révélatrice dans la mesure où les conditions de travail et l'organisation des soins dans les hôpitaux locaux apparaissent à bien des égards à l'opposé de ce qu'ont pu mettre en place les services de soins palliatifs : temps important pour parler au patient, organisation des soins adaptée au rythme et aux besoins de chaque malade, valorisation du soin et du relationnel, etc.(2)

Dans les hôpitaux locaux, la gestion standardisée des besoins physiologiques de base occupe la plus grande partie du temps, qui manque, du coup, pour développer une autre approche. Certaines en font le reproche aux médecins. « Le monopole du pouvoir médical empêche, dans mon institution de santé, l'ouverture aux médecines dites douces, estime une cadre. Ces médecines auraient leur place en secteur d'hébergement et de fin de vie. »

Dans les hôpitaux locaux, le manque de temps et de moyens, plus que le pouvoir médical, explique les difficultés à mettre en place une prise en charge plus globale. Les cadres infirmiers se retrouvent obligés de gérer la répartition d'une charge de travail élevée et donnent ainsi aux soignantes, notamment aux aides-soignantes, le sentiment d'être maintenues dans un travail routinier.

L'absence de médecins sur place, en dehors des visites, est plus une source de contrainte et de difficultés pour les soignants qu'une opportunité d'autonomie. Dans les hôpitaux locaux, 44,3 % des soignants se plaignent de l'absence fréquente, voire très fréquente, d'un médecin lors d'une urgence, contre 25,3 % pour l'ensemble de l'échantillon. De plus, les médecins « de passage » ne semblent pas toujours suffisamment impliqués pour prendre en charge des polypathologies parfois complexes. Toujours dans ces hôpitaux, 15,2 % des soignants estiment avoir fréquemment ou très fréquemment des prescriptions inadéquates d'un médecin sur un patient, contre 8,9 % pour l'ensemble de l'échantillon. Comme le remarque une aide-soignante, « les médecins se basent sur le moment présent et ne lisent jamais les transmissions sur l'état de leurs patients le reste de la semaine ». Dès lors, c'est dans les hôpitaux locaux que l'on déclare le plus souvent que les relations soignants-médecins sont hostiles ou tendues (28 % contre 16,9 % pour l'ensemble de l'échantillon).

Pathologies complexes

La difficulté à bien faire son travail de soignant se manifeste par un certain nombre de dysfonctionnements, perçus par les soignants, mais face auxquels ils se sentent impuissants. C'est par exemple le constat d'un accueil souvent « raté » avec les problèmes qui en découlent par la suite. Il faudrait du temps pour les résidents et les familles pour accompagner l'entrée dans un service de soins de longue durée. Mais cela n'est pas possible et les premiers jours et semaines se passent souvent mal. Pour une aide-soignante, le plus pénible est « la pression et la culpabilité de certaines familles vis-à-vis de leurs proches placés dans notre établissement, ainsi que la charge de travail importante due au manque de personnel ».

La difficulté du travail dans les hôpitaux locaux tient également à la nature des pathologies traitées. Les résidents, souvent âgés, y présentent souvent des démences ou des polypathologies. Or les soignants se plaignent, et l'enquête quantitative le confirme, de ne pas avoir les moyens et les compétences des centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie. « Patients grabataires et surtout très agressifs : nous nous faisons frapper tous les jours (coups de poings, gifles, crachats au visage...) », confie une aide- soignante.

L'hôpital local doit donc faire face à un certain nombre d'exigences avec des moyens plus modestes que d'autres structures. Cela est particulièrement net concernant les nouvelles normes de qualité qui valorisent bien plus la technicité et la sécurité formelle que la proximité. « La politique de restructuration hospitalière est fondée sur une rationalité technico-économique qui condamne les petites structures de proximité sur la base d'un mauvais rapport risque-coût ou qualité-coût. Le niveau requis pour assurer des soins en toute sécurité ou en toute qualité impliquerait un montant de frais fixe tel qu'un hôpital de proximité ne saurait raisonnablement l'amortir », note Gérard de Pouvourville (cf. encadré p. 11).

Symbole de cette nouvelle orientation dans les politiques de santé, l'accréditation fait l'objet de nombreuses critiques et plaintes. D'autant que les procédures de « traçabilité » s'ajoutent aux tâches antérieures sans modifications de celles-ci. Ces procédures semblent souvent peu appropriées, voire mensongères, aux soignants auprès des malades. Pour beaucoup d'infirmières, à la question « qu'est-ce qui vous semble le plus pénible dans votre travail ? », la réponse « la part importante de tâches administratives qui ne me permet pas d'être près des patients » (comme l'indique une infirmière) apparaît en première position. Cette formulation met le plus souvent en association, comme ici dans une même phrase, ou dans le thème placé juste après, l'impact négatif de cet aspect sur la qualité des soins.

Modèle industriel

Les plaintes exprimées traduisent souvent une incompréhension du mode de gestion et du manque de soutien et de discussion avec l'encadrement. Les raisons de certaines procédures, gourmandes en temps et en énergie, restent souvent opaques aux soignants qui, sur ce point aussi, mettent en balance le temps perdu pour la part relationnelle du soin.

Le manque de personnel a souvent conduit les cadres et les directions à promouvoir le rendement et la polyvalence. L'introduction d'un management pétri de concepts issus du monde industriel laisse perplexe. Souvent, les soignants cherchent à démontrer que le résultat en termes même de productivité est négatif. En effet, le soignant ne travaille pas avec des objets. La « motivation » pour un investissement relationnel conditionne l'efficacité des soins. Or, selon de nombreux soignants, certains modes de management conduisent à un retrait de l'investissement, pour ne pas trop souffrir de mal faire.

« C'est le principe du rendement maximum avec des effectifs minimum et il est parfaitement compréhensible que l'on ne puisse pas conserver un personnel motivé et fiable pendant très longtemps, ce qui nuit à la constitution d'équipes soudées et performantes », témoigne une infirmière.

Ces évolutions peuvent alors entraîner une menace sur les collectifs de travail. Ainsi, les hôpitaux locaux sont, avec les maisons de retraite, les établissements où les soignants déclarent le moins que les relations avec les collègues sont amicales et détendues. Or, l'entraide est, selon les soignants, l'une des richesses du travail auprès des malades. Elle est nécessaire pour les tâches physiquement pénibles, qui doivent garder de la douceur pour ne pas faire souffrir la personne manutentionnée. Elle est indispensable pour pouvoir partager et relativiser les émotions ressenties lors de l'écoute et de l'accompagnement de personnes souffrantes, anxieuses ou en fin de vie. Si cette entraide existe toujours, l'une des plus grandes craintes est que le nouveau management la réduise.

Horaires épuisants

« Le manque d'échanges entre le personnel soignant » en raison de la charge de travail décrite précédemment est également cité. D'où des propositions pour enrichir l'équipe. Les infirmières s'inquiètent aussi d'avoir la responsabilité de certaines tâches qui relèvent de l'administration au niveau même de la direction : « La responsabilité face à la sécurité des patients (soins, fugue, incendie...) toujours diluée dans la fonction publique : "faites un rapport et vous serez couvert...". Mais le problème reste entier à la base et le danger est le même », note une IDE.

Si la gestion et l'administration locale sont critiquées, est dénoncée plus globalement la confrontation entre les politiques de santé annoncées et la réalité qui s'impose à elles. Certaines voient même dans l'accréditation l'occasion de révéler les carences (cf. encadré p. 8). « À l'heure actuelle, on parle de supprimer tous les contrats CES dans l'établissement (il y en a 16). Qui fera leur travail ? Nous, comme d'habitude et après tout ça, on nous parle de qualité des soins », objecte une infirmière.

Ce travail difficile physiquement et psychologiquement est d'autant plus mal vécu que le métier de soignant ne favorise pas un retrait vers la vie privée comme mode alternatif d'épanouissement de soi. L'équilibre entre la vie de famille et le travail est souvent marqué par l'impact négatif du second sur la première. Travailler dans un hôpital local, c'est le plus souvent avoir peu de temps de trajet, et vivre dans un environnement rural où l'on espère un mode de vie avec du temps pour la famille et les enfants. Mais les nécessités de réaliser chaque jour les soins de base aux patients dépendants obligent à des modifications vécues comme incessantes.

Une aide-soignante déplore « l'impossibilité de planifier sa vie familiale car les horaires et les jours de travail changent tout le temps ». « Le changement permanent des plannings et des congés annuels qui ne permettent pas d'organiser une vie de famille à long terme » est cité en premier par une IDE.

Plaintes amères

Pour faire face à l'importante charge de travail et aux problèmes d'effectifs posés par le passage aux 35 heures, les hôpitaux locaux ont particulièrement eu recours au système des horaires coupés. Ils obligent les soignants à venir tôt le matin pour s'occuper du lever, des soins d'hygiène et du petit-déjeuner des résidents. Puis, en milieu de journée, quand le travail est moins important, les soignants rentrent chez eux pour ne revenir que pour le repas du soir ou le coucher. Les journées ont alors une grande amplitude horaire entrecoupée d'un large temps libre souvent peu utilisable (les enfants sont à l'école, le conjoint ou les amis travaillent). Cette gestion du temps, en outre, renforce le sentiment des aides-soignantes et agents de service d'être cantonnés aux activités les plus mécaniques et répétitives, sans pouvoir profiter des moments de moindre activité pour se consacrer au travail relationnel ou d'animation. Les hôpitaux locaux sont ceux où les soignants déclarent le plus avoir des horaires coupés (cf. encadré p. 9). Une aide-soignante préconise de les abolir : « Trop fatigants. Se lever tôt le matin, se coucher tard le soir. J'ai l'impression d'être tout le temps à l'hôpital. »

Les difficultés éprouvées par les soignants dans les hôpitaux locaux concernent la plupart des établissements hospitaliers et ne sont pas nouvelles. Elles ont d'ailleurs été mentionnées dans des enquêtes antérieures(3). Mais elles apparaissent accentuées dans les petites structures. Si les hôpitaux locaux semblent proches, pour un certain nombre de problèmes, des maisons de retraite et des cliniques privées à but lucratif (forte charge de travail, nombre élevé de patients par soignants, glissement des tâches, fortes contraintes de temps), la situation y est pourtant vécue plus difficilement. Par rapport aux maisons de retraite, les patients y sont souvent atteints de pathologies plus lourdes. Ils nécessitent une prise en charge médicale et psychologique que les soignants n'ont pas toujours l'impression de pouvoir assumer.

Par ailleurs, si dans les cliniques privées domine également le sentiment de course à la productivité, l'obligation d'effectuer des tâches au dessus de ses qualifications, les plaintes sont plus nombreuses et plus amèrement exprimées dans les hôpitaux locaux pour au moins deux raisons. Tout d'abord, le travail semble y être globalement moins reconnu et valorisé symboliquement par la hiérarchie et les médecins et ensuite les attentes des soignants y sont sans doute plus importantes. Tout ce passe comme si certains soignants des cliniques privées avaient intériorisé l'orientation lucrative de leur établissement et fait le deuil de leur fonction sociale, d'autant que les malades traités ont souvent été « triés » sur des critères économiques (clients solvables) et médicaux (pathologies courantes et rentables).

Obligation morale

Au contraire, ceux des hôpitaux sont confrontés à des situations sociales et médicales souvent plus difficiles et se sentent moralement impliqués par ce que certains appellent le « sens du service public ». Mais cette obligation morale de bien faire avec des moyens limités est alors épuisante.

« Un personnel plus étoffé aiderait à apporter un soutien psychologique, relationnel et communicatif plus riche aux résidents, observe une ASH. En effet, le personnel est restreint, donc l'équipe est vite épuisée, car il faut essayer de répondre à chacun des résidents qui sont très demandeurs psychologiquement. »

1- Enquête Presst (Promouvoir en Europe santé et satisfaction des soignants au travail), menée en France dans 55 établissements de cinq régions, dont huit hôpitaux locaux. Parmi les 5 376 questionnaires analysés, 383 provenaient de soignants exerçant dans les hôpitaux locaux. Pour plus de renseignements sur l'enquête Presst : http://www.presst-next.com.

2- Bien mourir, sociologie des soins palliatifs, Michel Castra, PUF, collection « Le lien social », 2003, 365 p.

3- Estryn-Béhar, 1997 ; Loriol, 2000 ; Vega, 2001.

Une version étoffée de cet article a été publiée dans Gestions hospitalières n° 429, pp. 603-611.

témoignage

« DOIT-ON CHOISIR QUI LAISSER MOURIR ? »

« Pensez-vous que l'on puisse faire de la qualité lorsqu'une seule infirmière doit s'occuper de 78 patients ? interroge une infirmière sondée par Presst. N'hésiteriez-vous pas à mettre vos proches dans un tel hôpital ? Malgré la meilleure volonté du monde, cela est insurmontable. Il faut que l'on reconnaisse notre métier comme un travail "humain" et donc qu'on nous laisse le temps de discuter avec nos patients. Le meilleur remède n'est-il pas le dialogue ? J'espère qu'enfin les politiques prendront conscience que pour faire de la qualité (vive l'accréditation !) et soigner les patients humainement, il nous faut des moyens, surtout en personnel pour les équipes de jour comme de nuit. Vous sentiriez-vous en sécurité si vous saviez qu'une seule infirmière doit prendre en charge 156 patients la nuit ?

Quel choix doit-elle faire si deux patients font un malaise en même temps ? Doit-elle choisir qui elle laissera mourir ?

Je pense qu'en obtenant du personnel nos conditions de travail seront meilleures et par conséquent notre santé aussi. »

Horaires coupés

Les hôpitaux locaux sont ceux où les soignants déclarent le plus avoir des horaires coupés : 47,4 % contre 15,3 % pour l'ensemble de l'échantillon Presst.

personnels

LASSES, LES AS !

Dans les hôpitaux locaux de l'échantillon Presst, les aides-soignantes représentent 46,7 % des répondants contre 29,2 % dans l'ensemble des établissements. Leurs plaintes les plus fréquentes concernent le travail physique. Manutentionner des malades dépendants, faire des changes ou des toilettes à la chaîne, favorise un vécu douloureux avec peu d'espoir d'améliorations. « Le plus pénible, je pense que c'est le poids des résidents que nous devons porter, mais aussi la rapidité avec laquelle nous devons effectuer nos tâches par rapport au manque de personnel, souligne une aide-soignante. Le travail est plus ou moins bien fait. »

La crainte d'un retentissement grave sur la santé est souvent évoquée. Dans beaucoup de réponses, la fonction d'aide-soignante en hôpital local est décrite comme physiquement usante, pouvant déboucher sur un arrêt anticipé d'activité : « 54 ans, demain la retraite (j'espère) mais il y a dix ans je ne pensais pas arriver à la retraite : sciatiques et lombalgies depuis l'âge de 20 ans et 20 ans de long séjour », confie une aide-soignante.

Les contraintes physiques sont d'autant plus mal vécues que, globalement, les AS ont le sentiment de ne pas être véritablement reconnues comme soignantes, sauf quand le personnel plus qualifié manque.

référence

POUR EN SAVOIR PLUS

> Un personnel invisible : les aides-soignantes à l'hôpital, Anne-Marie Arborio, Paris, Anthropos, collection « Sociologiques », 2003.

> Bien mourir, sociologie des soins palliatifs, Michel Castra, PUF, collection « Le lien social », 2003.

> Stress et souffrance des soignants à l'hôpital, Madeleine Estryn-Béhar, Estem, 1997.

> Le temps de la fatigue, la gestion du mal-être au travail, Marc Loriol, Anthropos, collection « Sociologiques », 2000.

> Le Salarié de la précarité, Serge Paugam, PUF, collection « Le lien social », 2000.

> « Rationaliser le système de soin : efficience et équité », dans Quelle médecine voulons-nous ?, Gérard de Pouvourville (sous la direction de Martine Bungener), La Dispute, 2002.

> Une éthnologue à l'hôpital, l'ambiguïté du quotidien infirmier, Anne Vega, éditions des archives contemporaines, 2000.

Toujours plus !

Les soignants des hôpitaux locaux sont deux fois plus nombreux que la moyenne de l'échantillon à laver, habiller et nourrir les patients plus de dix fois par jour. Ils sont également 59,6 % à prendre en charge plus de 15 patients contre 46,1 % en moyenne.

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