Droit à la différence dès la crèche - L'Infirmière Magazine n° 217 du 01/06/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 217 du 01/06/2006

 

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Horizons

Le décret d'août 2000 relatif aux structures d'accueil dédiées à la petite enfance stipule qu'elles « concourent à l'intégration sociale des enfants ayant un handicap ou atteints d'une maladie chronique ». Illustration concrète à Lyon, où des crèches « ordinaires » accueillent des enfants handicapés.

Confortablement installés sur un vaste tapis, une dizaine d'enfants sont en train de jouer. Au premier regard, rien ne les différencie, sauf que certains sont plus remuants que d'autres... Depuis 1991, deux tiers d'enfants valides (âgés de trois mois à quatre ans) et un tiers d'enfants handicapés (âgés d'au plus six ans) partagent ainsi des moments de vie au sein de la crèche « Une souris verte ». Sa directrice, Marie-Charlotte Orjollet, puéricultrice de formation, explique que ce centre multi-accueil est né « grâce à la volonté d'un groupe de parents - composé notamment d'un médecin, d'un kinésithérapeute, d'une infirmière... - qui recherchait un lieu de garde ordinaire pour leurs enfants handicapés. Seuls ceux présentant de trop gros troubles de comportement ou trop fortement médicalisés peuvent être refusés. »

groupes équilibrés

Cette crèche reste en effet un lieu de vie ordinaire puisque c'est à l'extérieur, auprès des structures spécialisées, que les enfants handicapés continuent de bénéficier de leur suivi thérapeutique. « Leur planning de présence est donc organisé pour concilier toutes ces obligations, précise la directrice. Je veille aussi à constituer des groupes équilibrés. Je considère par exemple qu'un enfant polyhandicapé représente la même charge de travail qu'un bébé. »

Autre particularité du lieu : les enfants ne sont pas divisés par groupe d'âge car ils participent en commun à une ou plusieurs activités. Chacun selon ses envies et ses capacités... Des « passerelles » s'établissent : « Les enfants atteints de trisomie 21 partagent les mêmes mimiques de jeux que les autres... Parfois, un groupe en train de courir s'arrête et se met à ramper, pour imiter le petit copain seulement capable de se traîner par terre. Nous veillons aussi à ne pas laisser à l'écart un enfant qui ne bouge pas. Ils goûtent également tous ensemble. Ceux qui ne peuvent pas être alimentés par la bouche sont nourris par leur bouton de gastrostomie. »

indispensable souplesse

Il reste néanmoins des conflits difficiles à gérer. « Tous les enfants ont besoin qu'on leur fixe des limites. Ceux qui mordent sont souvent des non-handicapés ! » Mais, le plus délicat, c'est lorsque la crèche se trouve en présence de gros troubles de comportement, que l'enfant est agité, qu'il jette ses jeux... « Il faut alors expliquer aux autres que c'est sa manière de s'exprimer, car il est incapable de parler. On ajoute qu'agir avec violence n'en demeure pas moins une mauvaise solution ! », précise Marie-Charlotte Orjollet.

L'équipe de la crèche bénéficie en outre des conseils d'une psychomotricienne. Elle montre comment positionner un enfant, propose des activités sensorielles à base de tissus, farine, semoule, eau... Une ergothérapeute intervient également durant quelques heures (elle donne notamment des astuces pour adapter du matériel de puériculture basique à des enfants handicapés). « En définitive, conclut Marie-Charlotte Orjollet, ce genre d'accueil exige une grande motivation mais aussi une souplesse d'organisation : à chaque départ de journée, l'activité est décidée en fonction des enfants présents, de l'ambiance du groupe, de la professionnelle qui est là... Dans notre aménagement matériel, rien n'est fixe, tout bouge justement pour pouvoir garantir cette réactivité. »

jardin des enfants

C'est encore à Lyon, dans le quartier des HLM de La Duchère, que s'est ouvert dès 1990 un autre établissement précurseur. Brigitte Depardieu, puéricultrice, est depuis 2002 responsable de cette halte-garderie, qui réserve six places par jour (sur un total de 24) à des handicapés pour la plupart infirmes moteurs cérébraux. Le « Jardin des enfants » a été créé à l'initiative du centre d'action médico-sociale précoce (CAMSP). Ces deux structures sont aujourd'hui placées sous l'autorité d'un même directeur. Le CAMSP, dont les locaux sont mitoyens avec le « Jardin des enfants », assure le suivi thérapeutique tandis que la crèche reste un lieu de vie ordinaire. « Nous prenons le relais des parents ; ils peuvent continuer de travailler et d'avoir une vie sociale. Tout comme ces parents, nous prenons en charge certains soins spéciaux qu'imposent par exemple une sonde urinaire, un anus artificiel avec une poche externe, le nourrissage par gastrostomie... », observe Brigitte Depardieu. Et d'expliquer le cas d'une petite fille qui avait besoin d'un soin infirmier non déléguable. « Du coup, elle venait les jours où j'étais présente et on faisait aussi appel à une infirmière extérieure en libéral pour compléter. »

des bras et des jambes

L'intérêt de cet accueil précoce est de sociabiliser les enfants et de simplifier leur intégration dans d'autres structures, dès l'âge de quatre ans. « Ici, au départ, j'insiste pour les accueillir un minimum de deux journées entières par semaine car plus les enfants viennent, plus ils s'adaptent vite... », souligne Marie-Charlotte Orjollet. Cela permet au personnel de mieux les connaître : « Comme certains enfants ne parlent pas, il faut apprendre à cerner leurs souhaits. » Nombre d'entre eux ont aussi des problèmes de déplacement moteur : pour les aider à partager les activités du groupe, le personnel leur sert souvent de bras et de jambes ! « Par exemple, au toboggan, il faut pouvoir les soulever et retenir leur glissade. »

Accueillir des enfants non valides peut sembler être une trop lourde charge, mais comme l'indique Marie-Charlotte, c'est souvent « en menant des projets particuliers qu'une équipe se dynamise et est soudée ! ». Certains enfants demandent une attention permanente, il est essentiel par conséquent que le personnel s'entende suffisamment bien pour être capable de se relayer auprès d'eux !

accueil « républicain »

Une réunion hebdomadaire est d'ailleurs organisée : « Parler des problèmes en groupe permet parfois de trouver de bonnes solutions. Et le fait que notre directeur soit un psychologue aide aussi ! » De plus, dès l'ouverture de la crèche, le conseil général a pris en charge un poste supplémentaire d'éducateur de jeunes enfants pour cinq places réservées en permanence à des enfants porteurs d'un handicap.

Nicolas Eglin, directeur de l'association « Une souris verte », explique qu'un réseau collectif (financé par la ville et la CAF), intitulé « Différences et petite enfance », regroupe aujourd'hui différents acteurs de ce secteur à Lyon, dont 37 crèches associatives et municipales. Des ateliers, des soirées-débats, la publication d'une feuille d'information permettent aux professionnels concernés d'échanger leurs expériences dans ce domaine encore précurseur mais qui devrait logiquement se développer en France... Au « Jardin des enfants », on parle, à juste titre, d'un accueil « républicain » !

en savoir plus

- Pour contacter les deux puéricultrices interviewées dans cet article :

> unesourisverte@wanadoo.fr

> jardin.enfants@arimc-ra.org

zoom

Formations

« Une Souris verte »(1) comprend également un centre de formation qui propose notamment des sessions de quatre jours aux assistantes maternelles et de six jours (900 Û) aux autres professionnels de la petite enfance (éducateur, puéricultrice...). « Au cours de ces modules, précise le directeur associatif, Nicolas Eglin, une réflexion est menée sur les caractéristiques de différents types de déficiences. On présente aussi toutes les structures partenaires ouvertes aux personnes confrontées à une question liée au handicap. Ainsi, l'une des missions des centres d'action médico-sociale précoce est d'accompagner la démarche d'intégration menée par les lieux de vie ordinaires. On évoque aussi l'accompagnement nécessaire des familles ».

1- Une souris verte formation.

Tél. : 04 78 60 52 59.

Mél : formation@ unesourisverte.org.

Site : http://www.enfantdifferent.org.