Les oubliés du royaume - L'Infirmière Magazine n° 217 du 01/06/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 217 du 01/06/2006

 

Maroc

Reportage

Le dispensaire franco-marocain de Magdaz, juché dans les montagnes du Haut-Atlas, témoigne du désastre sanitaire de certaines régions du Maroc : malnutrition, isolement, pénurie de structures et absence de réelle politique de santé publique.

Sept heures du matin. Le soleil se lève sur les contreforts rouge cinabre de Magdaz, petit village berbère accroché à 2 500 mètres d'altitude de la province de Tadla-Azilal dans le Haut-Atlas marocain. Plusieurs milliers de personnes vivent dans ces douars dispersés, agrippés à la montagne aride. Prisonniers du temps, isolés de tout et des trop rares centres de soins.

Contrées enclavées

Particulièrement enclavées, ces grandioses contrées berbères cumulent les handicaps. Absence d'électricité et de réseau de téléphone, moyens de transport peu développés ajoutent aux difficultés du relief et compliquent le transfert des malades.

C'est un peu pour rompre cet isolement et pallier l'inaccessibilité des soins que l'association franco-marocaine Tassadour a décidé de construire en avril 2004 le dispensaire de Magdaz. Chaque jour, Clémence, l'unique infirmière, aidée d'une interprète berbère, Khadidja, reçoit en consultation des patients venus de toute la circonscription. « La solitude, je la ressens davantage sur le plan professionnel. Je suis souvent contrainte d'établir un diagnostic. Une fois par mois, je vais voir les médecins du centre de soins de Demnate afin de solliciter leur avis. »

La visite au médecin de Demnate, la ville la plus proche, implique un trajet de quatre heures en transit, quand ce n'est pas à dos de mule. Et une fois sur place, autant s'armer de patience, car l'attente est longue ! Les médecins n'y sont pas légion. Le nombre total de généralistes répertoriés au Maroc est d'environ 14 000. Mais leur répartition est inégale. Plus de 6 200 d'entre eux exercent du côté de Rabat et de Casablanca (1 praticien pour 900 habitants). La région de Tadla-Azilal doit se contenter d'un médecin pour plus de 4 000 habitants !

Face à cette pénurie de structures médicalisées, l'activité du dispensaire s'articule avant tout autour d'actions de prévention. Les revenus de la majorité des foyers n'excédant pas 150 Euro(s) par an, la population vit dans un dénuement extrême, dans des habitations insalubres, sans chauffage ni eau courante. Conséquences : des conditions d'hygiène insuffisantes entraînant infections et carences. « Je fais un gros travail d'information, explique Clémence, pour démontrer que certaines infections peuvent être évitées avec une bonne hygiène : lavage des mains, des dents... Les conditions de vie n'aident pas. Les femmes et les fillettes passent du temps dans le fournil pour la préparation des repas et se retrouvent longuement exposées à une fumée acre et constante. Résultat : une simple toux peut dégénérer en pneumopathie... »

Carences alimentaires

De nombreux problèmes sont liés à la malnutrition. « Les carences alimentaires sont graves. Quand un enfant de deux ans mesure 60 centimètres, il développe des troubles psychomoteurs. Fragilisé, il souffre de bronchites susceptibles d'être mortelles. »

« Les aliments doivent être riches en iode et en fer afin d'éviter l'apparition de goitres et les avortements spontanés, ajoute le Dr Jaouad, médecin chef à Demnate. Il faut améliorer l'hygiène du milieu, en installant un réseau d'eau potable pour éviter le paludisme et les maladies à transmission hydrique. »

La moitié des femmes enceintes sont anémiques, plus d'un tiers des enfants de moins de cinq ans présentent les mêmes carences en fer et en iode et souffrent d'un retard de croissance.

Chiffres alarmants

Au Maroc, quatre femmes en moyenne meurent chaque jour pendant leur grossesse ou lors de l'accouchement. Un chiffre deux à trois fois plus élevé que dans certains pays arabes et vingt fois plus élevé qu'en Occident. Selon la dernière enquête nationale, le taux de mortalité maternelle avoisine 227 décès pour 100 000 accouchements : 125/100 000 en milieu urbain contre 307/100 000 en milieu rural.

La majorité de ces décès résultent d'infections, d'hémorragies ou d'avortements pratiqués dans de mauvaises conditions : autant de situations dont pourraient venir à bout des agents sanitaires formés. Depuis peu, l'hôpital de Demnate possède un bloc opératoire obstétrique flambant neuf... Ironie amère : l'unique gynécologue ne peut y officier faute de personnel infirmier. Le Maroc manque cruellement de personnel paramédical sans compter l'inégalité de leur répartition géographique : par exemple, les sages-femmes sont sept fois moins nombreuses dans la région de Tadla-Azilal.

Le taux de mortalité infantile atteint à l'échelon local des sommets alarmants. Officiellement, il s'élève à 47/1 000 pour la région. Mais une enquête menée par Pierre Labadie, premier infirmier installé au dispensaire de Magdaz, dans les principaux villages voisins, révèle des chiffres allant de 180 à 250 décès pour mille ! Au sein de Tassadour, la consternation règne à l'annonce de tels résultats. D'où l'importance de pérenniser l'activité de ce type de dispensaires !

Le gouvernement marocain a annoncé sa volonté de renforcer le nombre de personnel de santé qualifié et la formation des infirmiers a déjà été revalorisée. Mais le budget du Maroc en matière de santé reste nettement inférieur à celui d'autres pays à revenu comparable. Les dépenses publiques locales sont presque insignifiantes : à peine 1 %. Et reposent pour près de 60 % sur les ménages.

Accès aux soins limité

Une enquête nationale de 1999 sur le niveau de vie des ménages démontrait qu'un tiers de la population s'abstenait de recourir aux soins de santé faute de moyens(1). Théoriquement, l'accès aux soins est gratuit sur présentation d'un certificat d'indigence. Mais cela demeure théorique, selon de nombreux témoignages de patients et un rapport de la banque mondiale sur le financement de la santé au Maroc.

1- Seuls 15 % des Marocains bénéficient d'une assurance maladie, presque tous sont des citadins.