« Pour la sécurité affective » - L'Infirmière Magazine n° 217 du 01/06/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 217 du 01/06/2006

 

Obstétrique

Questions à

Gynécologue-accoucheur à la maternité des Bluets à Paris, Évelyne Petroff guide les futurs parents vers la naissance en fonction de leur histoire.

Pourquoi donner une telle place à l'environnement psychologique du couple avant la naissance ?

J'ai suivi des patientes sans pathologie médicale (médicalement normales), mais qui gardaient des mauvais souvenirs de leur accouchement. Par la suite, cela engendrait des relations difficiles entre elles et leurs bébés. Avec les données récentes de la science, on sait que certaines choses profondes s'impriment dès les premiers instants de la vie. On connaît aujourd'hui la dépression des bébés. Certains vécus peuvent être délétères pour le nourrisson. Le suivi de grossesse, l'accouchement et le suivi post-partum doivent être les plus complets possibles, sans gêner les liens qui se forment entre les parents et le bébé. Il faut pouvoir dépister les troubles de la relation parents-enfants.

Vous parlez beaucoup de psychanalyse et d'haptonomie dans votre livre(1). Pensez-vous que les médecins soient suffisamment formés à l'écoute ?

L'écoute prend de plus en plus de place mais cela reste insuffisant. Les décrets récents de périnatalité ont fait avancer les choses mais les médecins et les sages-femmes ont tendance à trop déléguer les éventuels problèmes au psychologue du service. C'est dommage. Pour moi, la dichotomie entre le technique et l'humain n'est pas possible. Cela fait vingt ans que je vois des patientes victimes de problèmes psychologiques. Nous les accueillons ici aux Bluets. Il est important de les laisser exprimer leur vécu personnel. Les bébés méritent de recevoir une sécurité médicale et affective. Nous devons être attentifs aussi bien aux problèmes de diabète d'une patiente qu'à ses cauchemars. C'est cela la vraie médecine. N'oublions pas que 10 à 20 % des femmes sont aujourd'hui gravement déprimées après la naissance. Les places en unités mère-enfant sont encore trop limitées. Il est dommage que le passage du couple à la maternité ne soit pas le moment de dépister les problèmes. Grâce à notre expérience, on peut aider les gens à passer ce cap. Nous pouvons amorcer un nouvel élan et organiser au mieux le suivi en ville avec un réseau de soutien parents-enfants.

Considérez-vous la naissance comme un acte surmédicalisé ?

Je suis pour une médicalisation réfléchie et expliquée. Quand on est confronté à une hémorragie de la délivrance, la prise en charge médicale ne va évidemment pas gêner la relation entre les parents et l'enfant mais la favoriser en soignant la mère. Le relationnel est aussi important. Il faut, par exemple, expliquer après l'urgence tout ce que l'on a dû faire et laisser la patiente exprimer ses ressentis. On a également un devoir d'information. Dans les pays nordiques, la grossesse est considérée comme a priori normale. Elle est considérée, en France, comme a priori pathologique... Je ne veux pas m'inscrire ici dans ce débat. Ce n'est pas la question de savoir si on est médical ou pas. C'est une réflexion sur soi-même en tant que soignant. Aujourd'hui, on peut être en même temps dans le relationnel et le médical. C'est l'un et l'autre, non l'un ou l'autre.

Quelle est la place des infirmières dans les maternités ?

Elles sont présentes en salles de naissance et en suite de couches. Je leur transmets ces notions de relationnel parfois difficiles quand les patientes sont déprimées ou rendues agressives par l'intensité de leur détresse. L'écoute est à la portée de tous dans une maternité, de la femme de ménage au chef de service. Il faut toujours se remettre en question. Ce que pétrit un enfant dans sa chair, ce sont les émotions de ses parents. Il faut donc faire attention à tout ce qui pourrait blesser les femmes et les couples.

Comment améliorer la prise en charge de la naissance en France ?

Le XXe siècle a connu des avancées techniques extraordinaires. Il faut désormais améliorer le suivi de grossesse et l'accompagnement à la parentalité, en dépistant les risques médicaux et en offrant le meilleur plateau technique. Il faut aussi dépister les risques psychologiques et sociaux. Le travail des sages-femmes doit être valorisé. Les mentalités évoluent dans notre pays : le congé paternité a changé des choses dans la relation à l'enfant. L'instauration récente de l'entretien du quatrième mois et le soutien de la préparation à la naissance et à la parentalité (cf. recommandations de la Haute autorité de santé et plan de périnatalité) vont être des atouts précieux aux professionnels de santé pour ces objectifs. Je suis et je reste une avocate des bébés.

1- Carnets d'une obstétricienne, Évelyne Petroff, collection : « La Cause des bébés », Albin Michel.

Évelyne Petroff Gynécologue-obstétricienne

Depuis 1986, Évelyne Petroff exerce la fonction de gynécologue-obstétricienne à la maternité des Bluets à Paris. Également membre fondateur de l'association « La cause des bébés » depuis 1989 et formatrice à la préparation à la naissance depuis 1998, elle enseigne parallèlement à l'école de sages-femmes de Baudelocque depuis 1999 ; elle est de surcroît formée en haptonomie depuis 1986.