Protéger l'enfance maltraitée - L'Infirmière Magazine n° 217 du 01/06/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 217 du 01/06/2006

 

une unité pédiatrique nantaise

24 heures avec

Le diagnostic de maltraitance chez l'enfant est délicat à poser. Au sein de l'unité pédiatrique du CHU de Nantes, une équipe pluridisciplinaire démêle le vrai du faux, évalue le niveau de danger et prend en charge les enfants maltraités.

Au rez-de-chaussée du service de pédiatrie du CHU de Nantes face à la Loire, le Dr Georges Picherot, chef des urgences pédiatriques, vient d'ausculter un jeune enfant avec un collègue. La consultation se tient dans l'unité d'accueil de l'enfance en danger (UAED). Motif de cette visite ? Un interne de l'hôpital mère et enfant a un soupçon de maltraitance. Après avoir examiné l'enfant et avoir échangé avec les parents, le pédiatre pense écarter cette hypothèse... Cela étant, pas de certitude absolue, pas de jugement définitif.

Dans l'univers de la maltraitance, le doute subsiste toujours. Aux professionnels de s'accommoder de cette réalité et d'évaluer le mieux possible ce type de situation avant d'imaginer un projet de soins adapté à l'enfant.

Une équipe pluridisciplinaire s'est créée à Nantes en 2000. « On voit mieux à plusieurs, explique Nathalie Vabres, pédiatre référente de l'unité. Poser un diagnostic de maltraitance est toujours délicat. Un jour, j'ai vu un enfant avec dix fractures, dont une soi-disant entorse à la cheville... alors qu'un enfant de moins de deux ans ne peut en avoir une ! Il avait déjà été vu par un médecin mais la maltraitance n'avait pas été diagnostiquée. »

Discussion animée

La réunion hebdomadaire du staff se tient ce lundi après-midi, au 4e étage du bâtiment qui jouxte les urgences du CHU. Le brouhaha des avions déchirant régulièrement le ciel ne semble pas détourner la douzaine de professionnels présents de la discussion assez animée autour des cinq dossiers posés sur la table. Ils proviennent des urgences pédiatriques, d'un appel passé par un parent inquiet, un proche soupçonneux, un médecin de famille ou encore un travailleur social. En 2004, 185 consultations ont ainsi été réalisées et 50 signalements judiciaires dressés.

L'ambiance est plutôt à la bonne humeur. Autour de la table se trouvent la secrétaire de l'unité, une psychologue, une puéricultrice, une auxiliaire de puériculture, un éducateur de jeunes enfants, une gynécologue, une chirurgien orthopédiste pédiatrique, plusieurs pédiatres, une pédopsychiatre et enfin une assistante sociale.

Ici, on veille à considérer l'ensemble des éléments disponibles. « Quand nous accueillons un enfant pour lequel nous avons un doute de maltraitance, notre souci est de trouver la meilleure manière de le protéger, explique Georges Picherot. D'où le besoin de discuter bien sûr des lésions constatées, mais aussi des antécédents médicaux de l'enfant, de l'état de santé des parents, de la situation sociale dans laquelle se trouve la famille, tout ce qui peut nous aider à appréhender l'environnement de l'enfant. Tous les professionnels arrivent aujourd'hui à un consensus autour de la nécessité d'un travail commun, recoupant la dimension médicale, psychologique et sociale, dès le stade de l'évaluation. »

Niveau de danger

Les situations discutées à cette réunion illustrent la difficulté extrême de définir la meilleure prise en charge. Exemple parmi d'autres, ces deux soeurs arrivées la veille aux urgences pédiatriques et hospitalisées dans le service.

Première urgence pour l'équipe : démêler le vrai du faux, l'impression de la réalité, juger du niveau de danger, en bref, comprendre l'histoire familiale. Mais, la situation est très complexe. En revanche, une chose semble certaine. « Il s'est sûrement passé un événement grave qui explique la raison de l'arrivée en pleine nuit aux urgences », note Nathalie Vabres. Mais lequel ? En attendant d'avoir la clé du problème, plusieurs solutions sont avancées : une mesure de placement des deux enfants, une expertise psychiatrique familiale, la séparation des deux soeurs pour éviter qu'une des deux ne domine trop l'autre...

Passage à l'hôpital

Comme pour chaque situation et malgré leur complexité, les professionnels sont animés par une question récurrente : comment mettre à profit le passage à l'hôpital ? Cette interrogation vaut également pour une jeune adolescente de 12 ans hospitalisée à la suite d'une tentative de suicide. Elle aurait un comportement sexuel anormal pour son âge. Plusieurs indices laissent penser qu'elle est en danger. Un signalement au procureur est décidé, mais l'échange engagé dépasse cette procédure. « Comment peut-on lui apporter de l'aide alors qu'elle ne l'a pas demandée ? », questionne Nathalie Vabres. « Il ne faut pas rater cette occasion pour tisser un lien, souligne Laurence Dréno. Ici, c'est le lieu où elle peut nous livrer des choses. »

La réunion à peine terminée, les premiers participants rejoignent aussitôt leurs postes. Hormis le mi-temps de la secrétaire, la vacation hebdomadaire d'une psychologue et le tiers-temps de l'assistante sociale pris en charge par le conseil général de Loire-Atlantique, tous les autres professionnels participent à l'activité de l'unité sur la base du volontariat.

Ne pas stigmatiser

Dans le service d'hospitalisation de l'hôpital mère et enfant, les enfants maltraités sont associés aux autres jeunes patients. « Pas question de les stigmatiser, note Maxime Jambu, éducateur de jeunes enfants. Ils ont un problème, d'accord, mais les placer dans une chambre avec un enfant qui n'est pas dans la même situation de maltraitance est une manière de dire : tu restes un enfant ! »

Le séjour à l'hôpital permet aussi d'observer l'enfant au quotidien. Ce rôle incombe notamment aux aides-soignantes et aux auxiliaires de puériculture. « Le moment du bain par exemple permet d'en apprendre beaucoup, explique Colette Civel, aide-soignante. Il y a quelques jours, un enfant avait un drôle de comportement. Les hurlements, on est habitués, mais là, il était littéralement terrorisé. » Pour porter un regard particulier et savoir décrypter certains signes, le personnel soignant a suivi une formation en interne sur la maltraitance.

Mise à distance

Face à un sujet très dur, notamment pour les professionnels qui ont eux-mêmes des enfants, la formation et la dynamique lancée depuis six ans au CHU favorisent la mise à distance critique. « À plusieurs, on arrive à prendre du recul devant des situations qui nous sidèrent, précise Frédérique Pajot, assistante sociale à l'hôpital de Nantes et dont une partie de l'activité consiste à suivre les enfants reçus à l'unité et leurs familles. Récemment, j'ai été très étonnée d'apprendre que les chutes d'un enfant étaient dues à une maltraitance, sa mère étant atteinte du syndrome de Münchhausen. L'aspect pluriprofessionnel peut permettre aussi de mieux percevoir les premiers signes qui doivent servir d'alerte. On fait beaucoup de prévention au sein de l'unité. »

L'ordonnance de placement provisoire souvent délivrée par le procureur, le temps que l'enquête policière détermine la nature des événements, est également utile pour l'équipe médicale. Notamment pour créer les conditions d'une rencontre entre l'enfant et les soignants.

Mais, leur préoccupation ne s'arrête pas aux limites du service. « La maltraitance, c'est finalement beaucoup plus que de l'urgence », estime Georges Picherot. En effet, que devient l'enfant après l'hospitalisation ? Retourne-t-il chez lui ou va-t-il en foyer ? Sera-t-il suivi ? Et ses parents ? Autant de questions que le travail initié depuis six ans par l'unité d'accueil de l'enfance en danger a posé de fait aux différents intervenants. « Si l'on ne se pose pas ces questions, on peut soigner vingt fois pour fracture ! », ajoute Nathalie Vabres.

Des rencontres ont depuis été formalisées avec le service de la protection maternelle et infantile, depuis peu avec le procureur et, au besoin, l'unité sollicite les services de l'aide sociale à l'enfance. C'est la solution imaginée en fin de réunion par l'équipe.

Principe de précaution

Un enfant de 26 mois est arrivé aux urgences pour des bleus prétendument causés par une crise convulsive. Mais, une chute dans la baignoire puis une brûlure aux doigts - qui a valu une greffe de peau - font peser de sérieux doutes sur la thèse d'accidents répétés, avancée par les parents... Là encore, il faut démêler le vrai du faux. Peut-être une rencontre avec les services sociaux du secteur pourra-t-elle dénouer la situation ? Entre présomption d'innocence et principe de précaution.