Vivre à l'africaine - L'Infirmière Magazine n° 217 du 01/06/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 217 du 01/06/2006

 

Estelle Guérin

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En vraie globe-trotter, Estelle Guérin, infirmière de formation, a parcouru déjà deux continents : Afrique, Amérique latine. Elle exerce aujourd'hui au dispensaire de Mbalmayo au Cameroun et poursuit sa mission sanitaire.

Togo, Sénégal, Pérou, Haïti... À 29 ans, Estelle Guérin a déjà vu du pays. Depuis septembre 2005, elle a posé ses valises à Mbalmayo, petite commune rurale du sud du Cameroun. Partie en coopération avec la Délégation catholique à la coopération (DCC) pour deux années, elle exerce son métier d'infirmière au dispensaire catholique des soeurs servantes du Saint-Coeur-de-Marie. « Pendant mes études déjà, se souvient-elle, je voulais travailler dans des pays en voie de développement. J'aime voyager et voir comment je peux m'adapter. »

flexibilité

Estelle éprouvait un vif intérêt pour le métier d'infirmière, accru par la flexibilité offerte par cette profession. « Je pouvais quitter mon boulot et revenir quand je le voulais », confie-t-elle. Aujourd'hui, elle est membre à part entière de l'équipe du centre de santé, composée de onze personnes. Le dispensaire comprend des services de consultations et de soins, un laboratoire, une maternité et une toute nouvelle salle de petite chirurgie. Une trentaine de patients y sont reçus chaque jour en consultation ; quelques-uns peuvent être hospitalisés pour de courtes durées. Avec la soeur qui dirige le dispensaire, elle est la seule infirmière diplômée. Deux infirmières brevetées(1) se chargent des consultations et le reste de l'équipe est composé d'aides-soignantes. Un médecin passe une fois par semaine.

« Lors d'accouchement difficile, raconte Estelle, on envoie les patientes vers l'hôpital de district, à cinq minutes en taxi. Mais les gens aiment bien se faire soigner chez nous, dans le privé, parce que nous sommes plus indulgents que le public. En cas d'urgence, nous commençons le soin, même si le patient ne peut pas payer. Dans le public, ajoute-t-elle avec une pointe d'indignation, c'est souvent : "Donne l'argent d'abord, sinon tu n'auras rien"... »

cahier de transmission

Au sein du dispensaire, Estelle s'efforce d'améliorer la qualité des soins et la prise en charge globale du patient. Suivi, transmissions, mais aussi décontamination du matériel médical, hygiène, éducation... Ses domaines d'intervention sont variés. Depuis son poste, à l'accueil ou aux soins, elle contribue à l'évolution de la prise en charge. « Quand je suis arrivée, se souvient-elle, il n'y avait pas de dossier écrit. J'ai donc mis en place un cahier de transmission et une feuille d'observation et de surveillance pour chaque patient hospitalisé. »

L'accompagnement des patients lui tient à coeur. Ainsi, elle soutient psychologiquement une jeune fille qui va accoucher pour la première fois et que ses collègues auraient tendance à laisser seule. Elle s'assure aussi que les malades ont bien compris la prescription. « Il faut prendre le temps d'expliquer les traitements aux patients, insiste-t-elle. Un jour, j'ai vu une maman repartir avec un sirop sur lequel était écrit "1/2 fois 2". Comment pouvait-elle savoir ce que cela signifiait ? » Estelle discute avec ses collègues des améliorations possibles en expliquant les raisons de chacune de ses propositions.

Difficile de se faire entendre, quand on passe pour une « jeune inexpérimentée » auprès des anciennes du centre de santé, dans un pays où le respect dû aux aînés est une valeur fondamentale... « Certaines aides-soignantes me suivent, raconte Estelle, nous échangeons lors de nos gardes communes la nuit, et c'est plus facile. Avec les deux infirmières consultantes, la situation est délicate. Même si j'estime que trop d'injections sont faites aux enfants, je sens que ce n'est pas encore le moment d'en parler... De toute façon, je ne suis pas venue pour tout révolutionner du jour au lendemain. Je veux accompagner le changement et vivre au quotidien à l'africaine. » Un quotidien fait de coupures d'électricité ou d'eau, et de pathologies bien spécifiques !

suivi des soins difficile

« Quasiment 90 % des patients sortent d'ici avec un traitement antipaludéen », explique Estelle. Elle observe aussi de nombreux problèmes gastro-intestinaux, d'abcès, de dermatoses et de problèmes gynécologiques. « Quant au sida, remarque-t-elle, c'est encore un gros tabou. Ici, quand des gens en meurent, on parle de "sorcellerie" ou "d'empoisonnement" ». Les patients viennent en général consulter trop tard, et ensuite le manque d'argent ou d'hygiène empêche un bon suivi des soins. Même si Estelle parle toujours de son travail avec enthousiasme, elle avoue que la situation peut être difficile à vivre au jour le jour. « Le plus dur, ce sont vraiment les soins ! », confie-t-elle. Elle rentre souvent chez elle épuisée par sa journée.

L'alternance entre une semaine de jour aux soins et une semaine de nuit à la maternité permet à Estelle de se ressourcer. La nuit, elle s'occupe des soins aux nouveau-nés, pendant que l'aide-soignante formée pour l'accouchement s'occupe de la maman. « Le contact avec les nouvelles mères se passe bien, explique-t-elle. Certaines me demandent même parfois de les aider à choisir le prénom de leur enfant... » Elle vient même de faire son premier accouchement seule ! Deux femmes étaient en travail en même temps et il n'y a que deux personnes de garde chaque nuit... « Heureusement, c'était un accouchement facile ! »

« causeries éducatives »

Estelle anime aussi des « causeries éducatives » qui réunissent une trentaine de femmes enceintes, deux fois par semaine. Elle a d'ailleurs décidé de participer au comité thérapeutique pour les malades de VIH qui rassemble des représentants de tous les dispensaires de Mbalmayo.

« J'apprends beaucoup ! », affirme Estelle. Comme ses collègues, elle participe régulièrement aux formations médicales organisées par le ministère camerounais de la Santé. Les thèmes abordés sont variés, depuis la prise en charge des personnes vivant avec le VIH jusqu'à la réanimation du nouveau-né en passant par les nouvelles directives de l'OMS pour le traitement du paludisme.

partage des connaissances

Chaque mois, toute l'équipe du dispensaire se réunit et chacune partage ce qu'elle y a appris. Car, au Cameroun, les infirmières ont beaucoup plus de responsabilités. « Mes deux collègues qui tiennent les consultations font aussi les prescriptions », explique Estelle, en attendant, peut-être un jour, de gérer elle-même des consultations...

1- Ancien diplôme camerounais qui n'existe plus depuis 2002, équivalent à « infirmière adjointe ». La formation était de 2 ans après le BEPC au lieu de 3 ans post-bac pour les infirmières diplômées d'État.

moments clés

- 1995 à 1998 : Ifsi d'Évreux.

- 1996 : stage hospitalier d'un mois au Togo.

- 1997 : stage hospitalier d'un mois au Sénégal.

- Décembre 1998 : obtention du DE.

- 1999-2000 : un an à Arequipa au Pérou, dans une polyclinique mobile auprès de personnes défavorisées.

- 2001 : six mois en Haïti, à Port-au-Prince, dans un centre accueillant des enfants souffrant de malnutrition et des adultes en fin de vie.

- 2001 à 2003 : deux ans à l'hôpital des Diaconesses (Paris) au service de cancérologie.

- 2003 : six mois à l'hôpital Bichat-Claude Bernard (Paris), au service des maladies infectieuses et pathologies tropicales.

- Septembre 2005 : arrivée au dispensaire catholique de Mbalmayo, au Cameroun.