Infirmière en terre d'asile - L'Infirmière Magazine n° 218 du 01/07/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 218 du 01/07/2006

 

Florence Rouleau-Favre

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Au Comité médical pour les exilés, Florence reçoit chaque jour des patients étrangers dans une grande précarité. Sur plus de 16 000 consultations annuelles, près d'un tiers sont des consultations infirmières. Objectif : permettre l'accès aux soins dans le système de droit commun et prendre en charge les plus démunis.

Cet après-midi-là, la salle d'attente du Comité médical pour les exilés (Comede) réunit une trentaine de personnes, toutes originaires d'Afrique ou d'Orient. Les visages fatigués sont tournés vers l'écran de télévision fixé en hauteur qui diffuse les aventures populaires de quelque série policière allemande. Un garçonnet, vêtu d'une queue-de-pie blanche aussi élégante que surprenante en ces lieux, tourne sans fin autour des rangées de sièges pédalant sur un tricycle emprunté à l'aire de jeux qui occupe un angle de la pièce.

missions humanitaires

La plupart des patients sont des hommes, comme 77 % de la file active du centre de santé hébergé dans l'un des nombreux pavillons de l'hôpital du Kremlin-Bicêtre. L'un d'eux s'approche timidement d'un intervenant du Comede qui traverse la salle, des papiers à la main : « Nous faisons aussi vite que possible », s'excuse celui-ci en anglais. Comme l'explique Florence Rouleau-Favre, infirmière, c'est ainsi que fonctionne le centre : « Les portes sont ouvertes chaque matin à 6 h 30. Les patients entrent dans une première salle d'attente et s'inscrivent sur une liste. Et à partir de 8 h 30, quand le personnel arrive, des tickets leur sont distribués afin qu'ils attendent leur tour dans le hall d'accueil du deuxième étage. »

Florence exerce au Comede depuis onze ans. Elle a commencé par un temps partiel (30 %) avant d'augmenter progressivement sa contribution. Aujourd'hui, elle occupe 90 % d'un temps plein. « Après avoir arrêté d'exercer pour m'occuper de mes enfants, j'ai voulu retravailler, explique-t-elle. N'étant pas intéressée par une carrière hospitalière, je me suis documentée et j'ai découvert le Comede. » À tout hasard, Florence appelle l'association, qui cherche alors une infirmière. Parfait pour elle qui avait commencé sa carrière par deux années de volontariat au Burkina Faso puis différentes missions humanitaires en Asie. « Cela m'intéressait de travailler avec des populations que j'avais connues dans leur pays d'origine, résume-t-elle. Et puis le poste n'exigeait pas une spécialisation, ce qui était plutôt bien après cinq ans sans activité. »

accueillir l'exil

Créé en 1979, le Comede se définit comme un centre médico-psycho-social. Ses fondateurs (Amnesty International, la Cimade et le Groupe accueil et solidarité) l'ont conçu pour le suivi des conséquences traumatiques de l'exil et de la torture ainsi que l'accès aux soins. « En fait, je reçois les patients qui n'ont pas trouvé de place en consultation médicale, explique Florence. Ce contingent varie en fonction du nombre de généralistes présents chaque jour. » Charge ensuite pour l'infirmière d'évaluer qui nécessite de rencontrer un médecin dans la journée, au Comede, pour un bilan de santé, un certificat médical et qui devra être orienté vers un autre dispositif. « Les gens viennent de toute l'Île-de-France, signale Florence. À chaque fois que c'est possible, j'essaye de trouver une solution plus près de chez eux. » Pour les certificats médicaux des demandeurs d'asile, certains parcourent plusieurs centaines de kilomètres. « Ils pensent qu'un certificat du Comede c'est mieux, souligne Florence. Je leur explique qu'on ne peut pas répondre à leur demande. » En effet, l'établissement d'un certificat médical exige plusieurs consultations. « Il faut qu'une certaine confiance s'instaure entre le patient et le médecin afin que l'un se livre et l'autre établisse la compatibilité entre le récit et ce qu'il constate », précise-t-elle. Dans ce domaine, l'infirmière ne joue aucun rôle. « Je ne cherche surtout pas à susciter les confidences, explique Florence. Compte tenu des traumatismes vécus, on touche à des choses trop sensibles que la personne devra ensuite livrer à nouveau au médecin. »

La part des soins dans l'activité de l'infirmière est très réduite : « À l'occasion, je peux faire une injection vaccinale ou une surveillance de tension, suggère-t-elle. Je suis également responsable de la pharmacie. » Cependant, l'équipe y a de moins en moins recours. Rares sont les patients qui arrivent en urgence. Le site n'est d'ailleurs pas équipé à cet effet.

difficultés administratives

Durant ses consultations, l'infirmière tente plutôt de réorienter chacun vers le système de droit commun. « L'objectif est de leur faire connaître leur droit à une couverture sociale et de les aider à le faire appliquer », précise Florence. Certains ne savent pas qu'ils ont accès au régime de base ou à la couverture maladie universelle.

D'autres se heurtent à la complexité de l'administration, voire à l'ignorance de certains agents. « Les gens rencontrent de nombreux obstacles dans les centres de Sécu, note Florence. Il y a ceux dont on exige un RIB pour ouvrir des droits, ceux qui n'ont pas de réponse un mois après avoir formulé une demande d'admission immédiate... Il nous faut parfois téléphoner ou rédiger un courrier pour accélérer la procédure ou préciser le droit. » Lorsque lettre ou coup de fil ne suffisent pas, l'infirmière passe la main au service d'accès aux soins du Comede, une permanence quotidienne destinée exclusivement à régler ces difficultés.

Certes, les exclus des soins restent nombreux, en particulier depuis que trois mois de résidence sur le territoire français conditionnent l'admission à l'aide médicale d'État. Florence les oriente vers quelques places de consultations réservées dans la journée. Cela explique la proportion importante de patients en grande précarité dans la file active du Comede (près de 10 % sont sans domicile).

éducation à la santé

Une pathologie chronique est diagnostiquée chez la moitié des patients reçus en consultation médicale : diabète, hypertension, asthme, hépatite, infection à VIH... Aussi, l'infirmière, associée à un interprète et un médecin de santé publique, a-t-elle mis en place des séances individuelles d'éducation à la santé. « Nous avons commencé avec le diabète, explique-t-elle. Puis nous avons élaboré des séances pour les asthmatiques et les hypertendus. » Trois à quatre rencontres sont proposées afin d'évaluer les connaissances théoriques et le comportement du patient par rapport à sa maladie. Il faut parfois préciser le mode de prise des médicaments, les conduites à tenir en cas de crise, adapter un régime alimentaire compte tenu des ressources et du mode de vie... Florence espère aussi bientôt proposer des séances aux patients porteurs d'une hépatite B ou C, ou d'une infection à VIH.

Les projets ne manquent pas, alors que les journées de l'infirmière sont déjà chargées. « Une demi-journée, pour moi, c'est seize patients, contre huit en consultation médicale », souligne-t-elle. On comprend mieux le taux d'occupation de la salle d'attente... « D'ailleurs, à cela aussi il faut que nous réfléchissions, songe Florence. Faire venir les gens dès 6 h 30 et les laisser patienter toute la journée, ce n'est pas bon ! »

moments clés

- 1978 : Florence obtient son diplôme d'État.

- 1995 : elle arrive au Comede.

- 2002 : elle contribue à créer des séances d'éducation à la santé.