L'art et la matière - L'Infirmière Magazine n° 218 du 01/07/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 218 du 01/07/2006

 

Thérapie

Questions à

Psychanalyste, psychothérapeute et sculpteur, Fernando Bayro pratique l'art-thérapie auprès d'enfants et d'adolescents en difficulté. Grâce à des supports artistiques, il permet au jeune patient de se réapproprier l'intime et d'extérioriser ses symptômes. Rencontre.

Qu'apporte l'art-thérapie dans le traitement de la souffrance psychique infantile ?

L'art-thérapie permet une rupture dans la prise en charge classique de l'enfant en difficulté en le confrontant à la sensorialité. La peinture et le mo- delage deviennent un cadre thérapeutique reflétant les images et les formes qui le perturbent. Peu à peu, ce monde sensoriel lui permet d'exprimer son vécu. L'objet ou le dessin se substitue à ses propres symptômes. Pour le petit patient, un lien existe entre l'image et le mot, et c'est l'articulation de ces deux modes d'expression qui le fait progresser. L'enfant qui parvient à extérioriser l'image mentale qui l'abîme peut enfin prendre de la distance. La représentation de sa souffrance va collaborer à gommer ses symptômes.

Cette méthode créative se substitue-t-elle au rôle thérapeutique de la parole ?

La parole peut faire défaut. La tension psychique ne se traduit pas toujours par les mots, et ce d'autant plus chez les enfants. Il est possible de « dire » autrement. Au lieu de demander à un jeune patient de raconter tout ce qui lui fait mal ou qui le préoccupe, on met à sa disposition de la peinture, de l'argile et des supports de jeu, comme une maison à étages, dans laquelle il fait évoluer et exister des personnages. L'utilisation de la création artistique comme médiation relationnelle et thérapeutique est très dynamique. Cela dit, la parole a toujours sa place : les objets doivent être « parlés », racontés, par l'enfant. Cela permet de s'acheminer vers une parole un peu plus juste.

Le travail thérapeutique avec des jeunes en difficulté est-il complexe ?

Les jeunes patients nous apprennent beaucoup. Ils sont souples, malléables et ont des ressources mentales qui laissent plus de place aux changements. Leur plasticité psychique est plus modelable que celle des adultes - et a fortiori que celle des adultes psychotiques - qui sont enfermés dans leur symptomatologie et dont le rapport à la souffrance est plus difficile à changer. Le travail psychothérapeutique avec l'enfant est passionnant. À la place de nous parler des figures de son entourage, il nous les amène. Que ce soit la mère, le père, les grands-parents, un frère ou une soeur, la famille participe de plus en plus aux séances. On démarre l'entretien avec les parents, ou l'un des deux. Il faut être bien attentif à la manière dont ceux-ci perçoivent la problématique de l'enfant, qui écoute et qui, en général, corrige la version donnée par les adultes. Les séances se font ensuite en tête-à-tête avec l'enfant, s'il a donné son accord.

Qui peut pratiquer l'art-thérapie et quelle est sa place dans le panorama thérapeutique actuel ?

Cette question est l'objet d'un grand débat dans les milieux de la psychothérapie. Un plasticien, un animateur culturel ou un psychologue sans pratique artistique peut-il devenir art-thérapeute ? En effet, l'intervention d'artistes venant animer des ateliers dans les milieux psychiatriques hospitaliers peut présenter le risque éventuel d'échappement thérapeutique. La tendance et la loi sont en train de réguler ce flou. L'art-thérapie devrait faire partie des différentes psychothérapies reconnues, du moment que le futur art-thérapeute suive une formation solide liée à une association psychanalytique. L'université Paris VII-Denis-Diderot propose un diplôme universitaire d'art et médiations thérapeutiques. En outre, la SFPEAT (Société française de psychopathologie de l'expression et de l'art-thérapie) a le projet de regrouper les différents praticiens de l'Hexagone et de devenir un carrefour dans cette spécialité.

Cette méthode est-elle une alternative pour soigner les enfants de migrants ?

La question du corps et de la sensorialité est très présente dans les cultures africaines, latino-américaines et orientales. Quand les enfants issus de l'immigration ont des difficultés avec la langue française, la création artistique peut leur permettre de produire des objets d'une évidence totale. De plus, la façon qu'a le thérapeute d'apprécier leurs réalisations, de les mettre en valeur, de les ranger sur une étagère, donne à ces enfants un sentiment de reconnaissance. Les autres cultures nous sont de moins en moins étrangères.

Fernando Bayro Psychothérapeute, psychanalyste, sculpteur et art-thérapeute

> Cofondateur du CMSEA(1) à Paris ; responsable de la consultation de psychothérapie et psychanalyse et de l'atelier d'art-thérapie.

> Coresponsable pédagogique du DU « art et médiations thérapeutiques » et chargé de cours à l'université Paris VII-Denis-Diderot.

> Membre du bureau de la SFPEAT(2).

> Coauteur du documentaire L'Argile et l'enfant modeleur, 26 min, Les Films de l'atelier, 2002.

1- Centre médical de l'enfant et de l'adolescent.

2- Société française de psychopathologie de l'expression et de l'art-thérapie.