Quand la parole est d'or - L'Infirmière Magazine n° 218 du 01/07/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 218 du 01/07/2006

 

inceste

Reportage

Nathalie, Line, Béatrice, Joëlle, Anne-Sophie, Olivier... Victimes d'inceste, longtemps murés dans le silence, ils relatent ici leur histoire. Pour exprimer l'indicible, ils ont choisi un objet, symbole de leur souffrance.

Selon les estimations du Cripcas(1), une fille sur cinq et un garçon sur dix subira une agression sexuelle avant l'âge de dix-huit ans. Ce problème de santé publique concerne tout le monde, ce fléau détruit des vies.

L'inceste reste tabou à bien des égards. Je l'ai découvert fin 2005 via le témoignage d'une amie. Elle me confie avoir été abusée, plus jeune, par son oncle. Quelques semaines plus tard, la justice statue un non-lieu, alors qu'il a reconnu les faits. Je découvre alors que l'inceste n'est pas inscrit dans le code pénal et qu'il est soumis à des délais de prescription : dix ans après la majorité pour des faits commis après 2004. Une réalité lourde de conséquences pour les victimes.

Traces indélébiles

L'inceste touche des enfants, filles ou garçons, de tous âges et même des nourrissons. Contrairement aux idées reçues, ces agressions sont commises par des hommes ou des femmes et ne sont pas réservées à un milieu social particulier. On entend par inceste un contact sexuel imposé à l'enfant par un membre de sa famille, quel qu'il soit (parent, grand-parent, oncle, tante...). Il peut être physique, de la simple tentative d'attouchements aux rapports sexuels, mais il peut aussi être psychologique : exhibitionnisme, incitation à la prostitution, visualisation d'images pornographiques... Les agressions se répètent généralement pendant plusieurs années, et laissent des traces indélébiles (anorexie, troubles des rapports sociaux, tentatives de suicide...).

Aucune étude n'a été réalisée en France. De nombreuses avancées demeurent à accomplir pour prendre en charge les victimes, recueillir la parole de l'enfant et former les acteurs sociaux et les professionnels de la santé.

Je voulais parler de l'inceste autrement, dans un entre-deux, entre douceur et dureté, en me fondant sur les histoires personnelles, l'humain. J'ai voulu utiliser des symboles pour évoquer l'innommable, sans faire de concessions sur le sujet et sa réalité, en interpellant mais sans choquer(2).

Lourd vécu

Un objet incarne le passé et symbolise l'inceste, une galerie de natures mortes a priori anodines. Un objet du quotidien, directement issu de l'enfance ou lié à un souvenir précis.

Puis, des portraits donnent un visage à l'inceste. Ces visages resteront souvent anonymes, non par volonté des témoins, mais pour se protéger de toute attaque en diffamation par l'agresseur.

Visages et objets, passé et présent se tiennent à distance : le passé est là, jamais assez loin pour ne plus faire mal, parfois trop proche, comme un écran qui sépare du monde.

Ces images témoignent de leur histoire, une histoire qu'il leur a fallu apprivoiser. Dans cette distance, on peut lire leur impossible oubli mais aussi que la vie continue.

Ces témoignages sont dignes et précieux. Il est courageux de s'exposer ainsi aux yeux de tous, de sortir de l'ombre, de la honte, du silence et de la culpabilité. Les victimes ont relevé ce pari difficile pour que cela serve à d'autres, « pour que cela n'arrive plus ». Elles ont fait de ce témoignage une étape, une marche de plus à gravir pour continuer à se reconstruire. Alors que leurs mots ont souvent été bafoués par leurs proches, par la justice et par la société, c'est aussi et parfois pour la première fois le moyen de se faire entendre et reconnaître comme victimes.

Rencontres

Décembre 2005, je lance un appel à témoins sur le site de l'Association internationale des victimes d'inceste. Contre toute attente, les coups de fil affluent de toutes parts. Un premier contact téléphonique et puis la rencontre.

Nathalie, Line, Béatrice, Joëlle, Anne-Sophie, Olivier... Ils ont entre vingt et cinquante ans, un seul garçon - un concours de circonstances -, chacun avec son histoire et son parcours spécifiques.

« Pourquoi ? »

Ils m'ont donné leur confiance, m'ont confié leur intimité. Ils m'ont raconté leur histoire à leur rythme, selon leur gré, comme un puzzle incomplet qui suggère toute la violence et la souffrance vécues. La pudeur était de mise et l'émotion trop forte pour décrire ce qu'ils avaient subi.

Entre cris et murmures, leurs paroles sont l'expression de leur combat quotidien contre le malaise et pour l'apaisement. Ils me parlent de colères, d'injustices, de désespoirs mais aussi d'espoirs. Des histoires et des parcours différents avec une seule constante, une question qui reste sans réponse : « Pourquoi ? ».

Nathalie a hésité longtemps avant de trouver le courage de prendre le téléphone. Au moment de notre rencontre, Béatrice est elle sortie du déni depuis quelques mois à peine. Elle se cache de ses enfants pour me rejoindre et prononce ces mots pour la première fois. Décembre, le mois des Noël en famille. Aux mauvaises langues qui l'accusent de délaisser ses parents, Line répond qu'elle a été victime d'in- ceste commis par son père et qu'elle a définitivement coupé les ponts avec sa famille. Elle a décidé de ne plus se cacher, elle a appris à se débarrasser de sa culpabilité et commence à penser à elle, à une vie de famille.

1- Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles, Québec, Canada.

2- Ce travail a été réalisé avec le soutien de l'Association internationale des victimes d'inceste (Aivi). Il sera présenté dans une exposition itinérante qui sillonnera les routes de France pendant deux ans. Lancée à l'hôtel de ville de Sens le 17 mars 2006, elle sera présentée prochainement à Paris. Pour plus d'information, consultez le site de l'association : http://www.aivi.org.