Villevêque, village fortifié - L'Infirmière Magazine n° 218 du 01/07/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 218 du 01/07/2006

 

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Horizons

Villevêque, petite commune près d'Angers, puise sa force quotidienne dans le brassage des âges. Son « Village des générations » associe avec bonheur une maison de retraite, une crèche et un centre d'aide par le travail.

Un petit enfant qui court dans un long couloir et rit de plaisir en retrouvant son ami de 85 ans... Derrière lui, d'autres enfants suivent, en poussettes, petits vélos et trotteurs, escortés d'adultes. Un brin de causette, un petit bisou, la promesse d'une histoire, une invitation pour un goûter de crêpes... Voici un peu de la vie de village retrouvée. Aux « Couleurs du temps », la maison de retraite, les pensionnaires ont en moyenne 88 ans. La plupart ne bénéficient que d'une autonomie réduite et deux unités sont spécifiquement adaptées aux personnes âgées désorientées et aux personnes handicapées vieillissantes. La résidence compte neuf salariés handicapés travaillant auprès des retraités. Quelques dizaines de mètres de couloir plus loin, on accède au lieu « multi-accueil » petite enfance, le « Nid du Loir », comprenant une crèche, une halte-garderie (18 berceaux) ainsi qu'un relais assistantes maternelles.

lieux colorés

Le projet de réunir ces structures est né d'un double besoin local : réhabiliter une maison de retraite et un centre d'aide par le travail (CAT) et trouver un lieu pour une structure dédiée à la petite enfance.

Quelques élus de communes proches ont eu l'idée originale de rassembler les deux dans un espace commun et le « Village des générations » a ouvert ses portes en février 2004. Il est géré par la Mutualité française Anjou-Mayenne. « Les Couleurs du temps » sont organisées en six unités de vie distinctes, appelées « îlots ». Chacune possède dix chambres individuelles, une cuisine, salle à manger et jardin privatifs. Les lieux sont colorés et lumineux et l'ensemble peu médicalisé. Un projet collectif réussi grâce à la volonté soutenue des décideurs, comme l'observe Madeleine Ménard, directrice de la maison de retraite : « En France, l'approche de la personne âgée est encore trop souvent médicalisée par l'ensemble de la société au détriment de l'encouragement à l'autonomie et du développement de la convivialité. Pourtant, certaines formules alternatives mériteraient de retenir l'attention et d'alimenter la réflexion collective. Je songe notamment à la ville de Saint-Herblain qui a créé des petites unités de vie pour des personnes âgées, à la ville de Villeurbanne qui a ouvert des maisons communes ou au nouveau concept nommé "Villa Family" conçu par l'association "Âges et vie". »

longue gestation

Depuis déjà plusieurs années, Clotilde Secher, animatrice auprès de personnes âgées, et son homologue dédié à la petite enfance, travaillent sur l'intergénérationnel. Ce projet commun aux deux établissements a été initié à travers des rencontres entre personnes âgées désireuses de s'investir et enfants de la halte-garderie et des écoles maternelles des communes voisines. Des échanges simplifiés par la présence de tous sur le même lieu : « Nous ne forçons rien !, note Clotilde Secher. Certains résidents sont demandeurs et nouent des contacts complices avec les enfants. D'autres s'amusent à les regarder de loin, ou encore les évitent. Nous respectons aussi le rythme des enfants et leurs envies... »

Voici deux ans que l'on s'apprivoise autour de temps plus ou moins formalisés. Les échanges sont devenus naturels et le lien se noue à l'occasion de visites régulières communes à la bibliothèque ou d'ateliers d'une ou deux heures sur un thème préparé avec les anciens : confection et dégustation de galettes ou d'un repas complet, préparation d'un spectacle, réalisation d'un jeu de quilles puis exercices de motricité, peinture, jardinage, jeux d'imitation... Les animatrices ont eu envie d'aller plus loin et ont lancé depuis quelques mois des « semaines intergénérations » : autour d'un sujet, on décline activités et animations. L'équipe de la résidence, jusque-là restée plus en retrait, peut s'impliquer selon ses envies et ses idées : « On a envie que tout le monde crée une ambiance un peu inhabituelle, souligne Clotilde Secher. Il peut se passer un petit "quelque chose en plus" tous les jours. Lorsque a eu lieu la "semaine moyens de locomotion", le personnel a apporté vélos et patinettes et nous avons organisé des courses de caddies dans les couloirs... ».

Le personnel ne dispose pas d'un temps supplémentaire pour ces activités, mais est invité à se montrer ouvert et disponible, pour accueillir par exemple un petit groupe d'enfants dans un îlot pour une séance de lecture. À l'inverse et dans le respect mutuel, les résidents ont repéré que le milieu de la matinée était le moment idéal pour aller rendre visite aux enfants : « Ce que l'on nous demande, résume Laurence Jaspard, infirmière aux « Couleurs du temps », c'est d'ouvrir notre porte. Tout en étant conscients que nous sommes vite limités par le déclin de l'attention et la fatigue des petits comme des anciens. Et en veillant à ne pas forcer ou encadrer les résidents comme des enfants : ce sont des adultes et ils occupent un rôle d'adulte dans ces temps de rencontre. »

éveil et fin de vie

Entre les 27 salariés de la maison de retraite et l'équipe de huit personnes dévolue à la petite enfance, les relations et envies de « faire ensemble » doivent s'apprivoiser aussi : « Travailler en résidence pour personnes âgées est très connoté : une image tristounette vous colle souvent à la peau, remarque Clotilde Secher. Là c'est l'éveil et ici la fin de vie. C'est ce qui rend notre travail difficile... ». Les équipes se rencontrent régulièrement pour parler de leurs projets et s'enrichissent à travailler sur leurs représentations de métiers si différents : « Nous avons choisi de travailler auprès de ces publics, commente Laurence Jaspard. Les collègues de la petite enfance ont pu parler de leur appréhension de la vieillesse et de la maladie et nous de notre difficulté éventuelle à travailler avec des enfants ! »

méfiance

En échangeant sur les pratiques, on trace des parallèles entre les vécus professionnels. « Nous pouvons souffrir parfois d'une attitude quasi inquisitrice de la part des enfants et de la famille des résidents, poursuit Clotilde. La culpabilité légitime qu'ils ressentent est forte : je suis le fils ou la fille, j'ai tenté de garder mon parent le plus possible prêt de moi, mais là ce n'est plus possible... C'est dur ! Je le laisse à la maison de retraite, mais ne pense pas qu'ils puissent s'en occuper mieux que moi... » L'équipe échange avec les professionnels de la petite enfance sur le manque de confiance dont témoignent parfois les parents, alimenté encore par les rumeurs de maltraitance en institution. « On doit lutter contre une "méfiance a priori" et un pouvoir que l'on nous prête ! Quand on travaille auprès des enfants, c'est le contraire ! Même si un parent a du mal à lâcher son enfant, il ne va pas stationner derrière les portes ou assister aux repas pour regarder comment il mange. »

contact

- Village des générations

14, chemin des Vignes d'Oule, 49140 Villevêque. Tél. : 02 41 41 12 33.

Mél : accueil@retraite-couleursdutemps.org.

Internet : http://www.accordages-intergeneration.com/_v3/. Ce site recense d'autres expériences de vie réunissant personnes âgées et jeunes.

témoignage

Du mouvement !

« L'intergénérationnel nous apporte de la diversité, de la vie, du projet... de la mise en mouvement !, estime Laurence Jaspard, infirmière aux "Couleurs du temps". Les activités ne comportent rien de "sensationnel", mais du quotidien simple, qui nous évite cependant de tomber dans les pièges de la routine. Si les coordinatrices de ces projets ne nous interpellaient pas, nous aurions tendance à n'effectuer que nos tâches classiques ! Se rencontrer entre personnes de différentes générations et entre professionnels de différents horizons, c'est de la socialisation : les personnes âgées ont tendance à se replier sur elles, et les équipes aussi. En discutant avec mes collègues, je constate que nous avons parfois du mal à nous investir dans ces activités. Comme si nous n'osions pas : jouer, se déguiser, inventer, on ne sait plus faire, on n'ose pas et on a l'impression qu'il faut beaucoup de préparation quand le plus important est de se montrer attentifs et présents. Ce que l'on nous demande, c'est de nous montrer ouverts et spontanés, d'accepter de jouer le jeu et de transmettre l'information. Un peu comme avec nos enfants à la maison. Ce projet est un "plus", mais ne constitue pas l'essentiel du travail infirmier ou du projet de vie de la maison de retraite. Simplement, il reflète l'état d'esprit du lieu, qui laisse la part belle à l'initiative. »