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Olivier Broux sillonne la Charente-Maritime, pour rapprocher les gens du voyage des structures de santé de droit commun, et réciproquement. Un travail à la croisée du sanitaire, du social et du politique.
Ils se lavent dans une bassine et s'enfoncent dans les bois pour faire leurs besoins. Sur ce terrain communal, des gens du voyage ont installé leurs caravanes. Parmi les quinze villes de plus de 5 000 habitants que compte la Charente-Maritime, seules six respectent leur obligation de construire une aire d'accueil pour les gens du voyage. Lorsqu'ils viennent dans le département, ces derniers s'arrêtent donc où ils le peuvent : les uns au bord d'un chemin, les autres sur un morceau de terrain non constructible, certains encore au fond d'un bois où ils vivent dans un complet isolement... Depuis octobre 2003, Olivier Broux, infirmier, va à leur rencontre et tente d'améliorer leur accès aux structures de soins. « Les gens du voyage n'ont pas de problèmes de santé spécifiques, hormis ceux liés à la précarité dans laquelle vit une partie d'entre eux et à l'absence de prévention, note Olivier. En revanche, on constate une fréquence plus importante des maladies infantiles, un manque de repères par rapport à la santé et des problèmes de conflits avec les institutions sanitaires. Tout cela complique leur accès aux soins. »
L'infirmier voyageur sillonne le département dans un camping-car aménagé en salle de consultation. Ce « relais mobile de la solidarité » a été créé par l'Association de promotion des tsiganes et gens du voyage (APTGV) et est financé par la Ddass, le conseil général et la Caf. « L'image du camping-car est proche de celle de l'habitat caravane. Cela a contribué à mettre les gens du voyage en confiance vis-à-vis de mon action », explique Olivier. La confiance : un lien fondamental avec des populations généralement méfiantes envers les étrangers. Olivier l'a patiemment gagnée. Il lui aura fallu trois à six mois de discussions avec les familles pour pouvoir commencer à travailler. « J'ai d'abord discuté de la pluie et du beau temps à l'extérieur des caravanes, juste pour prendre contact. Il a ensuite été possible d'expliquer aux familles le but de ma présence, d'abord à l'extérieur, puis dans le relais mobile ou dans les caravanes, autour d'un café. C'est seulement après que les consultations ont débuté. » Un travail d'approche à renouveler dès qu'une nouvelle famille s'installe sur un terrain, bien que cela se passe désormais beaucoup plus vite. Aujourd'hui, Olivier est accueilli comme un familier, tutoie les patients, les appelle par leur prénom. Il rencontre les familles une fois par mois au minimum, et au moins deux pour les plus fragilisées.
Les consultations ont lieu dans le relais mobile ou dans les caravanes. Au besoin, Olivier effectue des soins urgents et pèse les bébés pas encore pris en charge par la PMI. Mais son rôle consiste moins à soigner qu'à suivre et accompagner les personnes vers les structures de droit commun. Un travail administratif, dans un premier temps : « Si on ne leur explique pas ce qu'est la CMU, beaucoup n'iront pas faire la démarche spontanément. » Olivier fait venir une conseillère de la CPAM à l'APTGV et lui amène les dossiers des familles les plus isolées. Il s'assure que chacun a bien effectué sa demande de renouvellement, les aide à lire leurs papiers. « Beaucoup sont analphabètes et les enfants sont en général déscolarisés à l'entrée au collège. Un coup de main leur est nécessaire. »
Avec son humour, Olivier profite des motifs de consultation pour faire le point sur certaines notions : les vaccins des enfants, le suivi de la grossesse, l'hygiène, l'équilibre alimentaire, la contraception... La notion même de prévention n'est pas toujours facile à appréhender pour des personnes vivant souvent au jour le jour. Olivier constate toutefois, avec le temps, les effets de son action : le taux de vaccination des enfants est devenu normal ; la connaissance des thématiques de santé s'est améliorée. La demande de prévention vient parfois des patients eux-mêmes. « Certaines mères me disent : "J'aimerais bien que tu parles sexualité avec ma fille, parce qu'elle fréquente quelqu'un" », témoigne Olivier. Une sacrée preuve de confiance dans une culture où les hommes ne sont pas censés parler de sexualité aux femmes. Il explique : « Je suis avant tout considéré comme un professionnel de la santé sur qui ils peuvent se reposer. »
Ce capital de reconnaissance, Olivier l'utilise pour rapprocher les gens du voyage des institutions. « Une sage-femme de Saintes ne pouvait plus entrer sur les aires : cela s'était mal passé avec une famille et le rejet était collectif. Grâce à Olivier, elle revient une fois par mois voir les femmes enceintes », se réjouit le directeur de l'APTGV, Christian Garnier. De même, Olivier organise tous les deux mois une consultation de la PMI à l'APTGV. « Il est arrivé que des assistantes sociales de la PMI, considérant que l'habitat caravane n'est pas digne pour des enfants, retirent ces derniers à leurs parents, raconte Olivier. C'est resté dans l'imaginaire des gens du voyage, qui ont encore besoin de passer par nous pour aller vers cette institution. Notre objectif, à terme, est qu'ils puissent s'y rendre seuls. »
D'autres types de médiation s'avèrent nécessaires car beaucoup d'institutions et de personnels de santé ont des a priori négatifs sur les gens du voyage. Olivier envoie donc ses patients vers les quelques médecins généralistes du département d'accord pour les soigner. Le travail est souvent plus difficile lorsqu'il s'agit d'obtenir une consultation spécialisée ou une hospitalisation. « Quand je me présente comme l'infirmier des gens du voyage, j'entends en général un grand soupir à l'autre bout du fil... J'essaie alors de sensibiliser le personnel à la façon dont les gens du voyage perçoivent la maladie et l'hôpital : c'est pour eux un lieu de mort, où il faut venir en nombre pour protéger le malade et d'où il faut partir au plus vite. En parallèle, j'explique à la famille qu'il y a des règles à respecter dans ces lieux de soins. » Au fil du temps, certains professionnels ont par ailleurs appris à solliciter Olivier en cas de conflit.
L'infirmier se bat pour faire entendre la cause des gens du voyage auprès des maires. Ceux-ci subissent souvent la pression de leur électorat pour ne pas créer d'aires d'accueil et ont eux-mêmes des préjugés très négatifs vis-à-vis de cette population. Olivier s'évertue à lutter contre les raccourcis qui font des gens du voyage d'éternels voleurs de poules. Il fait venir les maires sur les terrains sauvages pour les confronter au difficile quotidien des gens du voyage et négocie avec une collègue de l'APTGV, spécialisée dans l'habitat, des arrivées d'eau et d'électricité. « À quoi bon parler santé, prévention, éducation à la citoyenneté, si le minimum de qualité de vie n'est pas atteint ? », questionne-t-il. La discussion s'engage, mais parfois le blocage est total. « On rencontre tellement de résistances de toutes parts qu'il faut vraiment être engagé pour faire ce métier, aussi passionnant soit-il, confie Olivier. Sinon, on ne tient pas longtemps. »
- Olivier Broux, 10, rue de l'École, Hameau Les Tourneurs, BP 30, 17101 Saintes cedex. Tél. : 05 46 95 01 80.
Mél : aptgv@wanadoo.fr.
Chaque année, Olivier Broux organise des actions de prévention spécifiques, autour du risque d'intoxication au monoxyde de carbone, de l'hygiène bucco-dentaire et de l'alimentation... Il forme au secourisme des référents santé sur les terrains : il s'agit de personnes reconnues par le clan et volontaires pour cet apprentissage. Des actions de prévention autour de la sexualité et de la contraception sont élaborées avec les jeunes, lorsqu'une demande émerge. « Je donne l'impulsion, on bâtit un projet et un animateur prend le relais », explique-t-il. Olivier vient d'ailleurs d'organiser une journée de sensibilisation à destination d'animateurs et de travailleurs sociaux amenés à travailler avec des gens du voyage, pour leur apprendre à parler sexualité avec ces derniers. « Le but du relais mobile est de générer un maximum d'autonomie chez les gens du voyage et de créer autour d'eux un réseau d'acteurs à l'écoute. »