Stephanie Schulze-Köller
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Stephanie Schulze-Köller exerce depuis six ans à l'hôpital Saint-Jean de Bonn, ex-capitale de la RFA. Elle évoque les conditions de travail et le système de santé outre-Rhin.
Ancienne capitale de l'Allemagne fédérale, Bonn ne compte aujourd'hui pas moins de seize cliniques et hôpitaux. Parmi tous ces établissements figure l'hôpital Saint-Jean (Johanniter Krankenhaus), un établissement fondé par les communautés protestantes de la ville, il y a plus de 150 ans. Il faut le reconnaître, même s'il est entouré de verdure et situé à moins de 150 mètres du Rhin, l'hôpital Saint-Jean est un édifice d'apparence austère. Pour égayer les couloirs, la direction a donc choisi d'accrocher de nombreuses oeuvres d'art, des reproductions de Rothko ou de Hopper... Dans la salle de réunion du département de médecine interne, au cinquième étage, une lithographie de Paul Klee illumine la pièce. C'est là que nous retrouvons Stephanie Schulze-Köller, l'infirmière en chef du service. Grande brune aux cheveux courts, elle nous accueille avec un large sourire.
Sur les murs, les décorations en forme de sapins ou de bonhommes de neige volent un peu la vedette aux plans de service. L'ambiance semble agréable et détendue, ce que Stephanie confirme volontiers : « C'est très familial. Par exemple, au moment de Noël, on passe tous dans les chambres pour allumer des bougies et chanter quelques chansons. L'atmosphère qui règne ici a certainement quelque chose à voir avec la tradition chrétienne de l'hôpital. Cela n'implique pas par ailleurs que la religion soit omniprésente et que tout le personnel soignant se doive d'être protestant ! Moi, par exemple, je suis catholique. J'ai aussi un collègue musulman. »
Âgée de 32 ans, Stephanie travaille depuis six ans au Johanniter Krankenhaus. Initialement fonctionnaire auprès d'un organisme gouvernemental, elle décide à 26 ans d'embrasser une carrière d'infirmière. « En fait, mon ancien travail ne m'apportait pas vraiment de satisfaction, alors j'ai fait un stage d'un an dans une clinique universitaire, chez moi, à Fribourg. Et cela m'a emballée ! A l'issue de mes trois années d'études d'infirmière, je suis venue travailler ici, à Bonn. La ville est petite, mais elle me plaît bien. »
Petite agglomération de dimension humaine (avec tout de même aujourd'hui 319 000 habitants), Bonn offre il est vrai un cadre de vie idyllique. Le centre ville est entièrement réservé aux piétons, les bords du Rhin ont été aménagés au plus grand bonheur des promeneurs et des cyclistes, la nature y est généreuse...
Certains la trouvent trop calme et trop provinciale, surtout depuis le départ du gouvernement pour Berlin, une décision officialisée en 1991. « Lorsqu'il a été clair que Berlin redeviendrait la capitale d'une Allemagne réunifiée, on a vraiment eu peur, se souvient Stephanie. On s'est dit que Bonn allait dépérir ! Mais en fait, beaucoup d'entreprises se sont installées ici et le choc n'a pas été aussi brutal qu'on aurait pu le penser. Le plus grand changement réside dans le nombre beaucoup moins élevé de manifestations ! C'est dommage, car cela faisait de l'animation. Et puis avant, à l'hôpital, nous recevions beaucoup plus de personnalités, des hommes et des femmes venus du monde politique, des ambassadeurs, etc. Un de nos professeurs, qui a depuis pris sa retraite, avait même l'ancien chancelier Helmut Kohl comme patient attitré ! »
À ses débuts, Stephanie a bien sûr dû faire pas mal d'horaires de nuit et surveiller seule les 30 lits que compte son service. Mais depuis qu'elle est maman d'un petit garçon de 15 mois, elle assure les « petits matins », de 6 heures à 14 heures 30. « Avec mon fils, cela n'est pas toujours facile de se lever à 5 heures, mais au moins avec ces horaires, j'ai tous mes week-end libres, explique-t-elle, en souriant. En revanche, si un événement grave se passe le samedi ou le dimanche, je peux être appelée à la rescousse en urgence. Et pour ces heures-là, je ne serais pas payée en plus ! »
Stephanie gagne 1 500 euros nets par mois, ce qu'elle estime correct. Elle compte d'ailleurs un bon nombre de collègues originaires du Kazakhstan, attirés vraisemblablement par le salaire et les conditions de vie. Mais aucun syndrome du « plombier polonais » en vue à Bonn : les trois quarts de ses collègues sont allemands. « Peut-être que ces questions migratoires sont plus perceptibles à la frontière avec les anciens pays de l'Est, la Pologne ou encore la République tchèque... », avoue-t-elle, songeuse.
Stephanie pourrait sans aucun doute gagner plus d'argent en s'installant comme libérale, mais elle n'en a pas du tout envie. « Pour moi, ce serait un cauchemar ! C'est fondamental d'avoir une équipe et de pouvoir s'épauler en cas de coup dur. Parfois, à certaines périodes, il arrive que l'on perde un patient par jour. Dans ce cas, nous discutons beaucoup entre nous. Il faut exorciser les angoisses, se déculpabiliser aussi. »
Si elle adore son travail à l'hôpital, Stephanie se voit bien dans l'avenir participer à des missions humanitaires à l'étranger, quand son fils aura un peu grandi. « J'aimerais beaucoup me rendre en Amérique latine et prendre part à un programme d'aide au développement. Le problème, c'est que les ONG recherchent plutôt des infirmières prêtes à travailler dans les zones de conflits, comme en Afghanistan. Et ça, je dois l'avouer, ce n'est pas trop mon truc. »
Alors que la grande coalition alliant conservateurs et socio-démocrates peaufine toujours son programme de gouvernement, quelques idées ont déjà été lancées pour réformer le système de santé allemand. Les multiples caisses de sécurité sociale pourraient ainsi être contraintes de s'unir dans l'avenir. Par ailleurs, tout comme en France, le montant des remboursements est amené à baisser et notre infirmière voit se profiler avec anxiété une sorte de « médecine à deux vitesses ». Ceux qui auront les moyens de payer de leur poche les médicaments pourront se soigner, les autres devront faire sans. Une situation d'autant plus difficile à gérer que la société allemande compte de plus en plus de personnes seules. « Avant, les enfants s'occupaient de leurs parents vieillissants. Il était même assez fréquent que plusieurs générations cohabitent dans la même maison, explique Stephanie. Aujourd'hui, les célibataires sont de plus en plus nombreux, tout comme les personnes âgées sans enfant, et l'hôpital est forcé d'assurer la relève. » À ces mots, Stephanie lève les yeux au ciel : « Parfois, il y a tant de choses que je voudrais changer... »
- 1854 : mise en service de l'hôpital Saint-Jean (« Johanniter Krankenhaus ») par les communautés protestantes de l'ordre de Saint-Jean.
- 1919 : l'hôpital est réquisitionné par les forces d'occupation. Elles quitteront les lieux en mai 1920.
- 1933 : à l'arrivée d'Adolf Hitler au pouvoir, le Johanniter Krankenhaus est transformé en hôpital militaire par la Wehrmacht.
- 1945 : l'hôpital est réquisitionné par les troupes américaines. Il sera ensuite utilisé comme hôpital militaire par la Royal Air Force britannique puis par les soldats belges.
- 1950 : les troupes étrangères restituent l'établissement à l'Allemagne.
- 1978 : après cinq années de travaux, un tout nouvel hôpital est inauguré officiellement.
- 1999 : rénovation de l'aile donnant sur le Rhin. Le service de gériatrie est refait à neuf.