L'Infirmière Magazine n° 219 du 01/09/2006

 

Éducation thérapeutique

Éthique

Face à l'accroissement des maladies chroniques, l'éducation thérapeutique est devenue une nécessité. Mais elle est trop souvent réduite à l'apprentissage de gestes techniques.

« L'éducation thérapeutique ne s'improvise pas. Et ne peut se réduire à la seule transmission aux patients d'un apprentissage de gestes techniques et de bonnes pratiques pour la conservation des produits, même si ces aspects sont très utiles », indique d'emblée Catherine Tourette-Turgis(1), chercheur en sciences humaines et sociales et cofondatrice de Comment dire.

discrédit

Cet organisme de formation développe des programmes consacrés, entre autres, à l'observance thérapeutique et à l'éducation thérapeutique dans le domaine des pathologies chroniques. Pourtant, hormis des maladies tels l'asthme et le diabète où des actions spécifiques d'éducation thérapeutique sont modélisées et font partie intégrante de la prise en charge médicale, la plupart des autres affections chroniques ne bénéficient pas aujourd'hui de ce type de dispositif. Pire, selon le chercheur, en qualifiant d'éducation thérapeutique des initiatives qui n'en sont pas, ce domaine serait en passe d'être discrédité.

« Faute d'avoir su créer ses concepts, son champ de références, son cadre éthique et déontologique, l'éducation thérapeutique n'est le plus souvent utilisée que comme seconde prescription par les médecins pour renforcer leur prescription initiale. Comment s'étonner donc que des patients, malgré l'injonction médicale, ne débutent pas leur traitement ou soient inobservants ?», interroge Catherine Tourette-Turgis.

L'éducation thérapeutique dépasse la seule notion d'apprentissage et, dans le contexte d'une maladie au long cours, doit prendre en compte les dimensions existentielles et transformationnelles engendrées par la pathologie chronique. « La maladie bouleverse les modalités d'existence des personnes qui apprennent par des stratégies de résilience et de survivance des savoirs parfois indicibles qui modifient en profondeur leur rapport au monde », explique ainsi la spécialiste.

suivi et supervision

Permettre aux patients de comprendre l'histoire naturelle de la maladie, de mettre en place des stratégies d'ajustement avec pour priorité la conservation ou l'amélioration de leur qualité de vie et leur offrir de poursuivre leur développement personnel tant au plan affectif, sexuel, familial que professionnel, tels devraient être les objectifs de l'éducation thérapeutique. C'est sans doute à ces conditions que les soignants pourront favoriser et maintenir la motivation des patients. En termes d'exigence éthique, « il est notamment important, estime Catherine Tourette-Turgis, que les infirmières, le plus souvent en charge des actions d'éducation, se forment régulièrement et bénéficient d'un suivi et d'une supervision afin de s'exprimer sur leurs difficultés, leurs attentes, analyser leurs pratiques. »

1- Également maître de conférences en sciences de l'éducation à l'université de Rouen (76).

TÉMOIN Marie-Hélène Colpaert.

« Aucun patient n'a arrêté son traitement... »

« J'ai mis en place et j'anime avec une infirmière une consultation d'éducation thérapeutique dédiée à des patients atteints de sclérose en plaques et entrant en traitement. Nous avons construit ce dispositif avec une association. Les participants nous sont adressés par les médecins lorsqu'ils estiment que la mise en route et le suivi du traitement pourraient poser des difficultés à leur patient, indique Marie-Hélène Colpaert, cadre de santé au sein de la Fédération des maladies du système nerveux(1) à La Pitié-Salpêtrière (Paris). Au-delà du bénéfice thérapeutique, ce programme, composé de deux sessions de deux jours, modifie les rapports entre soignant et soigné. Il m'a permis de me "reconcentrer" sur mon rôle infirmier en plaçant la relation d'aide au coeur de ma pratique. Entre eux, les patients tissent également des liens, se conseillent, échangent sur leur stratégie thérapeutique et leur expérience de la maladie. Aucun des patients ayant suivi cette consultation n'a arrêté son traitement depuis. »

1- Regroupe trois services de neurologie.