une unité de soins palliatifs
24 heures avec
Disposant de quatre lits, bientôt dix en 2007, l'unité de soins palliatifs de Sainte-Périne demeure une exception dans l'accompagnement de fin de vie.
Situé dans le XVIe arrondissement de la capitale, l'unité de soins palliatifs de l'hôpital de Sainte-Périne existe depuis onze ans(1). Ce matin, dans le couloir du service, un poste de radio diffuse de la musique classique. Deux infirmières discutent dans le poste de soins. Juste à côté, le salon des familles, une salle à vivre avec tapis, canapés et fauteuils confortables, accueille deux femmes qui prennent un café.
La philosophie des soignants qui exercent ici est simple : accompagner à leur rythme les personnes en fin de vie en soulageant au maximum leur douleur et en restant le plus en retrait possible. Les malades qui arrivent dans le service sont souvent très affaiblis. Les demandes d'admission dans cette unité sont nombreuses mais le service ne dispose que de quatre lits.
« Nous essayons de distinguer les critères qui nécessitent une admission, explique Didier Tribout, gériatre. Nous privilégions d'abord les gens qui viennent du domicile. Nous décidons aussi par rapport à l'âge, la limite étant de 55 ans au minimum. Les symptômes inconfortables non réglés sont un autre critère important. La famille qui a besoin de souffler et l'éloignement géographique sont aussi des éléments importants pour aiguiller notre choix. »
Ce matin, Danièle Alonso et Dominique Desre, toutes deux infirmières, sont de service. « Aujourd'hui, nous avons trois patients, explique Danièle. Nous attendons une entrée dans la matinée. On les rassure en leur expliquant que leur douleur va être soulagée. Nous nous adaptons à eux et non l'inverse. Ici, par exemple, il n'est pas rare qu'un patient dîne au milieu de la nuit ou soit lavé en pleine journée. Nous pouvons aussi attendre pour un soin. Il est impensable pour nous de les réveiller ou de leur imposer des horaires. Certains restent ici trois mois, d'autres seulement quelques heures. »
Dans ce service, dirigé par le Dr Alain Baulon et placé sous la responsabilité du Dr Jean-Marie Gomas, cofondateur de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, la journée type n'existe pas.
« Nous vivons au rythme du patient, ajoute Dominique. Nous pouvons avoir une matinée calme avant que tout s'accélère. »
Les soignants qui exercent ici ont, pour la plupart, déjà travaillé dans des services « lourds » : cancérologie, réanimation, chirurgie cardiaque... « Après toutes ces années, on se rend compte qu'il manque quelque chose dans notre parcours de soins, explique Dominique. Je voulais absolument réconcilier les aspects technique et relationnel. Pour moi, ça a toujours été indissociable mais ce n'était pas toujours le cas dans les services où j'exerçais auparavant. Nous avons tous vécu des expériences d'accompagnement de fin de vie catastrophiques. C'est vrai que certains médecins considèrent la mort comme un échec. Ils n'écoutent pas le désir du malade. Pour eux, le confort est secondaire. Ici, on fait autant d'écoute que de soin. Nous sommes tous dans la même dynamique. La prise en charge est globale, nous ne soignons pas un organe mais une personne physique et psychologique. »
Dans cette unité, où les patients sont souvent lourdement appareillés, la palette de choix est large pour réduire la douleur et l'inconfort. Le service accompagne autant le patient que sa famille. Une part importante du travail des infirmières consiste à dialoguer avec les proches. Les familles appellent plusieurs fois par jour l'équipe pour prendre des nouvelles.
De la même manière, les proches peuvent venir 24 heures sur 24. Ils ont la possibilité de dormir sur place. Dans le couloir, un panneau de photos de tous les membres du service permet aux proches de savoir, en arrivant, à qui ils ont parlé au téléphone.
Les entretiens avec le patient et les familles se font toujours à deux. « Car seul, on n'entend pas la même chose, précise Danièle Alonso. Les familles ont parfois un avis différent par rapport à l'évolution de la maladie de leur proche. Nous, les soignants, devons absolument tous aller dans la même direction. Les transmissions permettent de faire le point sur l'état des malades. »
Ici, le dossier des patients est commun. Les notes des médecins, de la psychologue et des soignants sont regroupées sur un seul et même dossier. « Quand on lit nos transmissions le matin, explique Dominique Desre, on sait comment s'est déroulée la nuit. On a tout de suite une vision globale. Il n'y a aucun jugement d'une équipe à l'autre. Chez nous, l'esprit d'équipe est élargi à tout le service. »
Pour Didier Tribout, cette cohérence d'équipe est essentielle. « Dans le service, tout est transversal. Cela ne peut fonctionner que comme ça. » Outre l'équipe présente dans l'unité, d'autres professionnels sont appelés régulièrement : orthophoniste, kinésithérapeute, psychomotricienne, ergothérapeute, diététicienne, pédicure et socio-esthéticienne.
Dans une chambre du service, un vieil homme articule quelques mots. Il est entouré de Danièle Alonso et Corinne Zibel, l'aide-soignante, qui lui parlent gaiement. « Vous voulez reboire un peu ? Vous n'avez pas mal ? » La possibilité de prendre un bain dans la matinée est évoquée avec lui.
Une petite heure plus tard, le transfert de la chambre à la salle de bain se fait par un chariot hydraulique. Le patient est couvert d'un drap. L'eau est très moussante « pour respecter sa nudité et protéger son image corporelle souvent altérée par un amaigrissement important, des plaies et des escarres »(2). Une musique relaxante et une lumière atténuée contribuent à faire de ce bain un vrai moment de détente. Les machines ou le matériel ne sont pas un obstacle pour les soignants. « Nous procédons ensuite à l'ablation de certains pansements, à la protection par opsites des perfusions sur portacath ou cathéters centraux. Les seringues électriques seront mises sur position batterie. Les poches de colostomies, urétérostomies, les sondes gastriques et sondes diverses restent bien sûr en place. »(3)
Danièle rase doucement le patient tandis que Dominique lui masse les mollets. Il semble apaisé. Même si ce bain nécessite le détachement de deux soignants pendant deux heures, les bienfaits sont tels que l'équipe n'hésite jamais à le proposer. « C'est un luxe, explique Corinne, l'aide- soignante. Mais nous savons que cela lui fait beaucoup de bien. »
Les entrées de certains patients peuvent être surprenantes. Malgré la maladie, une dame élégante arrive dans le service d'un pas dynamique. Sa valise est posée sur le brancard, sous le regard étonné de l'ambulancier qui l'accompagne. « Ici, on peut arriver sur ses jambes comme cette femme et repartir de la même façon, explique le médecin. Mais c'est rare. Le premier temps du séjour ici est celui de l'évaluation. »
Malgré le nombre réduit de patients, les journées dans l'unité sont très lourdes en charge de travail. Pour fêter les dix ans du service, un texte sur l'exercice au quotidien a été rédigé. « Nous avons la chance de travailler dans des conditions qui nous offrent le temps de soigner en partageant les mêmes valeurs, les mêmes convictions, le même souci de cet autre, qui, avec nous, vit son ultime passage. Chance que d'être là, chance que de faire ce travail. Tous et toutes en sommes conscients et heureux. »
Aujourd'hui en France, les sondages montrent que plus de 70 % des Français souhaitent vivre leurs derniers instants chez eux. Mais seul un décès sur quatre se produit au domicile. Dans notre pays, 150 000 personnes par an meurent après une maladie longue et incurable. Ces malades nécessiteraient des soins palliatifs. Pourtant, aujourd'hui, on ne dénombre que 122 unités de soins palliatifs et 265 équipes mobiles. Ce qui représente un total de 1 040 lits d'hospitalisation(4). À cela s'ajoute une répartition très inégale de ces lits sur le territoire. En comparaison avec d'autres pays comme le Canada ou le Royaume- Uni, berceau des soins palliatifs, la France a encore beaucoup de retard à rattraper.
1- Hôpital Sainte-Périne Chardon-Lagache, unité de soins palliatifs, 11, rue Chardon-Lagache, 75781 Paris cedex 16. Tél. : 01 44 96 33 06.
2- Propos issus d'un document rédigé par l'équipe du service sur le thème suivant : « Transgresser les contre-indications des bains a-t-il un intérêt pour les patients en USP ? »
3- Ibid.
4- Chiffres obtenus sur le site de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, la Sfap (http://www.sfap.org).