La Bourgogne contre l'AVC - L'Infirmière Magazine n° 219 du 01/09/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 219 du 01/09/2006

 

santé publique

Enquête

Unité thérapeutique d'urgence, réseau de télémédecine, surveillance après la sortie de l'hôpital, la Bourgogne a déployé les grands moyens pour lutter contre l'accident vasculaire cérébral (AVC). Et les infirmières jouent un rôle important au sein de cet impressionnant dispositif.

De son PC infirmier, situé au centre de la salle, Marie-Anne Perron visionne les quatre lits, séparés par des rideaux, où se trouvent les patients admis dans l'unité d'urgence neuro-vasculaire (UNV). Un service de soins intensifs, fonctionnant de jour comme de nuit, créé depuis septembre 2003 au CHU de Dijon.

« Cette proximité nous facilite l'exercice d'une surveillance étroite durant les deux premiers jours, commente l'infirmière. Comme nous n'avons à nous occuper que de quatre patients, au lieu d'une vingtaine dans un service traditionnel, cela permet de nouer davantage de liens avec les malades et leurs familles. Le seul inconvénient, c'est qu'on est aussi du coup davantage dérangées... Comme le temps est limité pour intervenir, il faut être efficace pour assurer les transferts et l'on effectue régulièrement une série de tests afin de juger de l'évolution de l'état du patient. En cas de problème, on peut contacter l'interne ou joindre le neurologue d'astreinte à tout moment... ».

« Avant la mise en place de cette unité d'urgence, complète Évelyne Herail, cadre de santé du service de neurologie, on ne pouvait pas être dans cette logique de surveillance continue. Comme le personnel sentait bien le besoin d'être davantage spécialisé en matière de prise en charge des AVC, l'équipe médico-infirmière a formulé une demande de création de ce service auprès de la direction. Depuis janvier 2006, sept postes d'infirmières y sont exclusivement affectés. »

Surveillance étroite

« La mise en place d'un tel service permet de baisser de 20 % le nombre de morts. Et parmi les survivants, nous avons 20 % de patients autonomes en plus, capables de se débrouiller seuls dans leur vie quotidienne ou à leur travail », assure le professeur Maurice Giroud, ancien président de la Société française neuro-vasculaire. Après une première évaluation du patient, qui sert de référence pour la surveillance ultérieure, l'infirmière, durant 48 heures, doit veiller à la prévention de l'aggravation des troubles neurologiques en effectuant une série de dépistages précoces. « Dix paramètres sont à surveiller, informe Maurice Giroud. Il faut maintenir une tension artérielle élevée. Pour combattre une chute brutale inattendue, une perfusion doit être faite. Il faut également lutter contre l'hyperglycémie (au-delà de 1,5 g/l), faire attention à la température (car lorsqu'elle est supérieure à 38 °C, cela aggrave l'infarctus), prévenir toute infection, les escarres, les fausses routes, les problèmes urinaires... » Mais la surveillance ne s'arrête pas là. Il convient aussi de faire un suivi du pharynx et de stopper nourriture et boisson en cas de troubles de déglutition. Apporter de l'oxygène, incliner correctement le patient afin de permettre une meilleure ventilation et oxygénation du cerveau, prévenir les phlébites par la pose systématique de bas de contention constituent également des soins importants. Afin de juger de l'évolution des déficits moteurs, l'infirmière procède aux tests du NIH, la méthode américaine du National Institute of Health. Cette prise en charge corrige rapidement les facteurs qui évoluent mal. C'est le triomphe de l'examen clinique, de la neurologie en intervention, dans lesquels l'infirmière spécialisée a un rôle important à jouer.

Un atout majeur

« Le dernier atout de l'UNV, précise Maurice Giroud, c'est qu'elle permet l'application de la fibrinolyse(1). » En effet, moins de 5 % des malades en France peuvent bénéficier de cette technique, qui exige l'intervention d'un neurologue. C'est une opération que Maurice Giroud pratique depuis dix ans : « Il s'agit d'une véritable course contre la montre puisque le tissu de nouveau irrigué restera quand même mort si l'on intervient trop tard... » Dans ces unités de soins intensifs, il faudrait selon lui obtenir quatre lits d'urgence pour une population de 100 000 habitants.

Une partie de la Bourgogne souffre d'un déficit en neurologues hospitaliers. « Cet état de fait a stimulé la mise en place d'un réseau de télémédecine, effectif depuis 2004, observe Maurice Giroud. Onze autres hôpitaux sont connectés au CHU de Dijon. » Via le réseau à haut débit, les urgentistes extérieurs transmettent plusieurs informations à l'équipe de neurologie de Dijon : scanner, IRM (cerveau et moelle) et deux fiches de données cliniques relatives au patient (comprenant notamment l'âge, les antécédents, les traitements suivis, etc.). Les urgentistes notent aussi leurs questions et l'équipe de neurologues de Dijon dispose d'un maximum de trois quarts d'heure pour leur répondre, en leur fournissant leur diagnostic et leur avis thérapeutique. En général, le CHU reçoit environ deux appels par jour de ce genre. Cette prise en charge collégiale permet aux urgentistes d'être moins seuls et d'améliorer progressivement leurs connaissances. « C'est une sorte de transfert de compétences qui s'établit peu à peu », explique-t-il.

Suivi infirmier

L'unité d'urgence neuro-vasculaire ainsi que le réseau de télémédecine permettent de répondre aux besoins de la phase aiguë. Mais une organisation spéciale a été également imaginée afin de répondre aux nécessités de la phase chronique, où se joue la prévention secondaire. « Seize pour cent des patients rechutent dans l'année qui suit leur AVC, commente Maurice Giroud. Avec souvent pour conséquence la survenue de handicaps moteurs ou cognitifs lourds. Afin d'essayer d'améliorer la prévention des risques, différents acteurs sont réunis au sein d'un même réseau. » La chaîne débute avec l'intervention de Michelle Février. Cette infirmière est chargée d'assurer le suivi des patients atteints d'AVC. Un poste à mi-temps, créé en 2003, dans le cadre d'un projet « ville-hôpital »(2).

« Au CHU, je commence par rendre visite aux malades dans leur chambre. Mon premier rôle, c'est l'écoute !, explique Michelle Février. Comme l'AVC est un choc brutal et traumatisant, le patient comme sa famille éprouvent d'abord le besoin de parler. J'en profite pour évoquer ce qu'ils savent des facteurs de risques. Cela permet de réexpliquer ou de réajuster un certain nombre de notions qu'ils connaissent en matière d'hypertension, de cholestérol, de diabète... » Quand la famille ou le conjoint sont présents, l'infirmière en profite pour les faire participer car parfois les patients eux-mêmes ont des problèmes de mémoire. Elle leur donne aussi quelques conseils généraux en matière d'alimentation et, si besoin, la diététicienne de l'hôpital peut passer les voir. Elle les conseille aussi sur les exercices possibles ou impossibles après un AVC : « Par exemple, pas de sport violent, mais une demi-heure par jour de marche est possible... », indique-t-elle. Et surtout, elle prend le temps d'expliquer à quoi sert tel ou tel médicament. Enfin, Michelle les avertit que la phase de récupération par rapport à leur handicap relève souvent d'un processus long « car autrement ils ont tendance à se décourager. J'essaie de les convaincre de l'intérêt de suivre, après l'hôpital, des séances d'orthophonie ou de kinésithérapie. Enfin, pour bien appuyer mon discours, je leur laisse un document écrit avec mon tampon qui comporte toutes mes coordonnées. » Il s'agit d'un guide pratique, conçu pour les patients et leur entourage, qui apporte 101 questions-réponses au sujet des AVC. Il a notamment été élaboré avec l'aide de la Société française neuro-vasculaire et de l'association France-AVC.

Arrêts de traitements

Lorsque le patient quitte l'hôpital, le CHU envoie une lettre d'information à son médecin généraliste traitant. Il est en effet estimé que 30 % des gens se conforment incomplètement à leur ordonnance trois mois après leur sortie de l'établissement de soins. « À cette échéance, le patient revoit un neurologue de l'hôpital, explique Michelle Février. Trois mois plus tard, c'est à mon tour de les appeler par téléphone. Tout démarre par un dialogue destiné à les mettre en confiance. On reprend ensemble leur histoire. Généralement, les gens sont francs, mon appel les réconforte beaucoup. Ils sont contents de n'avoir pas été oubliés... » Au cours de la conversation, il n'est pas rare de constater parfois qu'ils font des assemblages avec d'autres prescriptions ou même qu'ils arrêtent leurs médicaments au bout de six mois, parce qu'ils ont peur des effets secondaires induits. « Leur médecin traitant n'est pas forcément au courant, mais comme ils ressentent le besoin d'avoir la bénédiction de quelqu'un, ils en profitent pour m'en parler, sans doute aussi parce que mon statut d'infirmière me rend plus proche des gens... J'essaie de connaître leurs raisons puis je réexplique en quoi le traitement est nécessaire. Souvent, ils le reprennent, quand ils ont compris à quoi ça sert. Lorsqu'il y a vraiment opposition, ils me le disent carrément. »

Bilan d'autonomie

Michelle profite aussi de son appel pour établir un bilan de leur autonomie et de leur handicap en les questionnant via les tests de Rankin et de Barthel. « Le premier mesure leurs séquelles motrices. Le score de Barthel aide à évaluer leur marge d'autonomie. Je dois aussi remplir une échelle de dépression, mais là, j'estime que ce n'est pas facile à juger par téléphone... L'appel peut cependant nous permettre d'évaluer la souffrance du conjoint et ses possibilités de déprime. Enfin, en cas de nouveau problème, je leur rappelle de ne pas attendre leur médecin traitant et de téléphoner directement aux urgences. Car certains n'osent pas déranger. »

Émules en Île-de-France

« La coordination de ce réseau de soins de suite est assurée par un neurologue libéral, le Dr Mickael Menassa, remarque Maurice Giroud. Michelle Février peut lui demander conseil et il est également là pour répondre aux interrogations des médecins généralistes. » Quand l'infirmière relève certains problèmes, une lettre est adressée au médecin traitant du patient, censé remédier aux dysfonctionnements constatés. « Mon souhait serait de développer encore plus ce suivi, precise-t-il, notamment en collaborant avec des nutritionnistes et en intégrant davantage de médecins généralistes. C'est en tout cas une expérience qui commence à intéresser d'autres collègues, puisqu'un réseau similaire est en train de se monter en Île-de-France. »

1- Destruction du caillot pour les malades atteints d'infarctus cérébraux, admis dans les trois premières heures et âgés de moins de 80 ans.

2- Le système complet de prise en charge décrit dans cet article bénéficie du financement de différents partenaires (CHU, Agence régionale d'hospitalisation, ville de Dijon, Union régionale des caisses d'assurance maladie, conseil régional, etc.).

prévention

UN REGISTRE DIJONNAIS DES AVC

En France, les AVC représentent un véritable défi de santé publique. Ils constituent en effet la première cause de handicap moteur, la deuxième cause de démence, la troisième cause de décès. Même si 75 % des patients touchés ont plus de 65 ans, il arrive que cette maladie frappe aussi des jeunes. Afin de répondre à un manque national de données épidémiologiques, les médecins hospitaliers et les neurologues libéraux collaborent depuis vingt ans à la tenue d'un registre dijonnais. « Cela nous permet de constater une baisse significative des AVC résultant de problèmes cardiaques et d'embolies, commente le professeur Maurice Giroud. On observe en revanche une augmentation de ceux liés au diabète. On a fait reculer l'âge de survenue des AVC de plus de cinq ans chez l'homme, de plus de huit ans chez la femme. Aujourd'hui, on connaît bien les facteurs de risques, mais on reste encore peu efficace en matière de prévention. En effet, on estime qu'environ une personne sur deux souffrant d'hypertension, de cholestérol ou de diabète est mal suivie (en raison de la négligence des patients, etc.). Et l'on fume encore beaucoup, même si le tabagisme a reculé. »