L'Infirmière Magazine n° 219 du 01/09/2006

 

Soins palliatifs

Questions à

Président de la Coordination régionale du Nord-Pas-de-Calais pour les soins palliatifs, Henri Delbecque se félicite de l'élargissement de l'offre mais souligne les problèmes liés notamment au sous-effectif et à la formation.

Que pensez-vous des besoins des personnes âgées en matière de soins palliatifs aujourd'hui ?

Bien que je ne sois pas gériatre, il suffit de considérer les statistiques pour reconnaître que les décès surviennent de plus en plus tard dans la vie. En effet, aujourd'hui, plus de 60 % des décès arrivent après 75 ans. Les personnes âgées ont le droit de vivre ce temps comme les autres. Bien sûr, la fin de vie des personnes âgées a des spécificités. Les pathologies en cause sont très variées et elles ne se limitent pas aux cancers. Très souvent, ce sont des polypathologies, des maladies cardiaques ou cérébrales. Les personnes sont exposées à une plus grande vulnérabilité, les situations familiales, les revenus sont très inégaux. Les risques d'hospitalisation sont plus grands et les déracinements exposent à la déstabilisation et à la perte des repères. Elles connaissent souvent la solitude et l'abandon.

Les personnes âgées ont droit tout autant que d'autres aux soins palliatifs et à l'accompagnement. Peut-être même ont-elles davantage de besoins sociaux, relationnels ou psychologiques, même si l'approche de la mort est très différente de celle des personnes plus jeunes.

Dans le rapport remis au ministre, j'avais placé les personnes âgées parmi les bénéficiaires prioritaires, en raison de leur nombre... Et, depuis ce rapport, on meurt encore plus vieux. Dans le futur, le nombre de personnes âgées va augmenter de façon considérable et le nombre de leurs décès aussi puisqu'il va dépasser les 500 000 morts par an dans une vingtaine d'années.

Le nombre des aidants familiaux, lui, va diminuer. On sait pourtant le rôle fondamental de la famille. Le nombre d'enfants en capacité d'aider va décroître par l'éloignement géographique, l'âge, leurs propres limites.

L'accès des personnes âgées aux soins palliatifs est-il actuellement conforme à la loi du 9 juin 1999, garantissant ce droit à tout malade ?

Il faut bien dire que c'est encore souvent une question de chance, y compris pour les plus jeunes. L'application se fait lentement mais elle se fait, grâce aux équipes mobiles (EMSP), grâce aux Unités de soins palliatifs (USP) et aux réseaux de proximité. Bien sûr, il n'y a pas encore assez d'USP et on ne compte encore que 700 lits de ce type en France. Il faudrait une politique plus volontariste. Mais il faut rappeler que les financements spécifiques ont commencé à parvenir en 1999, comme la loi. Avant, il n'y en avait pas... À partir de cette date, plus de 2 000 équivalents temps plein ont été créés en quatre ans. Depuis, cela continue, certes plus lentement, mais cela continue, notamment dans les réseaux de soins palliatifs, avec en moyenne cinq professionnels par réseau, grâce au fonds d'aide pour la qualité des soins en ville (FAQSV) et à la dotation nationale de développement des réseaux (DNDR).

La demande existe, l'offre s'élargit, notamment au domicile (plus de cent réseaux se sont créés), y compris pour des malades âgés et des malades non cancéreux, permettant le choix de rester jusqu'au bout à la maison ou en institution. Les lois sur le handicap et sur l'Apa (Allocation personnalisée d'autonomie) y ont contribué. Les moyens financiers et humains augmentent aussi. Les formations sont maintenant officielles dans les Ifsi et dans les facultés de médecine (module soins palliatifs, douleur). On observe une démultiplication de la culture des soins palliatifs et de la douleur en direction des médecins généralistes, ce qui permet de toucher de plus en plus de malades. L'effet de contagion est progressif. Parmi les hôpitaux, les 350 hôpitaux locaux ont presque tous adopté la démarche palliative pour répondre aux souffrances et à leur vocation de soignants. La transmission des savoirs est plus systématique. C'est comme une lame de fond qui progresse et rend les soins palliatifs plus accessibles. Bref, la justice sociale progresse. Et il faut souligner ici le rôle majeur des gériatres et des infirmières au début des soins palliatifs. La loi de juin 1999 et celle du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins, leurs décrets d'application, les deux plans 1999-2001 et 2002-2005 de développement des soins palliatifs et de l'accompagnement, et les schémas d'organisation sanitaire (Sros) ont assuré une prise de conscience des besoins des malades et un véritable décollage de la démarche palliative et de la mise en place de structures pérennes. Le mouvement actuel étend la prise en charge des malades en fin de vie vers le domicile et dans les établissements médico-sociaux.

Quels sont les avantages de la loi de 2005 sur l'accompagnement de la fin de vie pour les personnes âgées ?

La nouvelle loi, dite loi Léonetti, comparée à celle de 1991 sur la réforme hospitalière, a l'avantage de concerner tous les établissements, y compris les établissements médico-sociaux. C'est très important pour les quelque 8 000 Ehpad (Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) et pour les maisons de retraite médicalisées.

Ainsi, on s'intéresse à présent à la formation en soins palliatifs et à la lutte contre la douleur des personnels et des médecins coordonnateurs dans les Ehpad. Un cédérom de formation à leur intention est actuellement en expérimentation en Picardie. Cette loi étend la pratique des soins palliatifs dans les établissements pour personnes âgées.

Elle a le mérite de clarifier les termes d'euthanasie, de soins palliatifs et d'obstination déraisonnable. Elle ne consent pas à la dépénalisation de l'euthanasie, malgré une opinion plutôt favorable. En revanche, elle institue le droit au « laisser mourir » lorsque les soins sont « inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». Elle insiste à nouveau sur le respect du refus du malade à consentir à des explorations ou à des soins proposés par le médecin. Elle met l'accent sur la formation en soins palliatifs qu'elle encourage vivement. Elle prend en compte l'avis de la « personne de confiance » et les « directives anticipées », jusqu'à présent non reconnues en France, utiles lorsque la personne est dans l'incapacité d'exprimer sa volonté. Enfin, la décision médicale doit faire l'objet, dans les situations difficiles, d'une concertation, notamment avec l'équipe soignante, tenant compte des avis exprimés par la famille, par la personne de confiance et des directives anticipées. La décision doit être écrite dans le dossier médical. Donc, la loi de 2005 garantit plus de collégialité et plus de transparence dans les décisions médicales, et souligne l'importance de l'équipe soignante pluridisciplinaire.

Et ses éventuels inconvénients ?

S'il y en a, ils sont plutôt dans le domaine des traitements avec la notion éventuelle du « double effet ». Notamment les opioïdes et le midazolam (Hypnovel®). Tout est dans l'intentionnalité, dans les bonnes pratiques et l'évaluation des effets de ces médicaments. Selon l'article 2, si « le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne (en fin de vie...) qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade [...] »

La sédation ou sommeil médicalement induit s'impose quand il n'est pas possible de faire autrement, en l'utilisant de façon temporaire, pour une période limitée au contrôle, s'il se peut, de la souffrance ou d'une complication particulièrement intense.

L'évaluation et la lutte contre les douleurs liées à la maladie et aux actes médicaux sont encore insuffisamment utilisées. Beaucoup de personnes âgées expriment leurs douleurs, souvent multiples, plus par des attitudes ou des signes trompeurs que par des plaintes. Les opioïdes sont trop souvent insuffisamment prescrits, ou par méconnaissance ou par craintes exagérées, même si la posologie doit être ajustée aux capacités rénales.

Quelles sont les conditions nécessaires à l'accès des personnes âgées aux soins palliatifs ?

C'est d'abord la formation des personnels et surtout des médecins prescripteurs. Nous restons encore en deçà de ce qu'il faudrait.

L'enseignement des soins palliatifs dans les facultés et dans les Ifsi devrait être obligatoire. Les efforts de la FMC (formation médicale continue) et des DU (diplômes universitaires) de soins palliatifs sont nécessaires. L'évaluation individuelle des praticiens vient d'être instituée.

Il faut également encourager le développement des structures de soins palliatifs dans les hôpitaux et améliorer l'organisation, et plus encore la coordination, des soins au domicile.

Les personnes âgées veulent de préférence être soignées dans leur lieu habituel de vie, domicile ou institution, sans transfert au dernier moment.

Le sous-effectif soignant dans les unités de soins de longue durée, dans les Ehpad et les maisons de retraite médicalisées, demeure une forme de maltraitance institutionnelle, obstacle majeur à la démarche palliative.

Enfin, le public et la société qui occultent encore la mort et le deuil ont besoin d'être mieux informés sur les possibilités actuelles de soins adaptés à la personne unique, sur l'organisation désormais mieux assurée aujourd'hui des soins et du bénévolat d'accompagnement, qui se sont beaucoup développés pendant ces quinze dernières années.

profil

Henri Delbecque

Coordination régionale du Nord-Pas-de-Calais pour les soins palliatifs, centre hospitalier de Dunkerque

En 1990, le Dr Henri Delbecque a été chargé par Claude Evin, alors ministre de la Santé, de rédiger un rapport sur les soins palliatifs et l'accompagnement de fin de vie. Dès cette époque, il souligne l'importance des besoins gériatriques dans ce domaine. Le rapport se prononce pour une véritable culture du traitement de la douleur et une perspective de développement des soins palliatifs à domicile.