L'Infirmière Magazine n° 219 du 01/09/2006

 

prévention

Dossier

Le suicide représente en France 2 % des décès. Depuis les années 90, de multiples actions de prévention ont été mises en place, destinées notamment aux jeunes. La prise en charge des suicidants et le soutien aux familles demeurent perfectibles.

« Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux, c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. » Ainsi s'exprimait Albert Camus face à un phénomène qui interroge chaque individu et la société toute entière. 10 664 suicides ont été recensés en France en 2003 et les tentatives de suicide ayant donné lieu à un contact avec le système de soins s'élèvent à 195 000. Autant de données sous-évaluées : l'Inserm estime à 2 000 le nombre de suicides non recensés, et toutes les tentatives de suicide ne font pas l'objet d'une prise en charge sanitaire. Selon un sondage UNPS-Macif en 2006, une personne sur quatre a été directement confrontée à un suicide dans son entourage familial, amical ou professionnel.

Le suicide est perçu comme un fait social depuis l'étude sociologique d'Émile Durkheim sur ce sujet en 1897. Les approches psychiatrique et psychologique se concentrent sur l'aspect individuel du phénomène. Plus en marge, certains chercheurs planchent sur des facteurs biologiques ou génétiques, sans que ces pistes soient confirmées. Les experts étudient autant les suicidés, les suicidants et les suicidaires, des termes qui distinguent ceux qui en sont morts, ceux qui ont commis une tentative de suicide et ceux qui y pensent de façon intense.

Miroir social

Aucun lien direct n'a pu être établi entre le taux de suicide et la croissance économique, même si des pics ont été enregistrés en 1986 et 1993, en pleine crise. En réalité, comme le démontre l'analyse de Christian Baudelot et Roger Establet, auteurs du livre Le Suicide, l'envers de notre monde, ce sont davantage les transitions sociales brutales qui sont déstabilisantes, qu'elles annoncent une crise ou une période faste.

À chaque tournant, une reconfiguration des liens sociaux s'opère, marginalisant différentes franges de la population selon le contexte. Comme l'affirmait Émile Durkheim, « le suicide varie en raison inverse du degré d'intégration des groupes sociaux dont fait partie l'individu ». Il reflète donc les zones de relégation d'une société. Par exemple, le taux de suicide chez les jeunes déscolarisés est le double de celui des autres adolescents, les filles françaises d'origine étrangère étant particulièrement touchées selon le rapport Précarité et santé du Pr Albert Hirsch de 1998. Les migrants, les détenus ou les habitants des zones rurales du quart nord-ouest de la France notamment sont aussi très concernés.

Liens sociaux

La mortalité par suicide augmente avec l'âge, même si le nombre de suicides des personnes âgées tend à diminuer ces dernières années. Cependant, le suicide est la deuxième cause de décès des 15-25 ans et la première des 30-40 ans. Plusieurs études soulignent aussi un effet de génération. Chacune a sa propre façon d'appréhender les mutations sociales car chacune a un système de valeurs propre, construit face aux événements traversés.

Ainsi, les générations nées avant 1930-40 se suicident moins que celles nées après 1950. Les générations du baby-boom connaissent une recrudescence du suicide : ayant accédé à l'âge adulte à la fin des Trente glorieuses, elles ont affronté les déceptions de mai 68, le choc pétrolier et la montée du chômage.

Du temps d'Émile Durkheim, la religion protégeait du suicide, non pas tant en raison de l'interdiction de se donner la mort, mais en raison des liens sociaux forts que la pratique religieuse entretenait. Aujourd'hui, les mariés se suicident moins que les célibataires. Mais le veuvage et le divorce sont statistiquement plus suicidogènes que le célibat.

Par ailleurs, ce sont les hommes qui se suicident le plus - trois hommes pour une femme - tandis que les femmes font davantage de tentatives de suicide. Là encore, ce constat n'est pas universel. Entre 1950 et 1970, le suicide féminin a progressé tandis que le suicide masculin a régressé. L'entrée des femmes sur le marché du travail les a fragilisées, sans doute car elles ont dû faire face à une multiplication de tâches et de choix de vie.

Mais, depuis le début des années 1990, le suicide masculin a progressé. Cette différence sexuelle que l'on retrouve dans d'autres pays tient à la place dévolue à chacun au sein des familles. Les hommes tissent davantage de liens en dehors de la cellule familiale, tandis que les femmes s'inscrivent dans une continuité familiale à travers les générations, ce qui leur permettrait de mieux s'adapter à la retraite ou au veuvage notamment.

Une maladie ?

« 100 % des suicidants sont en souffrance, ce qui ne veut pas dire qu'ils sont tous atteints de maladies psychiatriques », résume Jean-Jacques Chavagnat, psychiatre au CH Laborit de Poitiers et président du Groupe d'étude et de prévention du suicide. Au-delà de la détresse morale, des troubles mentaux sont néanmoins associés au suicide, à hauteur de 40 à 50 %. Certaines maladies mentales impliquent d'ailleurs un risque majoré : 10 % des schizophrènes et 20 % des personnes souffrant de troubles bipolaires meurent par suicide. Troubles de la personnalité ou de l'adaptation, état anxieux ou borderline figurent parmi les diagnostics psychiatriques, mais la dépression est le plus récurrent.

« La définition de la dépression reste ambiguë, estime Jean-Pierre Soubrier, psychiatre expert auprès de l'OMS et président de l'Association internationale de psychiatrie. Soit elle est considérée comme une maladie, soit comme un trouble psychologique non psychiatrique. » Actuellement, les spécialistes distinguent la dépression réactionnelle, ou déprime, qui fait suite à un événement pénible, et la dépression profonde qui peut être prise en charge en psychiatrie. Par ailleurs, certaines pathologies mentales ne sont pas identifiées lors d'un passage à l'acte. Une tentative de suicide chez un jeune est souvent l'occasion de dépister la naissance d'un problème psychiatrique. En effet, les maladies constituées augmentent avec l'âge. L'explication psychiatrique systématique de tous les cas de suicide est alors tentante, bien que parcellaire.

Aucun profil type

L'association Phare enfants-parents, une des nombreuses associations de soutien aux familles de jeunes suicidaires et suicidés, relève cependant un profil particulier. « Ce sont ceux dont on dit qu'ils ont tout pour être heureux, qui ne sont ni psychotiques, ni traumatisés par un événement marquant, note Johanna de Lagarde, médiatrice familiale et responsable du service d'accueil et d'écoute de l'association. Ils sont souvent hypersensibles à l'injustice, avec une fibre artistique et réussissent bien leurs études. » Des traits de personnalité peuvent donc intervenir. « L'analyse comporte de multiples dimensions, rappelle Jean-Jacques Chavagnat. Comment expliquer que tel schizophrène passe à l'acte et pas tel autre ? Par ailleurs, tous les dépressifs ne se suicident pas ! Il ne faut donc pas s'en tenir aux facteurs déclenchants. »

Ces facteurs jouent cependant un rôle : la majorité des suicidés ont vécu un événement de vie marquant trois mois avant le décès : deuil, rupture, perte d'emploi... Tout ce qui fragilise une personne présente un risque, comme l'annonce d'une maladie où le pronostic vital est engagé, l'entrée au collège, le début de la retraite. Ainsi, les approches sociales, psychiatriques et psychologiques s'entrecroisent, d'où la naissance ces dernières années d'une nouvelle science, la suicidologie.

Le travail de la prévention

Depuis 1996, la prévention du suicide est une des dix priorités nationales, grâce aux travaux de Michel Debout, psychiatre et professeur en médecine légale au CHU de Saint-Étienne et depuis président de l'Union nationale pour la prévention du suicide (UNPS). En 1997, une journée nationale pour la prévention est décidée et un programme national adopté en 1998 pour faire passer le nombre de suicides sous la barre symbolique des 10 000 morts. Depuis, ce chiffre est effectivement en baisse, sans que cette réduction puisse être attribuée au travail de prévention, l'évaluation des actions étant balbutiante. La prévention part du principe qu'une bonne part de suicides est évitable et repose sur la promotion de la santé mentale. Il s'agit de former un maximum de professionnels au dépistage de la crise suicidaire, conformément aux conclusions de la conférence de consensus menée sous l'égide de la Fédération française de psychiatrie et de l'Anaes(1) en octobre 2000. « Il s'agit de secourisme de base sur le plan psychique », selon Jean-Jacques Chavagnat. D'une durée de six à huit semaines, la crise constitue un moment d'extrême vulnérabilité et de rupture, pas toujours apparentes. Deux millions de personnes seraient concernées chaque année. Certains comportements peuvent alors être annonciateurs d'un passage à l'acte, même si ces « appels » ne sont pas toujours audibles.

Urgentistes, médecins généralistes, infirmières, psychiatres, enseignants, membres d'associations à vocation sanitaire ou sociale, travailleurs sociaux et intervenants judiciaires continuent donc d'être formés car ce programme a été reconduit dans le cadre de la stratégie nationale d'actions face au suicide adoptée pour 2000-2005, toujours d'actualité.

Idées reçues

Les manifestations de la crise varient selon les âges de la vie. En effet, la détresse d'une personne âgée est moins bruyante que celle d'un adolescent et peut se manifester par un syndrome de glissement, un laisser-aller vers la mort. Il s'agit aussi de combattre l'idée reçue selon laquelle parler du suicide à une personne en souffrance peut l'inciter à commettre l'irréparable. En effet, le suicidaire est partagé entre la vie et la mort, l'impulsivité menant à l'acte n'étant que transitoire. Il faut également souligner qu'une période d'accalmie suite à une phase de mal-être profond n'est en rien rassurante. Le suicidaire peut alors se sentir plus serein après avoir arrêté sa décision. La prévention passe aussi par le soutien aux réseaux d'écoute téléphonique comme SOS suicide, SOS amitié ou Fil santé jeunes, la multiplication de centres Recherche et rencontre pour les personnes isolées, la mise en place de référents au niveau des Dass (Directions des affaires sanitaires et sociales) et des Drass (Directions régionales des affaires sanitaires et sociales), la création de répertoires de professionnels, et l'apprentissage du travail en réseau.

Un des axes de prévention, très développé au Québec et aux États Unis, repose sur la diminution de l'accès aux moyens létaux. Une approche délicate, d'autant que la pendaison est le mode de suicide le plus fréquent. En tout cas, une étude américaine a montré que les taux de suicide étaient six fois plus nombreux dans les états légalisant la détention d'armes. En France, où un quart des foyers détient une arme à feu, l'entreposage sécuritaire des armes pourrait sauver chaque année 1 500 personnes sur les 3 600 qui se tuent de cette façon.

Par ailleurs, l'Angleterre et l'Australie sont parvenues à diminuer le nombre de suicides par empoisonnement médicamenteux grâce à la baisse de la prescription de psychotropes.

En France, premier pays consommateur de ces substances, le constat est unanime pour affirmer que les généralistes doivent être mieux formés, car ils reçoivent 80 % des personnes atteintes de troubles mentaux souhaitant consulter.

Depuis les recommandations de l'Anaes de 1998 sur « la prise en charge hospitalière des personnes ayant fait une tentative de suicide », l'accueil spécifique des suicidants est beaucoup mieux organisé dans les hôpitaux, avec des entretiens psycho-socio-somatiques ou une hospitalisation plus longue au besoin.

Suivi complexe

Cependant, tous les suicidants ne sont pas dépistés ou pris en charge : un peu plus d'une tentative sur deux donne lieu a un recours aux soins. D'un côté, les familles gardent parfois le secret ou ont peur de la psychiatrie et, de l'autre, les recommandations en vue d'une hospitalisation en cas de tentatives de suicide ne sont pas toujours appliquées.

Mais si globalement la prise en charge hospitalière des tentatives de suicide s'est nettement améliorée ces dernières années, le suivi après hospitalisation est loin d'être la norme. Il devrait se développer afin de prévenir les récidives. En effet, plus d'un tiers des suicidants réitèrent leur geste dans l'année qui suit. Le suivi est évidemment complexe en raison du problème de compliance des suicidants aux traitements ou aux consultations. « Seul Cuba a instauré un suivi systématique, observe Jean-Pierre Soubrier. Avant toute sortie de l'hôpital, rendez-vous est déjà pris avec la famille et un médecin pour passer le relais, en accord avec le patient. Le suivi se fait aussi par des relances téléphoniques. »

En France, une psychiatrie de liaison reste à inventer car rares sont les réseaux ville-hôpital dans ce domaine. Les infirmières devraient être amenées à y jouer un plus grand rôle (cf. encadré page précédente). La prise en charge comprend aussi le soutien aux familles endeuillées, car le traumatisme après un suicide est important, notamment en termes de santé mentale.

Ainsi, la Direction générale de la santé, l'UNPS et l'association Vivre son deuil viennent d'achever une brochure destinée aux endeuillés et plusieurs associations animent des groupes de soutien. Une prochaine conférence de consensus devrait également avoir pour thème « deuil et suicide ».

Santé au travail

La prévention reste cependant lacunaire car elle cible surtout les adolescents, dont la mort reste la plus inacceptable socialement. La prévention du suicide des personnes âgées est plus récente, leurs souffrances ayant longtemps été banalisées comme un signe de vieillesse. Pourtant, le suicide des adultes est le plus important.

Le plan santé mentale est censé pallier ce manque et la prévention s'intéresse désormais, quoique timidement, aux entreprises.

Le vieil adage « le travail, c'est la santé » est mis à mal par les contraintes subies : stress, manque de reconnaissance, harcèlement ou encore licenciements abusifs. Les cas de mises en liquidation judiciaire brutales ont eu des conséquences dramatiques : des dizaines de tentatives de suicide et plusieurs suicides accomplis. Lors du conflit de l'été 2001 qui a touché une usine de textile de Mosley à Roubaix, une cellule psychologique a joué un rôle protecteur. Mais ce type d'initiative reste exceptionnel. C'est pourquoi les experts de la prévention espèrent construire des actions dans le cadre du plan santé au travail 2005-2009.

D'autres orientations de la stratégie nationale développent des actions plus ciblées. Un plan interministériel vise à prévenir le suicide dans les prisons. Le milieu carcéral a en effet pris le « relais » de l'hôpital, puisque le nombre de psychotiques incarcérés a quintuplé ces dix dernières années. Les populations en grande précarité ne sont pas suffisamment ciblées. La question est cependant urgente car la demande de soins spontanée des plus démunis est rare. Comme le note le rapport du Pr Hirsch de 1998 sur l'impact de la précarité sur les questions de santé : « Le poids d'une culture médicale centrée sur l'individu et non pas sur l'individu dans la société, l'absence d'une vision de santé publique, aboutissent dans de nombreux cas à un échec à prendre en charge la souffrance psychique des populations défavorisées. »

Tous acteurs

Outre les effets bénéfiques des diverses formes de soutien social, d'autres approches insistent sur le rôle des « compétences individuelles » comme la capacité à faire face ou l'estime de soi.

Ainsi, dans les écoles et les lycées de la région Poitou-Charentes, les adolescents sont sensibilisés afin de servir de relais lorsqu'ils constatent qu'un copain va mal. De même, les parents peuvent être des acteurs de la prévention. C'est un des buts des actions de soutien à la parentalité, qu'elles soient menées par des associations de parents, certains réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents, ou des professionnels de santé comme l'Unité de prévention du suicide du CH de Montbert (cf. encadré, page précédente). « Les familles amortissent bien des crises, estime Chantal Lebatard, présidente du département sociologie, psychologie et droit de la famille à l'Unaf. Elle sont "l'Assedic des jeunes". Et même lorsqu'elles sont sources de mal-être, il ne faut pas ajouter une amputation à la souffrance, et donc favoriser malgré tout le lien entre enfants et parents. » La place des familles reste cependant ambiguë dans la prévention, étant donné l'approche psychiatrique qui les considère souvent comme pathogènes. Michel Debout, président de l'UNPS, estime que « les associations de parents sont riches, même si leur place est discutée par les professionnels. Les deux doivent se rapprocher tout en restant chacun dans son rôle. »

Une réelle volonté publique

Ainsi, l'approche du suicide ces dix dernières années a suscité une prévention tous azimuts qui témoigne d'une réelle volonté publique concrétisée en actes. L'annonce en février 2006 de la création prochaine d'un Observatoire national du suicide s'inscrit dans cette continuité. Mais l'effet des différentes mesures adoptées risque de se diluer dans la masse, laissant la question de la pertinence des actions mises en oeuvre et des moyens financiers engagés en suspens. -

1- Anaes : Agence nationale d'acréditation et d'évaluation des établissements de santé.

À retenir

> Le suivi des suicidants après leur passage à l'hôpital demeure insuffisant, en raison notamment des carences de la psychiatrie française et du manque de collaborations pluridisciplinaires.

> La prévention repose sur le repérage de la crise suicidaire, un phénomène identifiable. Les adolescents et les personnes âgées sont les premières cibles, tandis que le suicide des adultes, plus important en nombre, reste plus ignoré.

méthode

L'AUTOPSIE PSYCHOLOGIQUE

Approche peu développée en France, l'autopsie psychologique suscite un grand intérêt. Elle consiste à rechercher les causes psychologiques d'un décès équivoque ou d'origine indéterminée. Il s'agit donc d'abord d'élucider s'il s'agit d'un suicide ou non. Elle permet parfois de poser un diagnostic psychiatrique post mortem, sans pour autant se limiter à cet objectif, qui intéresse les épidémiologistes. D'après cette méthode, 80 % des suicidés souffriraient de troubles mentaux. Un chiffre élevé qui s'explique par un biais de sélection. Ce sont souvent pour les cas les plus graves que les familles acceptent cette démarche expérimentale, qui est donc loin de recouvrir tous les décès par suicide. Mais surtout, en étudiant les circonstances du passage à l'acte, l'autopsie psychologique permet de comprendre pourquoi telle personne schizophrène s'est suicidée par exemple. Elle apporte donc des réponses aux familles confrontées à un suicide, ce qui a abouti aux États-Unis à la mise en oeuvre de stratégies d'aide aux endeuillés du suicide.

Ressources

> Union nationale pour la prévention du suicide.

Tél. : 01 40 20 43 04. Internet : http://www.infosuicide.org.

> Phare enfants-parents.

Tél. : 0810 810 987.

> Jonathan pierre vivante.

Tél. : 01 42 96 36 51.

> Suicide écoute.

Tél. : 01 45 39 40 00.

> SOS suicide phénix France.

Tél. : 01 40 44 46 45.

> Vivre son deuil.

Tél. : 01 42 38 08 08.

points de vue

LES INFIRMIÈRES ET LA PRÉVENTION

Françoise Facy, chercheuse à l'Inserm.

« La place des infirmières devrait être reconsidérée pour éviter une trop grande psychologisation de la prise en charge. En intervenant à domicile, elles ont un accès aux familles et leurs visites permettent de créer du lien, notamment en zone rurale. En tant que garantes de la santé physique, elles agissent sur l'image corporelle et l'estime de soi, ce qui peut correspondre à certains suicidants qui préfèrent éviter de recourir aux psychiatres. Mais leurs interventions en milieu scolaire ou dans l'accompagnement de la fin de vie à domicile manquent encore de visibilité auprès de la population. »

Jean-Jacques Chavagnat, psychiatre au CH Laborit de Poitiers.

« Depuis vingt ans, les infirmières ont eu plus de responsabilités face aux suicidaires et aux suicidants. Cette tendance lourde devrait se poursuivre étant donné les problèmes de répartition sur le territoire des généralistes et des psychiatres et la vague annoncée de départs en retraite. Et alors que le suivi des suicidants commence à se mettre en place, les infirmières des centres médico-psychologiques sont en première ligne pour accueillir les suicidants sans attente. »

initiative

LA COMMUNAUTÉ IMPLIQUÉE

L'unité de prévention du suicide du centre hospitalier de Montbert (44) a été créée en 2003 sur une conviction : la prévention est l'affaire de la communauté avant d'être celle des spécialistes. L'équipe, composée d'une psychiatre,

d'une psychologue, de trois infirmières et d'une secrétaire médicale, a notamment répondu à la demande d'élus du Val-de-Logne, inquiets face aux comportements à risque de certains adolescents. Le projet a abouti, entre autres, à l'ouverture d'un espace de parole pour les parents, la collaboration avec une auto-école pour un travail pédagogique auprès d'adolescents et un programme d'activité auprès d'élèves d'écoles primaires pour renforcer leurs compétences psychosociales (estime de soi, aptitude à demander de l'aide et à en apporter, expression des émotions, solidarité). L'unité se pose aussi en « aide aux aidants ». Par exemple, l'ensemble du personnel d'une maison de retraite, agents d'entretien compris, a été formé au repérage de la crise suicidaire. Un groupe de parole pour les endeuillés du suicide est aussi fonctionnel.

À lire

> Acteurs et chercheurs en suicidologie, sous la direction de Françoise Facy et Michel Debout, Paris, éditions EDK, 2006.

> Suicide, l'envers de notre monde, Christian Baudelot et Roger Establet, Le Seuil, 2006.

> La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge, conférence de consensus, Anaes, 2000.

> Prise en charge hospitalière après une tentative de suicide, Anaes, 1998.

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