Les troubles fonctionnels intestinaux - L'Infirmière Magazine n° 219 du 01/09/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 219 du 01/09/2006

 

digestion

Conduites à tenir

Même s'ils ne mettent pas en jeu le pronostic vital, les troubles fonctionnels intestinaux perturbent considérablement la qualité de vie de plusieurs millions de personnes en France. Ils doivent être distingués d'une maladie organique et requièrent d'être particulièrement pris au sérieux.

DÉFINITION

Les troubles fonctionnels intestinaux sont caractérisés par des douleurs abdominales ou un inconfort se traduisant souvent par un ballonnement ou une sensation de distension abdominale (météorisme)(1). Ces symptômes sont généralement associés à des troubles du transit et/ou sont soulagés par l'exonération. La classification internationale (critères de Rome) ajoute une notion de temps à cette définition. Ainsi, les troubles fonctionnels intestinaux sont définis comme tels lorsqu'ils surviennent de façon chronique pendant au moins trois mois au cours des douze derniers mois. En pratique, les plaintes les plus fréquemment rapportées par les patients sont les émissions excessives de gaz, les douleurs abdominales, les ballonnements, la constipation, l'aérophagie, la diarrhée, la mauvaise haleine et la sensation d'évacuation incomplète des selles(2).

AVEC OU SANS DOULEUR

Compte tenu de la diversité de ces manifestations, il est classique de différencier les troubles au cours desquels la douleur est le symptôme prédominant (ce sont les plus fréquents) et ceux sans douleur abdominale (diarrhée isolée ou constipation indolore). Le ballonnement abdominal isolé est encore classé à part. Les troubles fonctionnels intestinaux douloureux (syndrome de l'intestin irritable) sont associés à des troubles du transit tels que diarrhée ou constipation ou alternance diarrhée/constipation, mais le motif de consultation demeure la douleur.

INTESTIN IRRITABLE

« Les progrès physiopathologiques récents ont démontré que la douleur du syndrome de l'intestin irritable est souvent liée à une hypersensibilité du tube digestif », explique le Pr Philippe Ducrotté, gastro-entérologue au CHU de Rouen. Il ne s'agit donc pas d'une pathologie exclusivement motrice comme on le pensait auparavant mais plutôt d'une maladie liée à une hyperesthésie digestive(3) qui peut être à l'origine d'une réponse motrice digestive inadéquate, en particulier après les repas.

GÊNE QUOTIDIENNE

En France, la prévalence des troubles fonctionnels intestinaux est estimée à plus de 30 % dont 10 % à 20 % pour le syndrome de l'intestin irritable. Ils prédominent chez les femmes (deux femmes pour un homme) de façon constante et s'observent à tous les âges avec un pic de fréquence entre 30 et 55 ans. L'histoire de la maladie et le parcours de prise en charge sont très variables d'un patient à l'autre. Néanmoins, la moitié des personnes concernées se déclarent gênées au quotidien. Selon une enquête française réalisée en 2001 auprès de 1 266 personnes, près des deux tiers présentaient des douleurs depuis plus de cinq ans et le retentissement physique et psychologique des troubles était perçu comme un handicap social par 50 % d'entre elles. 27 % faisaient état d'un handicap professionnel à l'origine d'arrêts de travail dans 21 % des cas.

NE PAS SOUS-ESTIMER LES SYMPTÔMES

« Face aux troubles fonctionnels intestinaux, poursuit le Pr Ducrotté, le problème est d'arriver, au moment du diagnostic, à ne pas passer à côté d'une maladie organique potentiellement grave : cancer colorectal, maladie inflammatoire chronique intestinale (maladie de Crohn), maladie coeliaque (ou intolérance au gluten provoquant inconfort abdominal et diarrhée), parasitose intestinale, pathologie pancréatique... Il est donc important d'écarter ce risque par un bilan clinique, morphologique (exploration du gros intestin par coloscopie) et biologique plus ou moins exhaustif en fonction de l'âge du patient avant de poser le diagnostic de troubles fonctionnels intestinaux. » Sur le plan clinique, certains symptômes particuliers comme une douleur nocturne (toute douleur nocturne est suspecte), une altération de l'état général (perte de poids), une perte de sang dans les selles, une diarrhée chronique ou une anomalie clinique (masse abdominale, point douloureux électif...), constituent des signes d'alerte à partir desquels des investigations plus approfondies doivent être envisagées.

De même, l'existence d'antécédents familiaux de cancer colorectal constitue un motif d'exploration complémentaire. Inversement, chez des patients souvent anxieux et très consommateurs de soins, il faut éviter de multiplier sans raison des examens complémentaires.

COMPOSANTE PSYCHIQUE

Une fois vérifiée l'absence de cause organique, la composante psychique des troubles doit être explorée, bien qu'il soit difficile d'établir si elle est l'élément essentiel ou si elle constitue un facteur aggravant. « Le lien entre ce que le patient vit et ce qu'il ressent au niveau digestif vient du fait que le tube digestif tout comme le cerveau répond à des neuromédiateurs, explique le Pr Ducrotté. Un état de stress, un événement de vie douloureux ou des troubles anxieux peuvent donc entraîner ou favoriser une hypersensibilité digestive et, en particulier, une hypersensibilité à la distension. »

Ces interrelations entre le tube digestif et le cerveau doivent être expliquées au patient afin qu'il comprenne et admette l'influence que peut avoir le psychisme sur la fréquence et la sévérité des symptômes ainsi que sur la qualité de la réponse au traitement. Raison pour laquelle les thérapies comportementales, la relaxation, l'hypnose ou le soutien psychologique peuvent apporter une amélioration des symptômes en complément des traitements médicamenteux.

TRAITEMENTS DE L'INTESTIN IRRITABLE

Les traitements visent à combattre la douleur et corriger les troubles du transit.

Prise en charge de la douleur. Les antispasmodiques (non anticholinergiques de préférence) et les argiles (elles absorbent les gaz et évitent la distension colique et la douleur) constituent les thérapeutiques de choix en première intention (cf. encadré ci-dessous). Les antispasmodiques sont efficaces, surtout lorsque les symptômes sont modérés, relativement récents et qu'ils ont des liens avec les repas. Le Spasfon® doit être réservé aux douleurs modérées à sévères et prescrit de préférence à la demande lors des poussées douloureuses.

Les antidépresseurs (tricycliques principalement) ont également une place dans ce cas(4) lorsqu'il existe un terrain dépressif sous-jacent mais aussi, comme antalgique. « Prescrits à doses faibles, commente le Pr Ducrotté, leur effet antalgique est viscéral et non thymique. Ils peuvent donc être prescrits en dehors de toute composante dépressive. » Il est important de l'expliquer aux patients pour éviter tout rejet et favoriser l'observance. De même, il convient de préciser que l'effet des traitements est parfois différé et qu'il faut persévérer pour obtenir des résultats.

Prise en charge des troubles du transit. Lorsque le patient présente une diarrhée persistance, le traitement de référence fait appel aux ralentisseurs du transit plus ou moins associés à des résines de type cholestéramine (Questran®), notamment chez les malades dont on pense qu'ils présentent un trouble de l'absorption des acides biliaires dans le côlon (le Questran® est un chélateur des acides biliaires). « Dans de rares cas, on peut être amené à discuter la prise temporaire de Tiorfan® (antisécrétoire), ajoute le Pr Ducrotté. Des pansements digestifs, de type Smecta® par exemple, peuvent aussi être utiles. »

En présence d'une constipation (y compris en cas d'alternance diarrhée/constipation), des laxatifs peuvent être associés aux conseils alimentaires. Les laxatifs osmotiques sont généralement privilégiés en première intention. Cela dit, ce type de laxatifs peut aggraver la sensation de ballonnements et il est préférable de les éviter chez les patients présentant ces troubles.

« Concernant les fibres, note le Pr Ducrotté, les patients qui consultent ont généralement tout essayé et ont déjà une alimentation avec une teneur en fibres suffisante, voire supérieure à la normale. Or, des études ont montré qu'une surcharge en fibres peut aggraver leur état et majorer la sensation de ballonnement et d'inconfort abdominal. Il faut donc préconiser les fibres de façon sélective, uniquement chez les patients dont les régimes alimentaires sont très déséquilibrés. » En cas de gaz fréquents et gênants, les patients devront préférer les féculents peu fermentescibles (riz) aux autres (pommes de terre, pâtes, légumineuses). Par ailleurs, l'oignon, le chou, le céleri, les haricots blancs et les agrumes seront évités pour limiter la production de gaz.

PRISE EN CHARGE TARDIVE

Si l'histoire de la maladie est ancienne lorsque le patient consulte et que les symptômes se sont chronicisés, il devient plus délicat de les soulager efficacement et durablement. En effet, avec le temps, l'hypersensibilité viscérale peut être aggravée. Dans cette situation, expliquent les spécialistes, le traitement aura pour objectif de diminuer l'intensité et la fréquence des symptômes au quotidien car il est alors beaucoup plus difficile de les faire disparaître. D'où l'intérêt d'informer sur cette pathologie souvent banalisée d'emblée, car avoir des troubles fonctionnels intestinaux tous les jours ou presque altère considérablement la qualité de vie. « Des études montrent en effet que la qualité de vie de ces patients est mauvaise, moins bonne par exemple que celle de malades diabétiques, insuffisants rénaux ou asthmatiques », conclut le Pr Ducrotté. Raison pour laquelle les gastro-entérologues attendent avec impatience l'arrivée de nouvelles solutions thérapeutiques (probiotiques notamment).

1- Cette distension gazeuse entraîne un gonflement de l'abdomen sonore à la percussion.

2- Source : étude réalisée auprès de 4 817 patients sous la conduite du Dr Sylvie Tuzet, hôpital Beaujon, avec le soutien de l'Institut Danone.

3- L'hyperesthésie est soit périphérique, les terminaisons sensitives digestives étant trop sensibles (hyperalgie), soit d'origine centrale, les messages adressés par le cerveau étant mal intégrés ou amplifiés et le seuil de la douleur étant ainsi diminué (allodynie).

4- En cas de constipation, les antidépresseurs doivent être exclus du schéma thérapeutique en raison de leur effet secondaire sur le transit.

Les traitements

> Antispasmodiques

Pinavérium (Dicetel®) ; trimébutine (Débridat®, Modulon®, Transacalm®) ; alvérine (Météospasmyl®, Spasmavérine®) ; mébévérine (Duspatalin®, Spasmopriv®) ; phloroglucinol (Spasfon®)

> Argiles

Montmorillonite beidellitique (Bedelix®), attapulgite de Mormoiron activée (Actapulgite®), diosmectite (Smecta®)

> Antidépresseurs tricycliques ou sérotoninergiques (hors AMM)

- Tricycliques = imipramine (Tofranil®), clomipramine (Anafranil®), amitriptyline (Laroxyl®)

- ISRS (inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine) = fluoxetine (Prozac®), fluvoxamine (Loxyfral®), paroxétine (Deroxat®), citalopram (Seropram®), sertraline (Zoloft®)

> Laxatifs

Laxatifs osmotiques : lactulose (Duphalac®), dérivés du polyéthylène glycol (Fortrans®, Transipeg®, Movicol®) - Laxatifs de lest (mucilages) : Elusanes phytofibres®, Inolaxine®, Karayal®, Mucipulgite®, Mucitival®, Mulkine®, Normacol®, Parapsyllium®, Psylia®, Psyllium®, Spagulax®, Transilane®

> Antidiarrhéiques (ralentisseurs du transit [RT] et antisécrétoires)

- RT = lopéramide (Arestal®, Imodium®, Imossel®)

- Antisécrétoires = racécadotril (Tiorfan®)