Stress et soins - L'Infirmière Magazine n° 219 du 01/09/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 219 du 01/09/2006

 

conditions de travail

Cours

Être infirmière est une entreprise à haut stress. Mieux vaut connaître ses mécanismes. Comprendre ce qui le cause, le favorise ou l'atténue - dans les soins techniques, d'hygiène ou relationnels - est indispensable pour le prévenir. On améliore ainsi la qualité des soins, en limitant les psychopathologies professionnelles.

STRESS ET SOINS TECHNIQUES

La crainte des erreurs est une préoccupation majeure pour les soignants. Plus des deux tiers connaissent cette peur selon l'enquête Presst-Next(1).

Quelles erreurs ? Dans les soins techniques, les erreurs relevées dans l'enquête européenne Next peuvent être liées aux modifications rapides de prescription du fait de la réduction des durées moyennes de séjours. Parmi les soignants travaillant dans l'ensemble des types d'établissements en France, 39 % disent souvent ou très souvent recevoir des informations trop tard, 31,5 % des ordres contradictoires, 27 % des informations insuffisantes.

Les équipements spécifiques ne sont plus le propre de la réanimation. On en trouve désormais dans de nombreux types de services. Mais ils restent une forte source d'angoisse s'ils sont utilisés sans information préalable ni tutorat, lors des affectations dans de nouveaux services. Plus de 12 % des infirmières polonaises, italiennes et françaises disent connaître des incertitudes fréquentes quant à cette utilisation des équipements. Elles sont moitié moins nombreuses en Norvège et aux Pays-Bas.

Causes et prévention des erreurs. Nombre de travaux portent sur les causes d'erreurs. Visant à prévenir leur survenue, ils concernent les conditions de travail. Il est admis que la charge cognitive, c'est-à-dire la quantité et la complexité des informations à traiter par les infirmières, peut conduire à un échec du raisonnement et entraîner des erreurs. Le lien entre effectifs infirmiers et sécurité des patients fait en revanche débat. Dugan a souligné les liens forts entre stress et turn-over infirmier d'une part, stress infirmier et survenue d'incidents chez les patients d'autre part. Pour Bissondial, le stress et le burn-out augmentent la probabilité de survenue d'erreurs de raisonnement.

L'étude de Bond sur 2 029 hôpitaux montre que ceux ayant des pharmacies décentralisées présentent un taux d'erreurs inférieur de 45 % à celui des établissements dont les pharmacies sont centralisées. Phillips et son équipe de la Food and Drug Administration, aux États-Unis, ont analysé 5 366 erreurs de médication. Les causes les plus fréquentes étaient des erreurs de communication (16 %), des erreurs d'interprétation ou des déficits de connaissance (44 %). Les 469 erreurs ayant entraîné un décès étaient causées par l'administration d'une dose inadaptée (41 %), l'administration d'un médicament erroné (16 %), une mauvaise voie d'administration (9,5 %).

Pour prévenir les erreurs, il importe de favoriser la connaissance du mode d'utilisation des équipements, et de développer le soutien des collègues et des cadres. Il est utile d'élaborer et partager des façons appropriées de répondre aux questions de chaque patient. Selon maints auteurs, une réduction substantielle des erreurs de soins ne surviendra qu'avec l'amélioration du travail d'équipe et de la communication en son sein. Il est possible de faire appel aux soignants les plus expérimentés comme « tuteurs » de leurs collègues moins expérimentés.

Ordres contradictoires et prescriptions inappropriées. Les ordres contradictoires sont considérés comme très fréquents par 8 % des infirmières et spécialisées. Les prescriptions semblant inappropriées sont perçues comme fréquentes par 10 % des infirmières. Elles apparaissent occasionnelles pour 65 % d'entre elles.

Méconnaissance du maniement d'un équipement. Les incertitudes sur le maniement d'un équipement sont fréquentes pour 13 % des infirmières et occasionnelles pour 69 %.

Informations inadéquates sur le patient. Avoir des informations inadéquates sur le patient fournies par un médecin est une situation coutumière pour deux infirmières sur dix (22 %). Si l'on ajoute les infirmières y étant confrontées de façon plus épisodique (59,5 %), cette difficulté concerne huit infirmières sur dix.

Absence de médecin lors d'une urgence. L'absence d'un médecin dans un établissement de soins lors d'une urgence alors que sa présence serait essentielle est une situation rencontrée « parfois » selon 46 % des infirmières, et « fréquemment » selon 28 % d'entre elles. Cette situation est plus fréquente dans les hôpitaux locaux et en psychiatrie.

Crainte des erreurs. La crainte des erreurs concerne huit infirmières sur dix. Elle est présente « souvent » ou « toujours » pour 44 % des infirmières et spécialisées. Elle affecte, de façon plus épisodique, 41 % d'entre elles.

Prévention du risque clinique et ergonomie. La sécurité du patient nécessite des soins infirmiers et une prise en charge globale du patient de qualité. Elle doit s'appuyer sur une politique de prévention des événements indésirables dans les soins.

Utiliser les connaissances en psycho-ergonomie. Une politique de prévention du risque d'erreurs ne peut faire l'objet d'une véritable mise en place sans prise en compte des connaissances actuelles en psycho-ergonomie dans les domaines suivants(2).

- Lisibilité

- erreurs et lisibilité des étiquettes ;

- présentation des informations claire dans le dossier de soins ;

- qualité des synthèses permettant la planification des soins à plusieurs malades (supports muraux, papier, etc.) ;

- risques d'erreurs et dossiers informatisés des patients.

- Alarmes

- ergonomie des dispositifs de signalisation auditive ;

- tests ergonomiques de reconnaissance des alarmes ;

- fausses alarmes.

- Matériels

- perception des informations et messages ;

- ergonomie des dispositifs de signalisation visuelle ;

- ergonomie des commandes et des cadrans.

- Vigilance

- recommandations sur la chute de la vigilance ;

- chronobiologie, horaires de travail des soignants et capacité de traiter l'information ;

- rôle des pauses et compensations dans la pénibilité de certains horaires ;

- stimulations visuelles ou sonores franches et identifiables ;

- température et maintien de la vigilance.

- Architecture ergonomique des lieux de soins

- activités simultanées et architecture des lieux de soins ;

- possibilité de parler du patient dans un lieu calme ;

- possibilité de préparer les soins dans un lieu calme ;

- bruit et architecture, etc.

STRESS ET SOINS D'HYGIÈNE

L'état des patients peut parfois rendre difficiles les soins, notamment d'hygiène, et susciter des réactions de répulsion que les soignants doivent tenter de maîtriser. La vision ou le toucher d'un malade sans domicile fixe, cachectique ou très obèse, l'odeur d'une hématémèse ou d'un méléna, l'écoute des gémissements ou protestations lors des mobilisations peuvent devenir éprouvants. L'entraide et la possibilité de faire part de ses impressions aux collègues sont indispensables pour dépasser cette pénibilité sans honte ni culpabilité professionnelle.

Audition, vue, toucher et odeur. À la suite de trois tentatives de suicide rapprochées, des observations ergonomiques, minute par minute, de journées continues de soignants ont été réalisées en 1983 par Estryn-Béhar et Mascolo dans un service de réanimation hépato-digestive(3). Outre les déplacements, activités, conversations et interruptions, l'angoisse liée au type de malades traités - entretenue par l'audition, la vue, le toucher et l'odeur - avait pu être analysée. Les hémorragies digestives étant fréquentes dans ce service, une odeur nauséabonde obligeait à un effort pour continuer à prodiguer les soins. Elle poursuivait de nombreux soignants après le travail, entraînant des dégoûts alimentaires fréquents. Ces analyses ergonomiques, incluant les pénibilités liées aux sens, ont permis à la même équipe de comparer, quelques années plus tard, les soins, notamment d'hygiène, dans douze services de type différent.

Maladies infectieuses. La confrontation avec la souffrance et la mort prend une tonalité spécifique dans les services de maladies infectieuses, fortement affectés par l'apparition du sida. La crainte de la contamination dans les soins de proximité et l'utilisation adaptée des vêtements de protection (surblouse, masques, gants) doivent continuer d'être discutées pour réduire le stress et améliorer la qualité des soins.

Toilettes et maladies de type Alzheimer. Les soins d'hygiène aux patients souffrant de maladie de type Alzheimer peuvent être l'occasion de réactions agressives. Cette violence peut être favorisée par l'absence d'explications préalables des gestes, le manque de temps pour effectuer un soin à un rythme adapté au patient ou l'anxiété de l'infirmière. Les réactions de ces malades, lors de levers brusques ou de bains, peuvent comprendre morsures et griffures.

La personne démente peut se sentir davantage en sécurité lorsqu'un soignant qu'elle connaît peut lui parler tout au long du soin.

Au Québec, une méthode de toilette adaptée aux risques de violence avec les patients souffrant de ce type de maladie a été développée avec les soignants par les ergonomes et un neuropsychiatre de l'Asstsas (Association pour la santé et la sécurité du travail, secteur affaires sociales). La toilette est effectuée par un binôme de soignants. L'un d'eux s'entretient d'événements passés ou chers au patient pendant que le deuxième effectue la toilette.

STRESS ET SOINS RELATIONNELS

Manque de temps. Les craintes et difficultés n'apparaissent pas seulement dans les soins techniques. Elles surviennent aussi dans la dimension relationnelle des soins.

La France est le pays d'Europe où le pourcentage d'infirmières et spécialisées déclarant savoir « rarement » ce qui peut être dit au patient sur son traitement et son état est le plus élevé (35 %) selon l'étude Next.

Les soins relationnels nécessitent du temps et de bonnes informations. En France, seulement 31 % des infirmières et spécialisées estiment avoir « souvent » ou « toujours » assez de temps pour parler au malade.

Violence. Plusieurs études montrent que la fréquence des incidents violents dont sont victimes les infirmières n'est pas inférieure à celle que subissent les surveillants de prison ou les policiers. Lors d'une enquête aux États-Unis de Mahoney, 36 % des infirmières des urgences ont déclaré avoir subi une agression physique au moins une fois l'an, contre 6 % chez les professionnels chargés de détenus en liberté surveillée. Les actes violents peuvent être commis par un patient, un proche ou un autre agent de l'établissement. Ils peuvent survenir dans tous les secteurs. Nous en avons retenu trois.

Violence en psychiatrie. Dans les années quatre-vingt-dix en France, une enquête fut menée auprès de 178 hôpitaux concourant à la psychiatrie (CHS, CHG, CHU) par une équipe pluridisciplinaire du CHS Saint-Egrève (région grenobloise). Dans chaque établissement, entre 30 et 75 salariés étaient victimes de violences corporelles liées à un patient durant les quatre années de l'étude. La majorité des victimes étaient des infirmières (94 %). Le versant hospitalier de l'activité de secteur de psychiatrie était plus touché que son versant extra-hospitalier (consultations, ateliers, visites à domicile...). Un grand nombre d'études menées dans le monde confirment la forte fréquence des agressions physiques des soignants de psychiatrie.

En 1988, Fineberg a publié dans The Lancet une étude montrant que le nombre d'incidents violents en psychiatrie augmentait avec le nombre de journées de recours aux infirmières intérimaires. Mais, il baisse quand l'effectif infirmier permanent augmente. La prise en charge par un défilé de visages inconnus, et non par un soignant bien identifié, engendrerait les conflits. Une présence soignante plus consistante et stable, après l'étude, a permis de réduire le nombre d'incidents violents.

Un cercle vicieux de la violence a été observé pour 103 infirmières de 12 unités de psychiatrie par Whittington et Wykes. Le stress suscité par l'exposition à la violence entraînait l'adoption de comportements propices à la récurrence de la violence.

Violence aux urgences. Des épisodes de violences sont aussi décrits aux urgences. Ils surviennent entre une fois par semaine et une fois par jour, selon les enquêtes de Julia Crilly ou Marcus Lynch en Australie, et selon l'évaluation menée dans 310 services d'urgences irlandais ou britanniques. Aux États-Unis, Rankins constate 4,7 agressions et 0,3 agression avec une arme pour 10 000 patients entrant aux urgences.

Les facteurs de risques sont multiples. L'augmentation de la violence de la société entraîne un accroissement du nombre de patients se présentant avec des blessures. La douleur, l'anxiété et la colère, la consommation d'alcool et de drogues, peuvent concourir à la survenue de l'épisode violent. L'attente des patients, le manque d'explications par les soignants et les locaux inappropriés favorisent souvent son déclenchement.

En France, de multiples évaluations et rapports soulignent l'importance prise par l'urgence psychiatrique, en particulier aux services des urgences des centres hospitaliers généraux. Entre 20 et 25 % des demandes y nécessitent au moins une approche psychologique.

Ceci implique un abord global des patients au sein duquel la démarche psychiatrique est pleinement incluse dans le dispositif d'accueil, tout en gardant son mode d'intervention spécifique. La pluridisciplinarité est nécessaire dans la constitution des équipes aux urgences, avec une réelle intégration de psychiatres et d'infirmières de secteur psychiatrique. Elle facilite une investigation multiforme et cohérente. Elle permet aussi de maîtriser l'escalade de comportements agressifs mal compris.

Violence en gériatrie. La violence est également fréquente dans les établissements de gériatrie et longs séjours. De nombreux facteurs peuvent favoriser la peur chez un patient soufrant de maladie de type Alzheimer, et entraîner de fait la survenue d'une agression.

Le développement d'une compétence spécifique des soignants dans des unités spécialisées dans les démences a sensiblement réduit le nombre des marques d'agression ou d'aversion de patients, selon l'étude d'une équipe de l'université de Saskatchewan, au Canada.

La souffrance et la mort. Le contact intime avec la souffrance humaine peut intervenir tout au long de la journée de travail d'une infirmière. Cette confrontation, associée à « l'agression psychique de la mort », requiert une adaptation constante.

La fin de vie nécessite des soins, un accompagnement relationnel, avec des marques de réconfort apportées au patient et à la famille. S'ils sont réalisés sous contrainte de temps, une impression réitérée d'impuissance peut conduire l'infirmière à un sentiment de culpabilité.

Une fois la charge psychique de la confrontation à la souffrance et à la mort reconnue, de nombreux types d'actions sont possibles : approche revivifiée du travail d'équipe et transmissions, intégration de psychologues ou de psychiatres dans les services, groupes de parole et formes de supervision. Les premières impliquent les cadres, les secondes des « psy ».

Mais, aucune de ces démarches ne peut se contenter d'être théorique, faussement positive et proclamatoire. Elles s'appuieront au contraire sur la prise en compte du travail réel et la reconnaissance d'impératifs contradictoires pour permettre d'apporter le meilleur soin possible au patient confronté à la souffrance et à la mort.

COMMENT L'ÉQUIPE SOIGNE LE STRESS

De nombreux travaux sur les soins et leur qualité ont souligné le rôle positif des échanges, des conseils et des marques de soutien entre soignants d'une même unité. Favoriser un véritable travail d'équipe reste la clef de la prévention du stress dans les soins. Cette politique doit être basée sur la clarification des incertitudes, la prévention des erreurs et la valorisation des succès.

Travail d'équipe. Une large part des travaux sur le stress dans les soins techniques, d'hygiène ou relationnels souligne le rôle du travail d'équipe pour prévenir le stress des soignants et les risques pour les patients.

Soutien des collègues. Dès les années soixante-dix, Lazarus a souligné que le manque de « support social » des collègues provoquait le stress dans les situations difficiles. En France, les travaux menés en psychodynamique du travail affirment tous l'importance de la construction d'un « collectif de travail » soudé, stable et pouvant intégrer le personnel récemment affecté. Les ergonomes considèrent aussi que des temps d'échanges sont indispensables pour établir des liens autour d'objectifs communs et contrôler le stress. De nombreuses recherches sur les soins infirmiers confirment que l'équipe demeure la plus importante source de soutien.

Or, selon l'enquête Next, si le taux de soutien des collègues est meilleur que celui des cadres, il n'est pas très élevé non plus.

Autonomie. Dès les années soixante-dix, l'absence de participation aux décisions apparaît comme un prédicteur significatif et régulier du stress professionnel dans les recherches anglo-saxonnes. Le lien entre absence d'autonomie dans son travail et stress ou mauvaise santé mentale a été confirmé depuis.

Collaboration thérapeutique. La « collaboration thérapeutique dans l'équipe soignante » a été pratiquée et décrite par Martine Ruszniewski, psychologue travaillant au sein de l'équipe de soins palliatifs de l'Hôtel-Dieu, à Paris (cf. encadré ci-contre). Elle est basée sur des réunions pluridisciplinaires animées par un « psy » formé à cette approche et faisant partie de l'équipe(4).

Tutorat. Les travaux anglo-saxons sur le stress et les soins recommandent le tutorat depuis plusieurs décennies. Il permet aux nouvelles infirmières de travailler avec une infirmière jouant le rôle de modèle et de personne ressource dans les domaines cliniques ou techniques, les soins d'hygiène ou relationnels. Le tutorat peut aussi être utile avec des infirmières plus expérimentées devant travailler dans une spécialité qu'elles connaissent mal.

Soutien des cadres. Dans l'équipe, les cadres infirmiers peuvent favoriser une atmosphère de travail où les facteurs de stress sont identifiés et réduits au maximum.

La relation entre l'agent et son superviseur immédiat intervient sur le développement ou non d'un climat d'apprentissage. La communication d'appréciations sur son travail (feedback) facilite le développement des aptitudes, selon les travaux sur les ressources humaines de Blancero, Boroski et Dyer.

Tous les types d'apprentissages nécessitent une telle restitution d'avis et commentaires pour être efficaces. Dans un environnement où ces appréciations, qui doivent aider à mieux effectuer les tâches, sont rares ou tardives, l'apprentissage peut devenir lent ou inexistant, selon Ericsson et Smith.

Dans l'étude Next, un score de perception du « soutien social » des cadres fait appel à quatre questions, dont les réponses s'échelonnent de 1 à 5. Ces questions aux soignants portent sur la capacité de leur cadre à évaluer la valeur de leur travail, sur la fréquence des appréciations, sur la disposition du cadre à aider, sur la fréquence des conseils et marques de soutien. Un score moyen permet de calculer les résultats. Ce score de perception du soutien des supérieurs est « plutôt bas ». Il se situe entre 3 et 3,4 sur 5 dans les dix pays européens de l'enquête.

Formations. L'accès de l'ensemble des soignants à des formations appropriées sur des aspects, spécifiques ou généraux, des soins techniques ou relationnels peut concourir à diminuer le stress et l'anxiété. Il en va de même des réunions et formations, au sein du service, sur les consensus ayant trait aux protocoles et techniques utilisés. Ils permettront, par exemple, des discussions claires sur les critères de traitement et de non-traitement.

Transmissions. La continuité des soins infirmiers est basée sur un transfert efficace des informations entre équipes successives.

Classiquement, le dossier écrit du malade est complété par chaque équipe et discuté lors des transmissions orales. L'utilité de celles-ci est aujourd'hui contestée.

La thématique des « transmissions ciblées » occupe une large place au sein de l'actuelle formation continue en France. À l'origine, elle fut développée pour améliorer les transmissions écrites, les centrer sur les difficultés présentes de chaque patient, et favoriser le raisonnement clinique.

Devenues « ciblées », les transmissions pourraient subir une forte réduction de leur con- tenu et limiter le débat confrontant les observations des différents membres de l'équipe aux différents horaires. Leur rôle médico-légal est assuré, mais d'autres fonctions pourraient être oubliées ou négligées.

De nombreuses recherches sur les transmissions orales ont montré qu'elles pouvaient avoir des objectifs informatifs, sociaux, formateurs et émotionnels.

Leur première fonction : l'échange d'informations entre infirmières travaillant à des horaires adjacents. Mais ce temps pouvait être utilisé pour discuter des difficultés, notamment psychologiques, des patients, comme le rappellent Kornfeld, dans ses études sur les unités de soins intensifs, ou Fawzy dans ses recherches sur les équipes de psychiatrie de liaison. La majorité des auteurs considère que les transmissions orales permettent d'aborder le contexte social et émotionnel des soins. Elles génèrent la compréhension mutuelle, la proximité et le soutien au sein du groupe.

Quant à la composante formatrice, les infirmières « novices » reçoivent un enseignement explicite par les exemples, l'apprentissage et l'expérience, selon les études qualitatives de Kerr sur les transmissions.

Les transmissions orales fournissent l'occasion d'un transfert des responsabilités favorisant un soulagement émotionnel. Face au stress le plus fort, elles rendent possible un débriefing indispensable. Selon les recherches menées par Parker en Australie et celles de Payne ou de Walsh sur les soins aux personnes âgées, les transmissions orales constituent enfin un « rituel » qui permet la cohésion nécessaire au travail en équipe.

Groupes de parole et « supervision ». Comme les réunions de collaboration thérapeutique, les groupes de parole et groupes Balint (cf. encadré), le travail avec un « psy » non membre de l'équipe et venant en « supervision » ou un « psy » membre de l'équipe, mais lui-même en supervision, peuvent constituer une aide précieuse. Animées par un professionnel formé, ces démarches permettent de « décoder » les difficultés psychologiques des patients, de comprendre les attitudes et « contre-attitudes » des soignants.

Comme l'annonce d'une maladie grave ou chronique, comme la confrontation à la souffrance ou à la mort, l'attitude agressive ou violente d'un malade doit faire l'objet d'une réflexion clinique. Elle portera tant sur le patient que sur les relations de soins. Un individu a davantage recours à un comportement violent quand il se sent menacé. Bien avant le « pic » du passage à l'acte, les premières manifestations verbales ou non verbales de peur, de colère ou d'agitation, peuvent être repérées. Leurs paliers successifs peuvent être observés.

Dans La Haine dans le contre-transfert, Winnicot rappelle que « quel que soit son amour pour ses malades, le soignant ne peut éviter de les haïr et de les craindre, et mieux il le sait, moins il laissera la crainte ou l'animosité déterminer ce qu'il leur fait ». À l'attitude du patient, et au transfert qui la colore, correspond le « contre-transfert » ou la « contre-attitude » du soignant. Il est malaisé pour une infirmière de les repérer seule. Groupes de parole et supervisions aident les soignants à identifier ces mécanismes et à élaborer un mode relationnel et thérapeutique plus adapté. Ils sont utiles dans tous les services qui hospitalisent une proportion importante de patients devant observer un traitement au long cours, faire face à une déficience ou être accompagnés dans leur fin de vie.

Lors d'un congrès sur La violence dans les soins infirmiers(5), Dominique Friard, infirmier de secteur psychiatrique, précisait : « Ce travail de réflexion nécessite des réunions centrées sur la clinique au moins hebdomadaires, où chaque membre de l'équipe pluridisciplinaire puisse mettre en commun ce qui se vit avec le patient et le groupe de patients dans la séquence de soins ou d'accompagnement dont il a la responsabilité. » Il implique la « possibilité réellement offerte à chacun d'exprimer ses difficultés » avec un patient, et d'être assez écouté pour permettre à l'équipe d'élaborer des démarches de soins appropriées.

1- Internet : http://www.presst-next.com.

2- Cf. Éviter les erreurs, Cahiers de formation continue de L'Infirmière magazine, n° 209 et n° 210.

3- Stress et souffrance des soignants à l'hôpital, Madeleine Estryn-Béhar, Estem, 1997.

4- Face à la maladie grave : patients, familles et soignants, Martine Ruszniewski, éd. Dunod, 206 p., 1995.

5- Les différents niveaux d'expression de la violence dans les institutions de soins, Dominique Friard, abstracts du colloque d'Isis : La violence dans les soins infirmiers, éditions Isis, 1997.

Décès liés aux erreurs médicales

De nombreux travaux sur les erreurs ont été réalisés dans les pays anglo-saxons. > En 1990, Reason rappelle que l'erreur peut concerner la planification ou l'exécution d'une action intervenant à toutes les étapes de la prise en charge d'un patient : diagnostic, traitement, soins, prévention. > En 2000, un rapport de la Food and Drug Administration sur l'erreur médicale aux États-Unis situe entre 44 000 et 98 000 le nombre de décès de patients causés par des erreurs médicales. Une évaluation de Bond sur 2 029 hôpitaux a mis en évidence 430 586 erreurs, dont 17 338 erreurs graves. > Selon une étude plus récente, menée sur 36 établissements par Barker, une erreur surviendrait lors de 19 % des administrations de médicaments, soit près d'une sur cinq.

Ambiguïté des rôles

L'ambiguïté des rôles existe quand un agent dispose d'une information inadaptée sur son rôle dans le travail, ou quand il manque de clarté sur les buts et responsabilités liés à ses tâches. Kahn a montré que le salarié souffre de cette ambiguïté. Celui-ci présente une plus grande insatisfaction au travail accompagnée d'autres signes : degré élevé de tension, sentiment de futilité, faible estime de soi. Margolis a mis en évidence des liens significatifs entre cette ambiguïté et une détérioration des indicateurs de santé physique et mentale.

Trois méthodes pour prévenir les situations de violence

> Les enquêtes sur les accidents du travail

Les accidents du travail graves doivent donner lieu à des enquêtes. Elles sont souvent réalisées par les services de santé au travail, une délégation comprenant au moins le chef d'établissement ou un représentant désigné par lui et un représentant du personnel au CHSCT.

> Le relevé systématique des incidents violents

Des outils plus fins que les enquêtes sur les accidents du travail peuvent y être associés pour favoriser la prévention. Le relevé systématique des incidents violents est l'un d'eux. Il ne fait pas l'objet d'obligations en France. Il présente le mérite de recenser, de manière quantitative et qualitative, un plus grand nombre d'incidents puisqu'il ne se limite pas aux plus graves, avec passages à l'acte, voire arrêts de travail.

> La méthode de l'arbre des causes

Dresser « l'arbre des causes » comprend trois étapes : le recueil des données, la construction de l'arbre des causes et la formulation d'actions de prévention. Un grand nombre de faits étant recueillis durant l'enquête, ils sont organisés suivant quatre composantes : l'individu (I), la tâche (T), le matériel (Ma) et le milieu (Mi). Comme les autres, cette méthode ne vise pas à désigner des « coupables », mais à favoriser la prévention.

Collaboration thérapeutique

Selon Martine Ruszniewski, psychologue, la « collaboration thérapeutique » vise à obtenir une « alliance thérapeutique » entre le patient, sa famille et les membres de l'unité. Des réunions, animées par un « psy », réunissent tous les soignants de l'équipe. Ce travail débute par le repérage, le décodage et le respect des mécanismes de défense des soignants, des soignés et de leur famille. Une situation la plus proche de l'équilibre est recherchée pour les protagonistes. Ni recette, ni réaction stéréotypée ne sont utiles ici : les décisions importantes sont élaborées en groupe. La collaboration thérapeutique n'est pas la recherche d'un consensus artificiel. Conflits et tensions sont jugés inévitables, assumés et régulés.

Groupes Balint

Juste avant la seconde guerre mondiale, un psychanalyste britannique d'origine hongroise, Michael Balint, organisa des groupes de discussion de médecins consacrés à la relation. Ces « groupes Balint » - car tel est leur nom désormais - réunissent, une à deux fois par mois, une dizaine de médecins qui, sous la direction d'un « psy », échangent réflexions et expériences autour de situations rapportées par l'un d'eux.