À l'école du handicap - L'Infirmière Magazine n° 220 du 01/10/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 220 du 01/10/2006

 

une unité de rééducation neurologique

24 heures avec

Derrière le « cancre » se cache souvent l'élève inadapté. À l'hôpital de Bicêtre, les enfants qui souffrent de sévères troubles des apprentissages sont entièrement pris en charge. Le but : les remettre à niveau avant de les réintégrer à leur classe.

Cartable vissé sur le dos, deux enfants descendent d'un VSL (véhicule sanitaire léger) garé devant le bâtiment. Ils courent vers la porte d'entrée en riant. Assis par terre dans le couloir, une vingtaine de leurs copains de classe jouent des coudes en pleine cacophonie. Debout face à eux, deux instituteurs leur donnent des indications pour la sortie scolaire programmée dans quelques jours. Les rayons de soleil inondent la pièce.

Malgré les apparences, nous sommes au coeur d'un hôpital. L'unité de rééducation neurologique pédiatrique de l'hôpital de Bicêtre(1), dans le Val-de-Marne, est à la fois une école et un service de rééducation. Des instituteurs spécialisés dispensent les cours, et, en parallèle, les patients suivent des séances individualisées de rééducation avec une équipe pluridisciplinaire. Le service compte 36 enfants de 6 à 12 ans répartis en cinq classes. Tous souffrent de sévères troubles des apprentissages.

Reconnaissance

Aline Williot est cadre ergothérapeute. « Grâce à ce service, explique-t-elle, les enfants passent du statut de cancre à celui de malade. Cela leur permet enfin de sentir une vraie reconnaissance. Ils comprennent enfin pourquoi ils ne vont pas bien. Ils peuvent identifier leurs problèmes et donc se positionner. Ici, ils passent deux années. Ils font tous de vrais efforts pour s'en sortir. » L'équipe est constituée de quatre médecins, quatre psychologues, huit orthophonistes, un cadre supérieur, un cadre de rééducation, deux infirmières, deux aides-soignantes, deux ergothérapeutes, deux auxiliaires de puériculture, une psychomotricienne, une orthoptiste, une éducatrice de jeunes enfants et deux secrétaires médicales.

À l'origine, le service accueillait des infirmes moteurs cérébraux. Quand le Dr Catherine Billard est arrivée, il a été ouvert à des patients qui développaient des troubles des apprentissages. En 1999, on ne comptait qu'une seule classe pour eux. Depuis cinq ans, cette unité n'accueille que des enfants souffrant de dyslexie (troubles de l'apprentissage de la lecture), de dyspraxie (troubles de l'apprentissage du geste, de l'organisation spatiale et temporelle), et de dysphasie (troubles de l'apprentissage du langage oral).

Jolis objets

Ce matin, juste après le début des classes, Sylvie Foy, infirmière du service, fait une pause-café. « J'exerçais déjà à Bicêtre en psychiatrie adulte. J'ai rejoint l'unité il y a deux ans. Les enfants accueillis ici souffrent d'un handicap qui ne se voit pas. Ils sont très intelligents. En tant qu'infirmière, je gère le quotidien et m'occupe de toutes les informations à transmettre aux instituteurs et aux rééducateurs. » Derrière elle, de grands panneaux indiquent pour chaque enfant son programme de rééducation et les rendez-vous hebdomadaires.

Ce matin, Pierre, dix ans, pétrit de la pâte à sel dans le bureau de Gwenaëlle Lefèvre, l'ergothérapeute. Très attentif, il se concentre pour réaliser les figures demandées. « Il est essentiel de les valoriser par autre chose que des activités scolaires, insiste-t-elle. Les animations ici permettent de travailler des objectifs spatiaux et gestuels. En plus, ils sont heureux de réaliser des petits objets. C'est leur manière de prouver qu'ils sont capables de faire des choses. N'oublions pas que ce sont des enfants en galère partout. Ceux qui viennent me voir souffrent de dyspraxie. Nous sommes là pour leur donner des trucs qui leur permettent de mieux se débrouiller au quotidien. »

Restaurer la confiance

Ces patients arrivent ici après avoir été repérés par la médecine scolaire ou par la médecine de ville, médecins généralistes, pédiatres ou orthophonistes. Normalement, les apprentissages de base s'acquièrent autour de 6 ou 7 ans. Le vrai cap, c'est le CP. Quand des troubles sont décelés, les enfants sont d'abord reçus en hôpital de jour pour une évaluation réalisée par des spécialistes. Lors de cette évaluation, l'enfant est examiné seul pendant 1 h à 1 h 30. Les parents sont reçus quinze minutes avant puis quinze minutes après cette séance. En fonction de la gravité du trouble décelé, il est prévu un suivi régulier en hôpital de jour ou une intégration dans l'unité. Dans ce dernier cas, c'est un programme de deux années en moyenne, qui peut être réduit par la suite.

Illettrisme

« Ils sont rééduqués tous les jours, explique Monique Touzin, l'une des orthophonistes de l'équipe. Les patients dyslexiques ont au moins quatre séances d'orthophonie par semaine. On va les chercher dans les classes. Les séances de rééducation durent 45 minutes. Ces enfants sont voués à l'illettrisme s'ils ne sont pas pris en charge. Le but est qu'ils sachent lire après leurs deux années passées ici. »

À l'heure du déjeuner, une grande animation règne dans la salle du réfectoire. Située dans le service, elle abrite plusieurs grandes tablées bruyantes. Ici, on s'interpelle dans la bonne humeur. Les enfants participent un peu au service, une autre manière de les stimuler. Les journées sont très longues. « Certains font parfois deux heures de transport par jour, rappelle Sylvie Foy, l'infirmière. Ils ne sont jamais découragés. Ils viennent même parfois pour une rééducation pendant les vacances. Ils ont tellement été dans l'échec avant qu'ils apprécient les félicitations aujourd'hui. » La plupart d'entre eux sont très inhibés par leur problème, il faut parvenir à les responsabiliser. « Ils ne comprennent pas toujours ce qui leur arrive, note Gwenaëlle Lefèvre. Il faut également bien accompagner les parents. » Ceux-ci ont parfois tendance à surprotéger leurs enfants, qui doivent pourtant se projeter dans l'avenir. « Ils ont été malmenés par le système scolaire, pas toujours conscient de leur problème de santé, estime René Bori, le directeur. Maintenant, il faut les aider à réussir leur projet à leur échelle. »

En ce début d'après-midi, dans le grand bureau coloré de Léa Birenbaum, la psychomotricienne, c'est l'heure des jeux de ballons. « Cela permet de travailler sur l'organisation occulo-manuelle, lance-t-elle. Comme les enfants dyspraxiques ont des difficultés d'organisation gestuelle et spatiale, nous effectuons un travail en psychomotricité où le corps a une place centrale. C'est important que les enfants parviennent à situer le lien entre le corps, le mouvement et l'espace. L'enfant dyspraxique, c'est un peu le "mauvais copain" de jeux qui n'arrive pas à bien attraper les objets. On doit lui redonner confiance en lui. Il s'autorise ici des choses qu'il n'osait plus faire. On travaille beaucoup sur le désir de l'enfant. »

Dépistage

Plus les troubles de l'apprentissage sont dépistés tôt, moins les enfants risquent d'en souffrir à l'âge adulte. Après les deux années passées à Bicêtre, un retour dans une scolarité normale est fortement encouragé. Quelques enfants passent deux journées et demie de la semaine dans une école de leur quartier. « Certains sont très stressés par ce retour », relève Sylvie Foy, l'infirmière. Un univers qui, pour une partie d'entre eux, rappelle de mauvais souvenirs. « En général, le retour se passe bien, affirme Florence Pinton, la neuropédiatre. Ils se sentent compris. On travaille avec leurs écoles, invitées à assister aux réunions de synthèse ici. Nous revoyons les enfants une année après leur départ. Nous refaisons systématiquement un bilan avec tous les rééducateurs. Nous en sommes à sept années de protocole de suivi. »

Cependant, aider les enfants à vaincre ces troubles en seulement deux années reste difficile. Beaucoup d'entre eux iront ensuite poursuivre leur scolarité vers des études professionnelles ou des SEGPA. L'unité n'offre que 17 à 18 places tous les ans. L'un de ses projets est d'améliorer l'efficacité de la sélection. Les demandes sont nombreuses. Avec le Dr Billard, le Dr Pinton multiplie les formations dans les écoles auprès des enseignants, des infirmières et des médecins scolaires pour déceler les troubles des enfants.

Selon les chiffres des associations, entre 5 et 10 % des enfants scolarisés en France souffriraient de dyslexie.

1- Hôpital de Bicêtre, unité de rééducation neurologique pédiatrique, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre. Tél. : 01 45 21 24 89.