Amicaux, les hôpitaux européens ? - L'Infirmière Magazine n° 220 du 01/10/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 220 du 01/10/2006

 

accueil des immigrés

Enquête

Lancé en 2002, le projet Migrant Friendly Hospitals visait à mieux accueillir les malades immigrés. Quatre ans après, le bilan est mitigé, malgré les actions concrètes engagées.

En arrivant en France, Ibrahim ne parlait pas un mot de français. De graves problèmes aux poumons l'ont obligé à passer les murs de l'hôpital pour se faire soigner. Accompagné d'un ami et sans carte Vitale, il a pu être soigné. Mais de ce séjour, il garde un souvenir mitigé. Isolé par la langue et les coutumes, face à son plat de jambon purée, il s'est senti décalé.

Vingt recommandations

Comme lui, des centaines de personnes de toutes origines doivent un jour ou l'autre se faire hospitaliser. L'un des devoirs de l'hôpital est de bien les recevoir. Améliorer l'accueil et la prise en charge des immigrés et des minorités ethniques dans les services hospitaliers, tel est le credo d'un grand projet lancé il y a quatre ans par douze hôpitaux européens(1) sous le haut patronage de la Commission européenne et le soutien de l'institut Ludwig Boltzmann de sociologie de la Santé de Vienne.

Ce projet « Migrant Friendly Hospitals » a débuté en septembre 2002. Deux années plus tard, à l'occasion d'une conférence de trois jours qui clôturait le projet pilote européen, la « déclaration d'Amsterdam » a vu le jour. Elle comprend une vingtaine de recommandations à l'égard des soignants, des institutions et des associations de patients.

Qu'en est-il de ce projet, quatre ans après sa mise en oeuvre ? Comment les soignants ont-il réagi à cette mise en place ? Se sont-ils impliqués ? Et les migrants eux-mêmes, qu'en ont-ils pensé ? « Au-delà même des droits de l'homme, la diversité (ethnique, culturelle, cultuelle) grandissante est un important facteur de qualité et de développement pour les systèmes et les services de santé. Les minorités ont le risque de ne pas recevoir le même niveau de soins, en matière de diagnostic, traitement et prévention, que la moyenne de la population. Les services de santé ne répondent pas suffisamment bien aux besoins spécifiques des minorités. Il existe de nombreuses situations qui mettent en opposition les services de soins et les usagers. Les exemples n'incluent pas seulement les barrières linguistiques et la diversité culturelle, mais aussi les manques de ressources à l'hôpital, le faible niveau de pouvoir d'achat des minorités et les droits sociaux. Tout cela pose de nouveaux challenges pour l'amélioration de la qualité dans les services de santé, spécialement pour les hôpitaux qui jouent un rôle important auprès de ces populations migrantes. »

Gérer la diversité

Voilà ce que l'on peut lire dans ladite déclaration d'Amsterdam. Ce grand projet vise, entre autres, à ce que les personnels de santé et autres personnels « développent des aptitudes dans le domaine des compétences interculturelles, communicatives et de gestion de la diversité ». À terme, l'idée est de faire adopter cette charte par le plus grand nombre d'établissements de santé en Europe.

Responsable du groupe de réflexion sur la prise en charge des migrants à l'hôpital Avicenne, en Seine-Saint-Denis, le docteur Olivier Bouchaud exerce dans le service des maladies infectieuses dans un établissement qui accueille plus de 50 % de patients d'origine étrangère en ambulatoire.

Recours à 83 langues

« Nous sommes certainement l'hôpital français qui accueille le plus de population étrangère, indique-t-il. Les problèmes les plus fréquents rencontrés par les patients d'origine étrangère sont variés. C'est d'abord la crainte de notre système de santé. Encore plus pour ceux qui n'ont pas de papiers. Les malades placés dans les situations les plus précaires retardent souvent au maximum leur hospitalisation et arrivent dans un état de santé aggravé. La précarité accentue encore le sentiment d'insécurité à l'arrivée à l'hôpital. Les problèmes de langue entraînent parfois des incapacités absolues à s'exprimer. Certains ont des problèmes à conceptualiser les choses. On peut passer à côté de graves problèmes. Ici, à Avicenne, nous faisons appel à un service d'interprétariat par téléphone, sous contrat avec l'AP-HP. Durant l'année 2003, nous avons eu recours à 83 langues. »

Odyssées des migrants

En Espagne, l'hôpital Punta de Europa de Algesiras, à Cadiz, en Andalousie, une région de forts flux migratoires, est également inclus dans ce projet. « Notre établissement est situé à 18 kilomètres des côtes africaines, explique Antonio Salceda de Alba, infirmier dans cet établissement. Le projet Hôpital ami du migrant a eu pour but de mettre en lumière toutes les difficultés rencontrées par ces populations qui se déplacent pour trouver de meilleures conditions de travail et de vie pour eux et pour leurs proches. Pour cela, ils courent le risque de tomber dans la marginalité, l'abandon et la pauvreté. Durant le développement du projet, nous avons surtout pris en charge des immigrés en situation irrégulière qui arrivent en urgence à l'hôpital avec des pathologies liées à l'incroyable odyssée vécue en traversant terres et mers dans des conditions terribles : traumatismes, déshydratation, hypothermie, brûlures et plus particulièrement des femmes enceintes proches de leur terme. Certaines accouchent pendant la traversée. Cependant, la plupart sont des gens jeunes, très forts et en très bonne santé à leur arrivée. »

Actions concrètes

Avec la déclaration d'Amsterdam, les établissements concernés ont commencé à multiplier les actions concrètes pour venir en aider aux patients immigrés. À Avicenne, par exemple, elles sont multiples. « Nous essayons de développer au maximum l'accès à l'association ISM (Inter Services Migrants) et son service d'interprétariat, observe Olivier Bouchaud. L'AP-HP a un contrat avec eux. Ici, les dépistages de l'hépatite et du VIH sont gratuits. Nous insistons beaucoup sur la mise en confiance du patient. Il faut savoir que des patients sont soumis au stress. Si leurs papiers ne sont pas en règle, ils sont très angoissés par une éventuelle expulsion. Même s'ils ont leurs papiers, ils ne sont pas toujours dans un sentiment de sécurité. À cela, il faut ajouter un certain isolement aggravé par certaines pathologies stigmatisantes comme le VIH ou la tuberculose. Dans notre service, nous avons un minimum d'interdits. On veut montrer qu'on accepte les gens tels qu'ils sont et on essaie de beaucoup discuter. On travaille en commun pour fournir aux patients des repas culturellement adaptés. Mais surtout, nous multiplions les formations au niveau du personnel médical et paramédical pour qu'ils apprennent certaines particularités liées aux cultures traditionnelles afin de gommer les incompréhensions. Nous avons, par exemple, une formation qui s'appelle "entre le oui et le non aux soins, une histoire de migration". Cela permet de comprendre pourquoi certains patients vont refuser un soin. »

À l'autre bout de l'Espagne, les actions sont également diverses. Un DVD multilingue (espagnol, arabe, anglais et français) sur les soins post-partum réalisé par l'hôpital britannique de Bradford (qui appartient aussi au projet) a été mis à la disposition des populations de passage dans son établissement. Ce document met en avant les bienfaits de l'allaitement maternel.

Se former aux différences

« Nous avons mis en relief la nécessité d'inclure une formation en diversité culturelle à l'intérieur de nos programmes de routine de formation continue, ajoute Antonio Salceda de Alba. Notre travail est d'identifier les inégalités dans l'accès aux soins, l'analyse de ses causes et de proposer des alternatives pour améliorer cette situation. Nous avons ouvert la collaboration entre les hôpitaux de la région, des ONG et autres organisations qui exercent dans les mêmes domaines. Les formations sur les diversités culturelles se multiplient. »

Dans les autres établissements européens concernés, d'autres actions voient le jour. Au Royaume-Uni, l'hôpital de Bradford dispose d'un service de dix-sept personnes dont la mission est d'assurer l'égalité et la diversité pour tous les patients. Leur budget annuel est de 500 000 euros. En Italie, l'hôpital de Guastalla, dans la province de Reggio Emilia donne des cours d'information sur le système de santé italien. Les femmes migrantes bénéficient également d'informations sur la prévention en gynécologie et en pédiatrie. Le but est de leur permettre de prendre en main seules leur santé et celle de leurs enfants.

« Ce sont essentiellement des infirmières et des aides-soignantes qui participent à la formation "introduction aux différences culturelles", explique Olivier Bouchaud. C'est tout à leur honneur. Elles ont parfois une ouverture d'esprit plus grande sur ce genre de choses. Elles savent que cela peut leur apporter quelque chose. Par exemple, dans le cas où un patient refuse la prise de sang car il considère que c'est quelque chose de vital pour lui, l'infirmière peut mieux comprendre cette angoisse et la gérer. Un dialogue s'établit. Cela permet de gérer des choses simplement. »

Difficile bilan

Mais tracer un bilan quatre ans après la mise en oeuvre de ce projet reste difficile. Il n'existe pas d'indicateur objectif. À Algesiras, l'association Acoge s'implique beaucoup dans l'accueil des immigrés clandestins, de plus en plus nombreux à tenter la dangereuse traversée du détroit depuis les côtes africaines. Les personnes interceptées sont heureuses d'être prises en charge par les bénévoles qui essaient de leur expliquer le système de santé espagnol. Depuis cinq ans, l'association des « Femmes médiatrices de Pantin » intervient au service des maladies infectieuses et de médecine tropicale pour nourrir les patients africains. La situation évolue donc. Aujourd'hui, les populations étrangères de passage à l'hôpital sont mieux écoutées et accueillies. Pourtant, le chemin reste long pour que certaines barrières tombent.

« Il faut sensibiliser tous les soignants au fait que c'est à l'hôpital de s'adapter au patient et pas l'inverse, note Olivier Bouchaud. Ce projet sort largement du cadre des migrants, chaque personne a la droit à la différence, l'autre existe. Il faut déjà que les migrants se sentent les bienvenus à l'hôpital. »

1- Academic Medical Center of Amsterdam (Pays-Bas), University Hospital of Turku (Finlande), Uppsala University Hospital (Suède), Kaiser- Franz-Josefs-Spital (Vienne, Autriche), The James Connolly Memorial Hospital (Dublin, Irlande), The Bradford Hospitals NHS Trust (Angleterre), Kolding Hospital Velje-Kolding (Danemark), Immanuel Krankenhaus (Berlin, Allemagne), Hospital Agia Eleni (Athènes, Grèce), Presidio Ospedaliero della Provincia di Reggio Emilia (Guastalla, Italie), Hospital Nossa Senhora do Rosario (Lisbonne, Portugal), Hospital Punta de Europa (Algésiras et Cadix, Espagne).

témoignage

« L'ACCUEIL S'EST AMÉLIORÉ »

Originaire du Mali mais née au Sénégal, Bintou est médiatrice à l'association Afrique partenaire service qui soutient les immigrés hospitalisés.

« J'ai commencé par faire des formations sur le sida au sein de l'association Afrique partenaire service. Nous voulions que les personnes rencontrées à l'hôpital soient informées, qu'elles comprennent l'importance du test de dépistage, connaissent vraiment cette maladie, ses symptômes et surtout ses modes de contamination. Aujourd'hui, je suis médiatrice dans cette association. Tous les mardis matin, je me rends à l'hôpital Avicenne dans le service des maladies tropicales et infectieuses. Là, je vais d'une chambre à l'autre et je discute avec les malades, essentiellement originaires d'Afrique. On essaie de les soutenir moralement. Même si un malade africain n'est jamais seul, on nous confie beaucoup de choses. Ces malades ne comprennent pas toujours de quoi ils souffrent. C'est vrai que depuis ces dernières années, certaines maladies sont beaucoup plus connues. Mais les personnes illettrées sont souvent plus perdues que les autres. Dernièrement, nous avons eu deux journées de formation sur le vieillissement des immigrés. Cela m'a beaucoup apporté. Je pense qu'il reste beaucoup de travail pour sensibiliser cette population aux problèmes du sida par exemple. L'accueil fait aux immigrés à l'hôpital s'est beaucoup amélioré ces dernières années. Auparavant, ils ne pouvaient se confier qu'à de rares personnes comme l'aumônier. »