La maladie d'Alzheimer - L'Infirmière Magazine n° 220 du 01/10/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 220 du 01/10/2006

 

neurologie

Cours

Si des progrès importants ont été accomplis, notamment sur la compréhension des mécanismes pathologiques, la maladie d'Alzheimer ne dispose toujours d'aucune thérapeutique curative. Faciliter le dépistage précoce permet de gagner de précieux mois.

La maladie d'Alzheimer a été décrite pour la première fois en 1906 par un neurologue allemand, Aloïs Alzheimer, chez une femme de 56 ans présentant des troubles des fonctions intellectuelles appelées classiquement démence. Pendant longtemps, on a pensé que la maladie d'Alzheimer touchait les personnes de moins de 60 ans et que les troubles intellectuels après 60 ans étaient liés au vieillissement, notamment artériel, d'où le nom de démence sénile. C'est seulement vers les années 1970 qu'il a été démontré que la plupart des démences séniles étaient en réalité des maladies d'Alzheimer à début tardif (démence de type Alzheimer ou DTA) et que cette forme était la plus fréquente.

En effet, actuellement en France le nombre de patients atteints de cette maladie est évalué à environ 800 000. L'incidence (nombre de nouveaux cas par an) est d'environ 165 000 nouveaux cas. À la lumière de ces chiffres, il est donc possible de mesurer l'ampleur du problème en termes de dépistage, de diagnostic et de prise en charge.

CAUSE

La DTA fait partie des démences dégénératives car elle s'accompagne d'une dégénérescence progressive des neurones aboutissant à leur mort. Cette dégénérescence est due à l'effet toxique de deux types de lésions cérébrales : l'une extracellulaire appelée plaque sénile et l'autre intracellulaire appelée dégénérescence neurofibrillaire. Ces lésions ne sont pas spécifiques de la maladie d'Alzheimer. Elles sont présentes aussi dans le cerveau des sujets sains âgés. En revanche, leur nombre est beaucoup plus important et ce sont les régions fortement impliquées dans le processus de mémorisation (hippocampe et lobe temporal) qui sont atteintes en premier. Ensuite, les lésions vont s'étendre progressivement à tout le cerveau. Elles ne sont détectables qu'au microscope.

Les lésions observées dans la DTA sont dues à l'accumulation d'une substance anormale, la substance béta-amyloïde. On ne sait pas actuellement comment empêcher l'accumulation de cette substance et ainsi arrêter le processus pathogénique.

La conséquence directe de ces anomalies est la mort accélérée des neurones, surtout dans les zones participant à la mémorisation, se manifestant tout d'abord par des anomalies au niveau de la transmission synaptique ainsi que par des déficits en certains neurotransmetteurs, notamment l'acétylcholine.

SIGNES CLINIQUES

La maladie débute habituellement par des troubles de la mémoire. L'atteinte de la mémoire est très précoce et peut rester longtemps isolée. Elle se manifeste par des difficultés à acquérir de nouvelles informations et à se rappeler des événements de la vie quotidienne : coups de téléphone, rendez-vous, informations du quotidien. Il s'agit de la mémoire à court et moyen terme, dite aussi mémoire de travail.

La mémoire rétrograde, dite mémoire ancienne est plus tardivement atteinte, phénomène rassurant à tort le patient. Les autres types de mémoires, sémantique (concerne notre connaissance du monde), procédurale (concerne nos habilités) sont aussi atteints au fur et à mesure que la maladie évolue.

D'autres atteintes cognitives peuvent être associées : une aphasie - difficulté à trouver les mots -, une apraxie - incapacité à effectuer des gestes plus ou moins complexes de la vie quotidienne -, une agnosie - incapacité à identifier des objets où des personnes -, une perturbation des fonctions exécutives, comme la pensée abstraite, la capacité de mettre en place des stratégies, de s'organiser dans le temps, de contrôler ou d'arrêter un comportement complexe.

À cela s'ajoutent des troubles du comportement comme des symptômes dépressifs, des idées délirantes, hallucinations, agitation, apathie, irritabilité, déambulation, des troubles de l'appétit et du sommeil.

L'ensemble de ces troubles aboutit à une désinsertion sociale ainsi qu'à une perte d'autonomie.

Dans certains cas, les troubles cognitifs sont très discrets et ils sont objectivés seulement par un bilan neuropsychologique approfondi. On parle alors de MCI (Mild Cognitive Impairment). Les MCI pour les Anglo-Saxons semblent correspondre à un état de transition entre vieillissement et maladie d'Alzheimer. Si leur classification a fait l'objet de nombreuses polémiques, celle de Peterson semble se dégager. Selon cette classification, le MCI se définit comme :

- une plainte mnésique confirmée par l'entourage ;

- une absence de retentissement sur les activités de la vie quotidienne ;

- un déficit mnésique objectivé par un test de mémoire validé (plus de 1,5 d'écart type) ;

- un fonctionnement cognitif global normal ;

- une absence de critères de démence.

Les patients porteurs d'un MCI ont plus de risque de développer une maladie d'Alzheimer. Ainsi, environ 10 à 15 % d'entre eux évoluent chaque année vers une démence contre 1 à 2 % dans la population générale. Ces patients doivent être surveillés régulièrement dans des consultations spécialisées.

FACTEURS DE RISQUE

De nombreuses études épidémiologiques ont étudié les facteurs de risque de cette maladie afin de mieux comprendre le processus pathologique et d'en diminuer l'incidence.

L'âge est sans doute le facteur le plus anciennement connu. La fréquence de la maladie d'Alzheimer augmente avec celui-ci. Elle passe de 3 % à 60 ans à plus de 20 % vers 80 ans. Cette maladie représente plus de 50 % des troubles intellectuels du sujet âgé.

Les facteurs génétiques constituent un risque important. Il faut différencier deux formes de maladies d'Alzheimer. Une forme précoce héréditaire autosomale dominante liée à des mutations génétiques sur les chromosomes 21, 14 ou 1. C'est une forme rare, représentant moins de 5 % des cas. Elle survient bien avant 65 ans et le nombre de cas dans la famille est très important.

La forme la plus fréquente de la maladie d'Alzheimer est la forme sporadique. Elle survient plus tardivement et le nombre des cas dans une famille est faible. Dans ces formes, il a été mis en évidence la responsabilité d'un facteur génétique : la présence de l'allèle e4 de l'apolipoprotéine.

Cette lipoprotéine joue un rôle essentiel dans le transport du cholestérol nécessaire à la réparation des membranes cellulaires. Il existe trois formes alléliques de l'apolipoprotéine, les formes e2, e3, et e4. La présence d'un allèle e4 augmente le risque de maladie de huit fois, la présence de deux allèles e4 augmente le risque de 15 fois. Malgré l'augmentation importante du risque de maladie en présence de l'allèle e4, il s'agit seulement d'un facteur de risque et non d'un facteur de certitude. Son phénotypage ne constitue pas un test diagnostique à titre individuel. Toutefois, son dosage est important lors de la mise en place d'études médicamenteuses car elle peut être impliquée dans la manière de répondre à différentes classes de molécules.

Certains facteurs de risque vasculaires constituent aussi des facteurs de risque pour la maladie d'Alzheimer. Cette relation a été bien démontrée pour l'hypertension artérielle et le diabète, mais reste encore imprécise pour les hypercholestérolémies.

D'autres facteurs de risque ont été étudiés, comme le niveau d'étude, l'hygiène de vie, les facteurs nutritionnels, les oestrogènes et les anti-inflammatoires non stéroïdiens mais leurs rôles restent plus contestés. Des études sont encore nécessaires afin de préciser pour certains d'entre eux leur rôle exact mais, d'ores et déjà se dessinent des pistes de prévention qui permettront de minorer l'incidence de la maladie.

DIAGNOSTIC

Le diagnostic de la maladie d'Alzheimer est clinique. Il n'existe pas actuellement de marqueur biologique ou radiologique afin de certifier le diagnostic. Seule l'analyse anatomopathologique (en regardant un fragment de cerveau au microscope) peut apporter une certitude mais cette analyse n'est pas réalisable du vivant du patient.

L'approche clinique consiste à éliminer toutes les autres causes de démences. Cela nécessite un entretien et un examen clinique rigoureux, un bilan psychométrique fait par un neuropsychologue, une prise de sang et un scanner cérébral ou une IRM.

L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes) a formulé une série de recommandations pratiques pour le diagnostic.

L'entretien va s'efforcer de retracer l'histoire clinique, le début des troubles, leur évolution et leur retentissement sur la vie quotidienne. Il recherchera les antécédents médicaux personnels et familiaux et les différents facteurs de risque, notamment vasculaires.

L'examen clinique doit apprécier l'état général (perte de poids), le degré de vigilance (éliminer un syndrome confusionnel) ainsi que les déficits sensoriels et moteurs. La recherche de signes de localisation neurologiques (signe de Babinski, syndrome pseudo-bulbaire, réflexes archaïques, signes extrapyramidaux, troubles de la verticalité du regard, troubles sphinctériens, troubles de la posture et de la marche...) doit être systématique. L'existence de signes neurologiques doit faire évoquer un autre diagnostic que celui de maladie d'Alzheimer.

Le bilan neuropsychométrique sera adapté au degré et au type d'atteinte cognitive. Il comprendra au minimum un test cognitif global type MMSE (Mini Mental State de Folstein), un test de rappel indicé type 5 mots, un test de stratégie type l'horloge et un test de fluence verbale et de praxies.

Certains examens biologiques sont demandés afin de rechercher des facteurs aggravants des troubles cognitifs. Il est recommandé de prescrire systématiquement un dosage de la TSH, de réaliser un hémogramme, un ionogramme sanguin ainsi qu'une glycémie. La sérologie syphilitique, la sérologie HIV, le dosage de la vitamine B12, le dosage des folates, le bilan hépatique, la ponction lombaire seront prescrits en fonction du contexte clinique.

Un scanner cérébral sans injection systématique est recommandé pour toute démence d'installation récente. Le but de cet examen est de ne pas méconnaître l'existence d'une autre cause de démence (tumeur cérébrale, hydrocéphalie à pression normale, lésions d'origine vasculaire...). La réalisation d'un électroencéphalogramme (EEG) n'est recommandée qu'en fonction du contexte clinique (crise comitiale, suspicion d'encéphalite ou encéphalopathie métabolique, suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob...)

Au terme de cette démarche, le diagnostic d'une maladie d'Alzheimer pourra ou non être posé selon les critères diagnostiques internationaux (cf. tableau DSM-IV p. V).

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS

La dépression peut parfois se présenter sous la forme d'une démence du fait de l'importance du ralentissement psychomoteur et de l'importance de l'aboulie et du repli sur soi. Elle peut aussi s'associer à une maladie d'Alzheimer.

La confusion mentale peut aussi se présenter sous la forme d'une démence du fait de la similarité de la présentation clinique. En revanche, le mode d'installation est souvent brutal et la présence d'une cause à l'origine des troubles ainsi que l'évolution permettent généralement de faire le diagnostic différentiel.

La démence avec corps de Lewy est caractérisée par un syndrome extrapyramidal contemporain des troubles cognitifs par des fluctuations des performances cognitives et de l'attention, et par des hallucinations visuelles. L'examen neuropathologique montre des inclusions neuronales éosinophiles (les corps de Lewy) et des plaques séniles dans le cortex cérébral.

La démence fronto-temporale est caractérisée par l'importance et la précocité des troubles du comportement (désinhibitions, négligence physique, hyperoralité, distractibilité, impulsivité, conduites stéréotypées), par des troubles affectifs (dépression, anxiété, idées fixes, préoccupation hypocondriaque...) et par une préservation relative de l'orientation spatiale et des praxies.

La paralysie supra-nucléaire progressive ou maladie de Steele-Richardson est caractérisée par un syndrome extrapyramidal à prédominance axiale, une paralysie supra-nucléaire de la verticalité du regard, une instabilité posturale et des chutes.

Les démences vasculaires sont caractérisées par une histoire de la maladie compatible avec un accident vasculaire cérébral, par la présence de symptômes ou de signes focaux à l'examen clinique, par des lésions vasculaires (infarctus cérébral, lacunes multiples, leucoaraïose étendue...) détectée à l'imagerie cérébrale et par un lien temporel entre le début de la démence et l'accident vasculaire cérébral.

La maladie de Creutzfeldt-Jakob peut s'identifier par une démence d'évolution rapide, par la présence de myoclonies et l'existence d'anomalies électroencéphalographiques (pointe onde périodique à 3 cycles/s).

Différentes affections peuvent se manifester par des troubles cognitifs et font habituellement partie à ce titre des diagnostics différentiels de la maladie d'Alzheimer. Elles sont d'origine métabolique (hyponatrémie, hypercalcémie, hypothyroïdie, carence en vitamine B12 ou en folates...), infectieuse (neurosyphilis, encéphalite à VIH...), toxique (démence alcoolique), médicamenteuse (psychotropes, anticholinergiques...) en rapport avec un processus expansif intracrânien (tumeur cérébrale, hématome sous-dural...) ou liées à un trouble de la circulation du liquide céphalorachidien ou LCR (hydrocéphalie à pression normale). Souvent, ces affections constituent des facteurs aggravants de troubles cognitifs préexistants.

PRISE EN CHARGE

Elle consiste tout d'abord à mettre en place un traitement en fonction du degré d'atteinte de la maladie. Ensuite, seront recherchés et traités les troubles du comportement. Une évaluation de l'autonomie physique et de l'aptitude aux activités de la vie quotidienne est également effectuée.

Ensuite, l'impact de la maladie sur l'aidant est étudié et une prise en charge spécifique est alors mise en place.

Cette prise en charge peut être ambulatoire dans le cadre de consultations mémoire, d'hôpitaux de jour, ou d'accueil de jour. Elle peut également être institutionnelle en maison de retraite plus ou moins spécialisée ou en longs séjours hospitaliers. Cela dépendra de la gravité de la maladie et des possibilités de l'aidant.

TRAITEMENT SPÉCIFIQUE

Deux types de traitements sont complémentaires pour traiter les patients, les traitements médicamenteux et les traitements non médicamenteux basés sur la stimulation cognitive.

Traitement médicamenteux. Il existe actuellement trois molécules ayant l'indication pour le traitement symptomatique de la maladie d'Alzheimer d'intensité légère à modérée. Il s'agit du donépézil (Aricept®), de la rivastigmine (Exelon®) et de la galantamine (Réminyl®). Ce sont tous des anticholinestérasiques agissant sur l'enzyme dégradant l'acétylcholine, et par ce biais, ils augmentent la concentration de celle-ci dans le cerveau. Or, l'acétylcholine joue un rôle important dans les processus de mémorisation et elle est donc impliquée dans la maladie d'Alzheimer. Malheureusement, ce n'est pas le seul neurotransmetteur déficitaire, ce qui explique l'efficacité modérée des anticholinestérasiques. Ces médicaments n'arrêtent pas la destruction neuronale mais ils permettent une stabilisation de la maladie pendant quelques années. Leur efficacité contre placebo est comparable ainsi que leurs effets secondaires. Il n'existe pas pour le moment d'essais comparatifs entre les trois molécules. Le choix d'une molécule par rapport à une autre est plus guidé par la facilité d'administration et par la tolérance individuelle. Lorsqu'une molécule est mal tolérée, il est alors possible d'en essayer une autre.

Une quatrième molécule, la mémantine (Ebixa®) s'adresse aux patients aux stades modérés à sévères. Elle présente un mécanisme d'action différent des anticholinestérasiques en s'opposant à certains phénomènes de toxicité cellulaire (cf. tableau p. VI).

Globalement, ces médicaments ont démontré leur efficacité sur la cognition et sur le ralentissement de l'évolution de la maladie. Ils ont montré également une efficacité sur certains troubles du comportement ou sur le fardeau ressenti par l'aidant. En revanche, seulement 70 % des malades sont répondeurs (amélioration ou stabilisation de la maladie) et cette réponse ne dure que deux à trois ans. En cas d'aggravation, l'utilisation d'une bithérapie (un anticholinestérasique associé à la mémantine) peut améliorer l'état du patient.

Ces molécules n'ont pas démontré d'efficacité dans le MCI.

Seuls les neurologues, psychiatres et gériatres peuvent initier le traitement. Le médecin généraliste peut le renouveler. Il n'existe pas de critères d'arrêt, le traitement est poursuivi tant que le malade semble en bénéficier.

Des recherches sont actuellement en cours pour trouver des produits plus actifs. Une des voies est la mise au point d'un vaccin visant à détruire les plaques amyloïdes et constituant ainsi un traitement étiologique de la maladie. Une autre voie prometteuse est celle des thérapeutiques neuroprotectrices qui visent à réduire la dégénérescence neurofibrillaire et la mort neuronale.

Traitements non médicamenteux. Ces traitements sont un complément au traitement médicamenteux. Il s'agit de techniques de stimulation des fonctions cognitives restantes chez le patient. Il existe de nombreuses approches, citons parmi les plus connues les ateliers- mémoire, les thérapies d'évocation du passé (ou thérapie de réminiscence), la stimulation comportementale, l'expression corporelle, la musicothérapie, l'art-thérapie, les stimulations multisensorielles, etc.

Les professionnels impliqués dans ces techniques sont nombreux. Il s'agit de psychologues et neuropsychologues, orthophonistes, psychomotriciens, ergothérapeutes, art-thérapeutes, animateurs spécialisés. Les séances peuvent être individuelles ou sous forme d'atelier de groupe. Seuls les orthophonistes sont remboursés par la Sécurité sociale après accord préalable du médecin-conseil. Ce sont eux qui interviennent le plus souvent à domicile. Les ateliers sont souvent organisés dans le cadre d'accueil de jour. Ces structures ont tendance à se développer mais pour l'instant le nombre de places est très insuffisant par rapport à la demande.

De l'avis de la plupart des professionnels et des familles, le bénéfice individuel est indiscutable, mais l'efficacité de ces techniques dans le cadre d'études randomisées n'est pour l'instant pas clairement démontrée. Cela est lié d'une part à la grande hétérogénéité des approches et d'autre part à la grande difficulté de mettre en place des études de grande envergure et pendant suffisamment longtemps. Actuellement, des études sont en cours pour évaluer certaines approches.

TRAITEMENT DES TROUBLES DU COMPORTEMENT

La maladie d'Alzheimer s'accompagne de troubles du comportement de type dépression, apathie, agitation, déambulation, délires, hallucinations. À cela peuvent s'ajouter des troubles de l'appétit (anorexie, boulimie) et des troubles du sommeil avec inversion du rythme nycthéméral. Ces troubles n'apparaissent pas en même temps. La dépression et l'apathie s'observent plus dans les stades débutants. La déambulation, l'agressivité, les troubles du sommeil se manifestent davantage lors de démences sévères. Ils peuvent être mesurés à l'aide d'un inventaire neuropsychiatrique (NPI, cf. tableau ci-dessous). Ce type d'inventaire donne un score en fonction de la fréquence et de la gravité du trouble. Le retentissement sur l'aidant ou sur l'équipe soignante est aussi mesuré. Cela permet de suivre l'impact de la prise en charge pour un patient donné. L'apparition des troubles du comportement est retardée par les traitements spécifiques de la maladie d'Alzheimer. Une fois ces troubles installés, il faut faire un bilan clinique à la recherche d'une cause autre que la démence (globe vésical, cause iatrogène, douleur, causes environnementales, etc.). Si un traitement est mis en place, il est préférable de privilégier des médicaments antidépresseurs type IRS ou sédatifs. Les neuroleptiques ne sont indiqués que dans les troubles productifs. Dans tous les cas, les prescriptions doivent être limitées dans le temps car certains troubles peuvent être passagers. Les troubles du sommeil, la déambulation peuvent être pris en charge par des programmes de stimulation et un environnement adapté. Les troubles du comportement sont souvent une cause de mise en institution.

AUTRES ÉLÉMENTS DE LA PRISE EN CHARGE

Le reste du bilan évalue l'autonomie physique et les actes de la vie quotidienne. Pour cela, il est possible d'utiliser des échelles telles que l'ADL de Katz (cf. p. VIII) et l'IADL de Lawton (cf. Tout en images, p. XII). L'ADL mesure l'autonomie physique concernant l'hygiène corporelle, l'habillage, la marche, la continence, la prise des repas et l'autonomie pour se rendre aux toilettes. Le score varie de 0 (dépendance maximale) à 6 (autonomie). L'IADL jauge les activités de la vie quotidienne comme la capacité à utiliser le téléphone, à faire des courses, à préparer le repas, à entretenir sa maison, à faire sa lessive, à utiliser les moyens de transport, à prendre les médicaments et à gérer son budget. Le score varie de 0 (dépendance maximale) à 8 (autonomie). Une atteinte à ces échelles représente un bon indice de désinsertion sociale et peut donner une orientation sur les aides à mettre en place.

La prise en charge de l'aidant est tout aussi importante pour le maintien à domicile que la prise en charge du malade lui-même. Il s'agit le plus souvent du conjoint ou d'un enfant. De nombreuses études ont montré un risque plus important de maladie somatique et de dépression chez les aidants par rapport à la population générale. L'impact de la maladie sur l'aidant peut être mesuré avec la grille de Zarit (cf. tableau p. XI). Cette grille mesure en 22 questions le fardeau de l'aidant.

Le score va de 0 à 88. Un score inférieur à 20 signifie un fardeau léger, entre 21 et 40 un fardeau modéré, entre 41 et 60 un fardeau sévère et entre 61 et 88 un fardeau très sévère. La prise en charge va de simples conseils au quotidien jusqu'à de véritables psychothérapies en cas de fardeau sévère. Par ailleurs, il faut toujours proposer des aides à domicile (aide-soignante, infirmière, garde-malade, etc.) pour soulager l'aidant.

PRISE EN CHARGE DES STADES TERMINAUX

L'évolution de la maladie d'Alzheimer tend vers l'aggravation progressive du déficit des fonctions cognitives avec une dépendance physique croissant dans les actes de la vie quotidienne. La prise en charge des patients déments en fin de vie doit pallier tous ces handicaps, mais elle doit aussi aller plus loin, jusqu'à la réflexion éthique quant au bien-fondé de certaines thérapeutiques. Il est indispensable d'analyser les situations avec bon sens et de considérer le malade dans son ensemble polypathologique.

Les personnes atteintes de maladie d'Alzheimer sont particulièrement exposées à l'acharnement thérapeutique, coûteux en termes de souffrances pour le malade, sa famille et les soignants. Mais elles sont aussi exposées à la non-assistance et à l'abandon thérapeutique, voire à l'euthanasie active qui règle très mal la souffrance du malade et de sa famille. L'application d'une médecine palliative et la réflexion éthique qu'elle suscite représentent une saine alternative à ces deux formes de médicalisation extrêmes et inadaptées. La prise en charge palliative n'est pas très différente pour les patients déments par rapport aux sujets âgés, mais elle présente néanmoins quelques particularités liées au déficit cognitif.

Par exemple, la douleur physique pose le difficile problème de son évaluation chez ces patients dont la sensibilité à la douleur est nor- male, même s'ils ne l'expriment pas toujours de façon « classique ». De nombreuses études ont mis en évidence que - à pathologies égales - les personnes atteintes de troubles cognitifs reçoivent moins d'antalgiques que celles qui n'en ont pas.

Il faut toujours interroger directement le malade sur l'existence éventuelle d'une douleur, mais il est indéniable qu'à un stade évolué de la maladie, les échelles d'auto-évaluation de la douleur ne sont plus utilisables. Dans ce cas, les échelles d'observation comportementale peuvent constituer une bonne alternative. L'échelle Doloplus 2 a fait l'objet d'une validation récente avec de bons résultats. Cette évaluation peut permettre une vision plus objective du syndrome douloureux, mais aussi le suivi de l'efficacité thérapeutique.

Le traitement du syndrome douloureux n'a rien de spécifique à la maladie d'Alzheimer et obéit aux stratégies thérapeutiques à trois niveaux de l'OMS.

Parallèlement au traitement médicamenteux, des approches non médicamenteuses comme le nursing, les massages, la kinésithérapie et l'ergothérapie peuvent apporter un confort de vie important au malade en évitant les rétractions du décubitus et les douleurs liées à l'hypertonie tout en diminuant l'anxiété.

BILAN

La maladie d'Alzheimer est une pathologie fréquente du grand âge. Des progrès importants ont été accomplis sur le plan de la compréhension des mécanismes pathologiques aboutissant aux troubles cognitifs observés. Le progrès du dépistage précoce et la mise au point de thérapeutiques spécifiques ont donné un nouvel espoir aux malades avec la possibilité de stabiliser la maladie pendant plusieurs années. Le développement de programmes structurés de prise en charge incluant le malade et son aidant et la création de structures spécifiques ont permis une meilleure qualité de vie pour les patients.

Mais il reste encore beaucoup à faire. Sur le plan thérapeutique, aucune thérapeutique curative n'est disponible. Le diagnostic précoce est encore trop rare et les patients sont encore trop souvent vus tardivement, perdant ainsi de précieux mois. Le nombre de structures spécialisées demeure très insuffisant par rapport à la demande.

Les progrès sont néanmoins là. La recherche est très active et l'espoir de guérir un jour cette maladie est aujourd'hui permis.

En savoir plus

> Recommandations pratiques pour le diagnostic de la maladie d'Alzheimer, Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes), Rapport 2000 (http://www.anaes.fr).

> La Prise en charge de la maladie d'Alzheimer et des maladies apparentées, Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (Opeps), Rapport 2005 (http://www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/rap-off/i2454.pdf).

> Prise en charge pratique des malades atteints de démence, Coordination J. Belmin, La Revue de gériatrie ; n° hors série, septembre 2000.

> La Fin de vie des patients déments, D. Feteanu et coll., La Revue de gériatrie, septembre 2000, pp. 57-62.