Les oubliés du Cachemire - L'Infirmière Magazine n° 220 du 01/10/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 220 du 01/10/2006

 

réfugiés climatiques

Reportage

Freddy Muller a passé six semaines dans les vallées du Cachemire pakistanais après le tremblement de terre. Un an plus tard, il raconte l'exode de milliers de réfugiés, plongés dans un total dénuement.

Un peu avant neuf heures du matin, le samedi 8 octobre 2005, un tremblement de terre dévastateur a secoué les montagnes du Cachemire, région frontalière densément peuplée que se disputent l'Inde et le Pakistan. Les secousses ont été ressenties de Kaboul à New Delhi. Lorsque la poussière est retombée, il ne restait qu'un paysage de cauchemar et de destruction, un séisme d'une magnitude de 7,6 sur l'échelle de Richter, 75 000 personnes tuées, des villages entiers rasés sur une superficie de 20 000 km2, plus de trois millions de personnes restées sans abri, menacées de mourir de froid.

Jusqu'à - 30 °C !

Arrivé à Muzaffarabad quinze jours après la catastrophe, je pars à la rencontre des victimes terrorisées par les répliques quotidiennes qui continuent de les menacer. La ville a été partiellement détruite et des milliers de personnes affluent des montagnes avoisinantes. « La terre tremble toujours, tout le monde dort dans des tentes. Certaines répliques peuvent atteindre 5,6 sur l'échelle de Richter et continuent de faire des victimes », explique Farook Jhattar, commerçant de High Street, l'ancien bazar de la ville. S'ajoutent à cela les traumatismes liés à la perte de leurs proches. Tout le monde a perdu un ou plusieurs proches parents, toute une génération d'enfants a succombé à la catastrophe, ils étaient tous à l'école quand la terre a tremblé.

Au bout d'une route criblée de nids de poules, je rejoins une équipe d'Action contre la faim à Balakot. Elle doit se rendre dans les montagnes des vallées de Nahran et Kaghan, situées dans les contreforts de l'Himalaya, afin d'estimer les besoins et de recenser les villageois « Il faut établir des priorités, savoir si l'urgence concerne l'approvisionnement en nourriture ou en tentes. Les routes sont coupées, l'accès n'est possible que par hélicoptère et la vallée n'est plus approvisionnée. Les gens vivent avec le peu de réserves qu'il leur reste et quelques provisions stockées pour le Ramadan. Les tentes et les bâches en plastique sont primordiales car elles permettent aux familles de se protéger du froid. En hiver, il peut faire jusqu'à - 30 °C. Ensuite, il nous faut organiser les distributions et l'acheminement du matériel jusqu'à Nahran avec l'aide de l'armée pakistanaise. »

Journées de marche

Quelques villageois ont succombé au froid, comme le fils de Arun Subil, âgé de six ans, mort d'une pneumonie dans le village de Bela à 200 kilomètres de Muzaffarabad. Les villageois font parfois plusieurs jours de marche pour rejoindre la clairière où arrivent les hélicoptères et sont distribuées de la nourriture et des couvertures.

Des centaines de personnes s'affairent dans l'espoir d'être évacuées en hélicoptère, mais les places sont chères. Dans l'hélicoptère, les regards des rescapés laissent apparaître soulagement et désarroi. Ils viennent de sauver leur vie mais quittent tout ce qu'ils connaissent. Afin de favoriser la circulation des familles, les gouvernements indien et pakistanais ont décidé d'ouvrir la frontière en deux endroits

Sur le bord des routes, des familles fuient le chaos et veulent partir au plus vite. Syed Zubar Gardi quitte son village de Chakotti pour se rendre à Islamabad. Il emmène avec lui deux de ses neveux qui ont perdu leurs parents lors du séisme et ses quatre enfants. Il a perdu sa femme et son village est très peu approvisionné. Sa maison est quasiment détruite. « Ici, mes enfants et moi n'avons plus d'avenir, seuls subsistent les souvenirs de malheur et de tristesse. »

Urgences quotidiennes

Suite à la décision des autorités pakistanaises d'évacuer les vallées, les villageois convergent vers les villes en plaine. Marginalisés, ils s'entassent parfois jusqu'à 15 000 dans des camps fétides et dépendent de l'aide. Parce qu'ils ont tout perdu, les gens récupèrent tout ce qu'ils peuvent : des briques et des barres de fer sont mises de côté dans l'espoir de bâtir les fondations de leurs nouvelles maisons, de construire une nouvelle ville. Dans les camps, les installations sanitaires sont presque inexistantes et les règles les plus élémentaires sont ignorées, les épidémies rôdent.

Troubles psychologiques

Médecins et infirmières d'associations humanitaires répondent aux besoins et aux urgences quotidiennes dans les camps. Les blessés les plus touchés rejoignent les urgences d'Islamabad où les équipes de soignants travaillent 24 heures sur 24.

« Nous soignons énormément de fractures, de cas de tétanos et de gangrène, note Doris Ghulan, infirmière en chef au service traumatologie de l'hôpital d'Islamabad. Beaucoup souffrent de troubles psychologiques. Nous travaillons parfois deux jours sans interruption, il faut répondre à l'urgence, des victimes arrivent par hélicoptère des régions isolées toutes les heures. » Tout l'hôpital est devenu un accueil permanent des urgences, les lits encombrent les couloirs, la mobilisation de médecins et d'infirmières venus volontairement de tout le Pakistan pour renforcer les équipes est fondamentale.

Délaissés

Les victimes sont abandonnées par la communauté internationale qui peine à se sentir concernée par cette tragédie effroyable. Les répliques de ce drame ont un tout autre écho que celui du tsunami, ses conséquences ont transformé la démographie de la région. L'afflux de milliers de personnes dans des villes détruites, le manque d'aide et d'infrastructure restante, laisse aux Cachemiris peu d'espoir de se trouver un avenir.

Merci pour leur précieuse aide à Olivier et Éric de ACF, Hassan, Cha Nazim.

Des associations oeuvrent à la reconstruction du Cachemire : ACF (01 43 35 82 24), MSF (01 40 21 29 29), La Croix-Rouge (01 44 43 11 00), Le Croissant rouge (+41 22 73 04 22).