Nantes joue un air de familles - L'Infirmière Magazine n° 220 du 01/10/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 220 du 01/10/2006

 

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Horizons

Un atelier nantais propose un nouveau mode d'échanges fondé sur la musique. Infirmières, psychologues et familles élaborent un langage commun.

Début avril, l'institut de musicothérapie de Nantes s'est lancé dans une nouvelle aventure : des consultations de médiation familiale musicale. Ou comment partager une expérience musicale pour refonder le dialogue familial. Des travaux de recherche très sérieux, menés pendant quatre années, et une pratique expérimentée en pédopsychiatrie et dans une maison d'accueil spécialisée, ont ouvert la voie à cette pratique.

langage sonore commun

Au programme de cet atelier : une dizaine de rencontres hebdomadaires d'une heure, une écoute collective d'extraits musicaux suivie d'une reformulation graphique, écrite ou orale et enfin, la production d'un « langage sonore et commun » à partir d'instruments accessibles à tous. Le but étant de « s'entendre et d'entendre l'autre différemment, d'explorer, sur un mode à la fois ludique et sérieux, de nouvelles possibilités de coexistence ».

Cette initiative le montre parfaitement. Progressivement, depuis plus de trente ans, la musicothérapie a étendu son champ d'action. A mû même. En effet, cette discipline s'est affranchie d'une vision très fonctionnelle, très utilitaire en cours jusqu'au début des années 80, qui s'intéressait aux effets de la musique sur la personne, pour gagner, en somme, ses lettres de noblesse. « Édith Lecourt, professeur de psychologie et psychopathologie clinique à l'université Descartes, à Paris, définit la musicothérapie comme une forme de psychothérapie qui utilise le son et la musique sous toutes ses formes comme moyen d'expression, de communication, de structuration et d'analyse de la relation, explique François-Xavier Vrait, directeur de l'institut de musicothérapie de Nantes. Cette définition libère la musicothérapie du poids qui la confondait naguère encore avec toutes les techniques psychomusicales qui en faisait au mieux une sorte de médecine douce. »

pathologies variées

Le coeur de la musicothérapie n'est plus dès lors la musique en tant que telle mais « l'expérience musicale proposée à un patient dans un espace de soin clairement défini, selon le même François-Xavier Vrait, infirmier psychiatrique qui a suivi la formation de musicothérapeute de Paris VII après un diplôme d'art en thérapie de Paris V. On ne se pose plus la question de ce que la musique fait au patient, mais de ce que le patient fait de la musique qui lui est donnée à entendre ou à produire. » Objectif : pouvoir se réapproprier ses affects. « Que va-t-il se dire à lui-même à travers la musique ? », résume François-Xavier Vrait.

En accord avec cette mouvance, l'institut nantais voit le jour en 1988. Comme l'explique son directeur, il a contribué à fédérer les pratiques et ainsi structurer la discipline. Comme cinq autres organismes en France, il forme des professionnels. La musicothérapie jouit alors d'une meilleure reconnaissance auprès des soignants et des décideurs. Si l'on trouve déjà des musicothérapeutes dans certains établissements dès 1974 comme cela est le cas au centre hospitalier spécialisé de La Roche-sur-Yon, en Vendée (voir encadré), ils entrent dans davantage d'institutions. Et la liste des pathologies pour lesquelles la musicothérapie est pratiquée est longue : autisme infantile ou de l'adulte, psychoses, états dépressifs, maladie d'Alzheimer, déficits intellectuels ou sensoriels (même la surdité), problèmes psychomoteurs...

En parallèle, la musicothérapie s'ouvre de nouveaux horizons. À Nantes, un musicothérapeute, infirmier de formation, travaille ainsi auprès de patients anorexiques et boulimiques pris en charge par le service d'addictologie du CHU. Deux autres musicothérapeutes, Catherine Lehousse et Jean-Pierre Aubret, interviennent à la maison d'arrêt depuis plus de 15 ans auprès de jeunes détenus toxicomanes. « Les séances leur permettent de dire leur mal être, d'évoquer leur dépendance rendue particulière par leur enfermement », précise François-Xavier Vrait.

Un atelier rap est également mené, toujours en prison, à l'aide de rappeurs locaux. Là, on crée. Avec la production d'un CD à la clé. « Mais, il s'agit plus d'amorcer une relation thérapeutique qui peut se poursuivre par les séances de musicothérapie », souligne le directeur de l'institut.

Signe d'une évolution toujours en cours, l'institut de musicothérapie de Nantes n'assure plus la formation des professionnels depuis quatre ans. C'est désormais la faculté de médecine qui l'organise dans le cadre d'un diplôme universitaire, même si l'institut est très impliqué, François- Xavier Vrait étant le coordinateur pédagogique. Idem pour les deux formations proposées initialement par l'institut de Montpellier et l'Association française de musicothérapie de Paris.

identité propre

Ce passage de relais, outre qu'il permet à l'institut de Nantes de développer son activité de recherche initiée en 1978, pourrait changer le visage de la musicothérapie par un recrutement plus large aujourd'hui. Assez logiquement, les professionnels qui se formaient étaient surtout psychologues ou infirmières, étant donné l'ancrage de la discipline dans les services de psychiatrie. Mais, à Nantes par exemple, si la moitié des professionnels en formation sont encore des soignants (infirmières, psychomotriciens, médecins, orthophonistes...), l'autre moitié est désormais composée de musicologues et de musiciens.

Pour François-Xavier Vrait, « le fait que des musicothérapeutes ne soient "que" musicothérapeutes va modifier l'image de cette pratique en institution. Nous nous dirigeons vers une pratique plus autonome qui va contribuer à donner une identité professionnelle propre. Il faut pouvoir renoncer à être infirmière pour entrer vraiment dans une fonction thérapeutique. C'est difficile d'arrêter de penser comme une infirmière ou un psychiatre quand on pratique également en tant que musicothérapeute. »

dualité

Même si la musicothérapie a besoin de creuser ce sillage, notamment pour que de nouvelles portes lui soient ouvertes, la dualité soignant-musicothérapeute reste une belle idée, car elle consacre l'aspect relationnel inhérent à la fonction même du professionnel de santé. « Elle permet de trouver une cohérence dans sa trajectoire, de donner une unité de soin en faisant rejoindre son attrait pour la relation thérapeutique et une pratique musicale, estime François-Xavier Vrait. L'accompagnement relationnel qu'exerce tout soignant possède alors une résonance particulière puisqu'il est doublé d'un accompagnement musical. »

1- Institut de musicothérapie de Nantes, musicotherapie.nantes@wanadoo.fr ou 02 28 21 01 60. Internet : http://www.musicotherapie-nantes.com. Pour connaître les sites Internet et les coordonnées des autres lieux de formation (Montpellier, Paris, Bordeaux, Metz et Noisy-Le-Grand), aller sur la page Fédération française de musicothérapie du site.

zoom

Musique sur ordonnance

Au centre hospitalier spécialisé Georges-Mazurel à La Roche-sur-Yon (Vendée), la musicothérapie est entrée dans les murs en 1974. L'initiateur était alors le docteur Pennec, aujourd'hui président de l'Association française de musicothérapie. Tous deux infirmiers psychiatriques, Véronique Bonnet et Jean-Luc Mutschler, y travaillent comme musicothérapeutes, au sein de la Fédération des thérapies médiatisées qui regroupe l'ergothérapie, la thérapie en milieu marin, les médiations corporelles et l'art thérapie.

Comme beaucoup d'infirmiers devenus musicothérapeutes, Véronique Bonnet et Jean-Luc Mutschler ont commencé comme cothérapeutes. La première s'est même formée à l'institut de Nantes trois ans après avoir accepté ce poste. Le second a lui suivi la formation à Dijon et Montpellier en 1992, année où il est arrivé à La Roche-sur-Yon.

Actuellement, le duo de musicothérapeutes voit entre 60 et 70 malades (en individuel ou en groupe) dans la semaine. « Les séances sont faites sur prescription médicale, souligne Jean-Luc Mutschler. Elles durent entre 30 minutes et une heure. Nous utilisons les méthodes dites réceptive - écoute -, active - production de sons - et de détente - relaxation sous induction musicale, utilisée surtout pour des personnes très stressées ou très angoissées. Nous fonctionnons par cycle de huit séances, à raison d'une, voire deux, par semaine, après un entretien préalable pour expliquer comment l'on procède. À la fin, un bilan est dressé avec le médecin et le patient. Il peut être reconduit. »