Rudes rues de Russie - L'Infirmière Magazine n° 220 du 01/10/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 220 du 01/10/2006

 

Stanislav Baranovski et Vika Victorin Gavrilova

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Rencontre avec

Stanislav et Vika, infirmiers russes, accueillent et soignent les enfants des rues de Saint-Pétersbourg. Des jeunes victimes de violences multiples, accros à la drogue et de plus en plus touchés par le virus du sida.

« Au début des années 90, on a vu apparaître le phénomène des enfants des rues. Auparavant, durant les décennies du communisme, cela n'existait pas. On ne voyait jamais aucun enfant errer dans les rues. C'était tout à fait impossible à cause des contrôles incessants de la police et des autorités. En plus, ils n'auraient jamais rien trouvé à manger. Désormais, c'est un modèle de vie. Et ils sont de plus en plus nombreux. » Vika Victorin Gavrilova sourit tristement. Elle est infirmière dans ce centre d'enfants des rues de Saint-Pétersbourg, au nord de la Russie. Blonde aux immenses yeux bleus, elle exerce ici depuis quelques années avec Stanislav Baranovski, infirmier lui aussi.

tests sanguins

La porte du centre se trouve entre deux bâtiments aux murs décrépits. On ne la devine pas de suite. Ce quartier un peu isolé du centre ville, non loin de la magnifique forteresse Pierre et Paul, se distingue des palais des princes, des fastes de l'Ermitage et de la Perspective Nevski, grande artère chic de Saint-Pétersbourg. Le centre d'accueil pour les enfants des rues compte douze lits mais on n'accepte pas que plus de dix enfants y passent la nuit. Chacun possède un dossier contenant toutes ses données personnelles : ses relations avec l'alcool, les drogues ou les narcotiques. Un classement de A à F permet de cerner les problèmes.

Ils appartiennent à la catégorie F s'ils n'ont absolument plus de famille ou de proches et sont dans la rue en permanence. « Quand ils arrivent, explique Stanislav, on ne leur demande aucun document mais nous sommes obligés de leur faire des tests sanguins : HIV, syphilis, hépatite... » Dans un coin du bureau, l'infirmier nous montre tous les dossiers empilés dans une vieille armoire. C'est la base de données du centre. En moyenne, trente nouveaux enfants arrivent tous les jours ici. « Tout dépend du temps qu'il fait dehors, ajoute Vika. Les conditions climatiques peuvent être terribles à Saint-Pétersbourg. L'âge moyen des enfants est de 14 ans. Le tiers sont des filles. S'ils ont un grand problème de santé, on appelle l'hôpital qui vient les chercher. »

sans famille, sans repères

Ce centre est le seul qui existe dans cette ville de près de cinq millions d'habitants. Les jeunes n'ont pas besoin de montrer des papiers d'identité pour se faire enregistrer. Il n'y a aucune condition d'entrée. Le centre a ouvert en 1998. Le projet a d'abord été soutenu par Médecins du monde. Le but du cette structure est de tenter à tout prix de resocialiser les enfants, de retrouver leurs familles. L'approche est pluridisciplinaire, aussi bien médicale que sociale et psychologique. « Nous essayons de retrouver les parents, indique Vika. Des psychologues se rendent près de leurs proches pour essayer de comprendre les situations. Malheureusement, c'est parfois mieux pour eux de vivre dans la rue que de rester à la maison. La plupart des parents se moquent complètement de savoir que leurs enfants sont livrés à eux-mêmes. L'alcool et les drogues rythment le quotidien de certaines familles pauvres. 75 % des jeunes qui passent par notre centre consomment de la drogue. Des substances pas chères comme de la glue ou de la colle. »

Il est difficile de tracer un portrait type de l'enfant des rues. On en compterait 20 000 dans l'ancienne Leningrad. Les enfants seuls dans cette ville se réunissent en bandes. Ils dorment souvent dans des ruines de maisons ou aux derniers étages des immeubles. C'est là qu'ils trouvent le chauffage. Le reste du temps, ils mendient ou travaillent. Cet après-midi dans le centre, deux fillettes de 10 et 12 ans viennent de franchir la porte. Ces deux-là sont scolarisées mais, le reste du temps, elles n'ont nulle part où aller... « Les fillettes ont des rapports sexuels très jeunes, poursuit Vika. Je me souviens de cette fille de 13 ans, toxicomane. Elle avait plusieurs partenaires sexuels. Nous avons beaucoup de cas de sida. Un tiers des enfants du centre sont issus de familles originaires d'autres états de l'ex-URSS. Ils sont souvent étrangers à la Russie. Ils sont si démunis qu'ils n'ont rien pour s'occuper de leurs enfants. »

un état très bureaucratique

Face à ce problème, les politiques réagissent mollement. « Ce bâtiment appartient à l'État, mais malheureusement tout cela bouge trop doucement, s'insurge Stanislav. Ils ne font rien. Quand ils se décident à bouger, il est trop tard. L'État, encore très bureaucratique, continue à utiliser les méthodes de la police. Nous avons toujours ce problème avec le gouvernement, soucieux de contrôler les papiers des jeunes. Nous ne souhaitons pas entrer dans cette logique. En plus, il faut compter avec la corruption. Nous avons organisé une réunion avec des fonctionnaires. Ils sont là, ils écoutent, ils acceptent, mais ensuite, rien ne bouge. »

soignants peu considérés

Les difficultés existent mais aucun des deux infirmiers ne serait prêt à baisser les bras. Ce travail constitue pour eux un emploi à mi-temps. Vika a 35 ans. Elle exerce dans un service d'oncologie. Stan, 29 ans, travaille aux urgences. Pénurie de personnel et gros manque de moyens : ils ont exactement les mêmes problèmes dans leurs services que leurs collègues français. Mais ici, le niveau de vie est encore très faible. Vika à l'hôpital gagne 150 $ par mois et Stan entre 300 et 400 $. Stan a une qualification plus importante que sa collègue et plus d'expérience. En Russie, les infirmières ne sont pas estimées. « Dans notre pays, la considération passe par le niveau de salaire », explique Vika, philosophe. La jeune femme avoue se sentir souvent épuisée par la poids de son travail. Stan, quant à lui, est un passionné. « Je ferai ça toute ma vie car j'adore ça », répète-t-il. Hier, il a travaillé non-stop pendant 24 heures.

Aujourd'hui, le centre connaît des problèmes liés au financement. Les donateurs sont rares en Russie. Un carnet d'adresses s'avère fort utile. Les cloisons sociales sont épaisses et il n'est pas simple de rencontrer les plus aisés. Mais, Vika et Stan ne perdent pas espoir. « Certains enfants que l'on a connus à 14 ans sont encore dehors aujourd'hui à 20 ans. Il n'y a pas d'évolution. D'autres sont venus pendant plusieurs années avant de partir à l'armée. Et, pour eux, cela va mieux. Ils sont ainsi retournés à la normalité. » L'espoir demeure donc pour les enfants des rues de Saint-Pétersbourg...

contact

- Saint Petersburg Public Charitable Foundation of Medical and Social Programs, 6-2 Ofitserky Pereulok, Saint-Pétersbourg, 197 110 Russie.

- Tél. (fax) : + 7 812 237 1495.

- Mél : office@humanitarianaction.org.

- Site Internet : http://www.humanitarian action.org.