Ateliers gériatriques, la vie mode d'emploi - L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006

 

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Horizons

Pas facile d'être hospitalisé quand on a 70 ans. Chez les patients âgés, le risque du repli sur soi est important. Les ateliers en gériatrie les encouragent à ne pas oublier les gestes de la vie de tous les jours.

Leur motivation : l'autonomie. Leur entraînement : peindre, parler, cuisiner. Leur terrain : le service gériatrie de Paul-Brousse (Villejuif, 94) ou de Corentin-Celton (Issy-les-Moulineaux, 92). Pour ne pas perdre la bataille contre l'isolement, les patients hospitalisés retravaillent en groupe les gestes quotidiens. « Avoir entre 70 et 85 ans et être hospitalisé, c'est dur, souligne Yasmine Thécy, orthophoniste à Paul-Brousse. Les rééducations peuvent être longues et les progrès très faibles. S'ils n'ont pas le moral, ils s'effondrent. Pour eux, ces ateliers sont une bouffée d'oxygène. »

Gaëlle Lazennec-Prévost, orthophoniste en poste depuis plus de quinze ans à Corentin-Celton, travaille en gériatrie et en psychogériatrie. C'est elle qui anime les ateliers. Récemment, elle a monté un groupe théâtre avec une psychomotricienne et un acteur professionnel.

le sens du langage

Cette activité est ouverte aux patients de l'hôpital de jour de psychogériatrie et des résidents en long séjour. L'objectif ? Associer des personnes de structures différentes et développer la « communication sociale ». La sélection des patients, elle, s'effectue sur indication des équipes médicales et soignantes, tous services confondus. À charge, pour elles, de détecter les problèmes.

Le premier des indicateurs concerne les troubles de la communication : soit les personnes sont trop inhibées, soit elles ont une expression verbale inappropriée (logorrhée sans communication réelle). Le second, c'est le trouble de l'estime de soi, plus difficile à remarquer. Les personnes souffrant de gros problèmes de comportement, elles, ne participent pas à l'atelier, qui requiert de l'attention.

L'atelier est là pour favoriser l'expression des patients, verbale et non-verbale. Ici, pas de textes appris par coeur : plutôt un travail sur la mémoire « sémantique », autrement dit sur le sens du langage : « Ce qui me plaît, observe Gaëlle, c'est qu'on aborde tous les aspects de la communication. Certains des patients s'expriment bien à l'oral, d'autres sont plus à l'aise en se taisant. Ceux-là communiquent en mimant des expressions, mais sont plutôt entravés à l'oral. Jouer un rôle leur fait prendre de la distance et mettre de côté leur personnalité. Alors, la communication passe par des voies non usuelles. L'atelier donne aux patients un espace pour exprimer des émotions et revivre des situations passées, sans que ça les implique trop personnellement, trop directement. »

L'atelier « peinture sur soie » a des objectifs similaires. Yasmine Thécy l'anime avec une ergothérapeute. « On l'a appelé "groupe d'expression", il s'adresse aux personnes atteintes de troubles neurovisuels, du langage, du savoir-faire, ou aux dépressifs. On voulait mélanger les publics pour que les patients voient qu'il y a d'autres problèmes que les leurs, et qu'ils se sentent valorisés avec les compétences qu'ils ont. On a commencé par des techniques simples pour les encourager, par des choses pas très figuratives : selon leurs envies, des vagues, un soleil... et petit à petit, ce sont eux qui proposent des thèmes. Soit on leur apporte un modèle, soit des pochoirs, soit ils travaillent avec leur imagination. Moi, je ne connaissais pas la peinture sur soie, je l'ai apprise avec les patients. Entre eux et moi, la peinture, c'est une sorte de médiateur. La technique est assez simple, ça permet d'avoir de beaux résultats. »

changer le regard

Les patients progressent, reprennent confiance en eux, et ne se considèrent plus seulement comme des malades, mais comme des personnes compétentes à part entière. Les soignants ne posent plus le même regard sur eux. « À l'hôpital, constate Yasmine, on vous prend entièrement à charge : pour vous lever, pour vous donner à manger, vous habiller, vous faire sortir. Ces ateliers sont un espace de partage, sans blouses blanches, où la vie de groupe et la créativité sont favorisées. Au départ, les nouveaux sont très concentrés sur l'activité, mais les anciens les rassurent. Et lorsque l'un d'entre eux manque à l'appel, les autres s'inquiètent de son absence. »

nourrir la mémoire

Il y a quelques mois, Yasmine Thécy, sa collègue ergothérapeute et une infirmière ont débuté un atelier cuisine hebdomadaire. Six volontaires ont été désignés pour constituer le groupe. Ce sont des résidents qui s'inscrivent dans un projet de retour à domicile, ou en résidence service (foyer logement). Hospitalisés plusieurs mois, ils doivent se réadapter à la vie extérieure. Chaque semaine, l'un d'entre eux sort de l'hôpital accompagné de l'ergothérapeute et va faire les courses pour le repas. Le patient retrouve de la confiance en lui, réapprivoise la ville. Le groupe prépare à manger. Pendant la cuisson, on bavarde, on fait travailler la mémoire : on se rappelle la recette, on discute des astuces de préparation, on s'échange des conseils...

L'atelier est convivial. Il se déroule dans un coin de l'hôpital, spécialement aménagé il y a quelques mois : une cuisine américaine et un coin repas où les résidents peuvent recevoir du monde. Ensemble, ils mettent la table et déjeunent en bavardant. « C'est très gai, un vrai jour de fête, que tout le monde attend. Et mine de rien, on retrouve toutes les étapes de la rééducation : la mémorisation, la coordination des mouvements et des gestes fins, le plaisir et le désir de manger, de partager... » Autour de la table, les langues se délient peu à peu.

Six participants, c'est peu, mais c'est suffisant pour les encadrantes, qui sortent épuisées de ces matinées : « Il faut s'occuper des patients, les stimuler, les soutenir quand ils ont une difficulté, gérer la logistique. On cherche à la fois à apporter un soutien et à encourager l'autonomie. Chacune de nous a trouvé sa place. Moi, je relance le dialogue quand je sens que l'attention se dissipe. L'ergothérapeute va plutôt faire attention à la technique : comment les patients prennent les outils en main, comment ils les utilisent... Quant à l'infirmière, elle s'occupe de tout ce qui est soin et relationnel : elle accompagne le patient, le valorise... Et surtout, quand elle voit une personne se mettre en retrait par rapport aux autres, elle prend le temps de s'en occuper. »

témoignage

La mémoire joue avec les mots

Iinfirmière en gérontologie à l'hôpital de jour Corentin-Celton, Christelle Nerbard est à l'initiative d'un atelier « langage ». Il réunit dix patients et elle l'anime avec Gaëlle Lazennec-Prévost, après l'avoir mené seule au départ. « Je cherchais un atelier qui puisse stimuler visuellement et phonétiquement certains patients. Je leur montrais des images d'objets, puis je leur demandais de trouver vingt mots qui commençaient par la même lettre. J'ai testé le jeu auprès de cinq patients, et ça a bien fonctionné. Au fur et à mesure, j'ai amélioré le concept. Puis je l'ai fait valider par le cadre et le médecin, en détaillant ses objectifs : le travail visuel et graphique, la mémoire. Je suis partie sur une visée thérapeutique, mais lorsque l'orthophoniste m'a rejointe, nous avons travaillé plus en finesse la définition des mots, les synonymes, la rareté de certains vocables, leur représentation visuelle... Le principe est resté le même - une image et vingt mots à associer -, mais nous y avons introduit des variantes : par exemple, cinq semaines plus tard, on leur montre les mêmes images, pour voir ce que les personnes ont retenu. Le groupe n'a pas changé depuis six mois, nous n'avons eu qu'un abandon, chez un patient qui n'arrive plus à écrire. On observe des évolutions sensibles : certains patients n'arrivaient pas à se concentrer, nous devions les stimuler et écrire leurs mots à leur place. À présent, ils les notent tout seuls. Leur prise en charge est relationnelle, pas technique, c'est ce que j'apprécie le plus. Et puis le binôme fonctionne bien, ce qui n'est pas toujours le cas au travail. »

contact

- Christelle Nerbard, infirmière, et Gaëlle Lazennec-Prévost, orthophoniste, hôpital de jour G II, service du Dr Mathieu, hôpital Corentin-Celton, esplanade Corentin-Celton, 92130 Issy-les-Moulineaux.

- Yasmine Thécy, orthophoniste, Valérie Arslan, ergothérapeute, Martine Bourdarias, infirmière, service de rééducation de l'hôpital Paul-Brousse, 12-14, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94804 Villejuif cedex.

Tél. : 01 45 59 32 37.