Autour du transplanté cardiaque - L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006

 

cardiologie

Conduites à tenir

Vivre avec l'organe d'un autre est une expérience difficile. Au sentiment de « renaissance » se mêlent la culpabilité et la crainte du rejet. Il est essentiel que les soignants développent des savoirs et des compétences spécifiques dans l'accompagnement de ces patients tout au long du processus de transplantation.

Le candidat à la greffe cardiaque est un patient de moins de 65 ans, souffrant d'une cardiomyopathie dilatée de stade III ou IV ou d'une cardiopathie ischémique, dont les symptômes sont réfractaires aux traitements médicaux et chirurgicaux et sont incompatibles avec une activité quotidienne minimale. Ce sont des patients dont l'espérance de vie n'excède pas dix-huit mois. 80 % sont des hommes.

ANGOISSE ET CULPABILITÉ

Le patient attend la transplantation à son domicile ou à l'hôpital. Sa situation ne souffre aucune alternative : c'est la greffe ou la mort à brève échéance. L'angoisse de mort est très forte : est-ce qu'il aura un greffon à temps ? Il peut parfois exprimer de la culpabilité d'avoir souhaité la mort d'un autre pour pouvoir survivre. La vie de famille peut être désorganisée car suspendue à l'attente de l'appel de l'hôpital...

Pendant cette période, le patient va devoir réfléchir à « comment vivre avec le coeur d'un autre » et se préparer à la perte de son propre organe. Un suivi psychologique est alors souhaitable pour aider la personne à verbaliser ses ressentis.

Au-delà de l'angoisse de mort, ce sont aussi les interrogations sur l'après-greffe : est-ce qu'il va pouvoir retrouver une vie normale ? Comment ça va se passer ?

L'information donnée par les médecins et par les soignants est indispensable mais il convient de proposer au patient de rencontrer des personnes transplantées : leurs informations et leurs ressentis auront alors une caution de vérité supplémentaire car ils sont eux-mêmes passés par cette épreuve.

Puis, un jour, c'est l'imprévisible fin de l'attente : il y a un greffon disponible. Le futur receveur se rend à l'hôpital dans les plus brefs délais. Il sait que jusqu'au dernier moment, il n'est pas certain qu'il sera greffé ; le feu vert ne sera donné que lorsque l'équipe prélevant le greffon l'aura examiné afin de dépister toute anomalie non visible à l'échographie...

Recevoir le coeur d'un autre n'est pas une mince affaire. Un organe n'est pas une simple pièce de rechange déchargée d'affects, il a appartenu à une personne dotée d'une histoire. De tous les organes, le coeur est sans doute le plus porteur de symboles : il est associé à la vie affective, aux émotions, aux actions (amour, bonté, courage, bravoure). Changer de coeur, n'est-ce pas risquer de changer de personnalité ?

ANONYMAT ESSENTIEL

Recevoir l'organe d'une personne décédée va bousculer les repères identitaires (moi/non-moi), repousser les limites (mort/vivant). Le greffé va devoir incorporer psychiquement cet organe étranger et se l'approprier, cela peut prendre beaucoup de temps.

Cette incorporation n'est possible que si le donneur reste « un autre imaginaire ». En effet, le moindre élément concernant son identité, son âge, son sexe, sa ville d'origine peut perturber ce processus car alors l'organe restera investi par celui ou celle qui l'a donné.

Selon la loi, le don d'organes doit être anonyme. Cependant, les équipes prenant en charge les transplantés connaissent souvent la provenance du greffon. Le greffé lui-même (ou sa famille) va parfois interroger les soignants pour tenter de savoir qui était le donneur. Il est alors essentiel de ne pas divulguer ces informations et d'expliquer pourquoi cet anonymat est important.

Dans les jours suivant la greffe, le patient se trouve dans un environnement protégé (réanimation, mesures d'isolement protecteur), son état général et ses capacités physiques s'améliorent. Cela génère une forte impression de renaissance, et se traduit parfois par une certaine euphorie. Plus tard, lorsque se profile le retour à domicile, le patient peut manifester de l'inquiétude, une forte dépendance à l'équipe médicale, voire un syndrome dépressif mêlant à la fois la crainte du rejet, la peur de ne pas savoir gérer son traitement, la culpabilité vis-à-vis du donneur compte tenu d'une dette lourde à porter.

En effet, cette dette est impossible à « rembourser » vis-à-vis de la famille du donneur. Le besoin d'exprimer sa reconnaissance est très fort : souvent, les greffés vont s'investir dans les associations militant pour le don d'organes et manifester ainsi leur gratitude envers leur donneur inconnu.

ACCEPTER LA GREFFE

Le rôle de l'équipe soignante est essentiel dans l'accompagnement du transplanté car elle témoigne d'une étape extraordinaire de sa vie. Le soignant doit se soumettre à un impératif de formation et d'information, tant sur la prise en charge spécifique de ces patients que sur la progression de chacun d'entre eux dans le processus d'acceptation de la greffe. La relation d'aide prend tout son sens dans cet accompagnement où l'on chemine avec le patient dans son processus de deuil et de « renaissance » : il faudra être capable d'évaluer les ressources et les limites de la personne, ses besoins de soutien, d'information, d'éducation et d'écoute, tout en associant son entourage, afin de proposer une aide adaptée et individualisée.