Journal de l'intime - L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006

 

Éliane Tan

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Rencontre avec

Éliane Tan, cadre de santé, est responsable d'un secteur de rééducation et d'explorations périnéales à l'hôpital Rothschild (Paris). Ce service prend en charge en urodynamique 60 % des patients de l'AP-HP. Hygiène intime, sexualité, les problèmes sont abordés avec tact... La jeune femme parle avec passion de son travail et avec conviction du savoir de ses infirmières.

« Ici, on traite les problèmes de pipi-caca et de sexe », ré- sume posément Éliane Tan. Mieux vaut faire simple et direct pour expliquer à un patient comment faire une toilette intime, se sonder ou apprendre à se servir d'un étui pénien... Éliane a d'abord été infirmière dans le service avant de se former comme cadre et de revenir travailler ici. « Je me positionne en tant que "consultante". Je suis référente des infirmières et elles savent qu'elles peuvent s'adresser à moi si elles ont un souci, notamment avec les appareillages très sophistiqués. Nous faisons beaucoup d'essais cliniques et j'en connais bien toutes les étapes. Et comme j'ai travaillé sur le terrain, je peux remplacer au pied levé une infirmière. Les délais d'attente pour consulter sont de six mois et l'on ne peut pas annuler un rendez-vous ! »

malades variés

Le travail du service consiste à poser un diagnostic et à proposer ensuite un traitement aux patients victimes de problèmes urinaires, ano-rectaux ou sexuels, généralement les cas les plus lourds qui n'ont pas pu résoudre leurs problèmes ailleurs. Les patients sont envoyés ici soit par le médecin traitant soit par les spécialistes : neurologue, urologue, gynécologue ou gastro-entérologue, différentes spécialités médicales qui composent également l'équipe du service. Les malades ont entre 18 et 80 ans, leur profil est extrêmement diversifié : depuis la jeune parturiente dynamique, en passant par les hommes souffrant de problèmes de prostate, mais aussi des personnes atteintes de maladies neurologiques, telle la sclérose en plaques. Le service accueille en effet de nombreux patients neurologiques lourds, affectés de handicaps physiques et cognitifs rendant encore plus complexe l'analyse et le traitement de leur vessie neurologique. « Il ne faut pas avoir peur du handicap - moteur et cérébral - pour travailler dans ce service, observe Éliane Tan. Je pense par ailleurs que ce travail convient mieux aux infirmières les plus mûres. »

discrétion et tact

Une certaine maturité est en effet indispensable, vu la nature des entretiens initiaux que mènent les infirmières pour les hospitalisations de jour. Les patients présentent des problèmes gênants : fuites d'urines ou de selles intempestives, douleurs... L'infirmière constitue le principal relais d'information tout au long de l'accompagnement. « Dès que la personne prend rendez-vous, on commence à expliquer en quoi vont consister les examens et on envoie une notice d'information. Lorsqu'elle arrive, nous l''aidons à remplir un questionnaire au cours duquel on évalue la gêne : comment sont les fuites ? Combien de fois allez-vous aux toilettes ? êtes-vous constipé ? On sait que l'ampoule rectale pleine appuie sur la vessie et crée une épine irritative... »

On le voit, l'approche est importante. Éliane, qui a longtemps pratiqué ces entretiens, en connaît les étapes et forme ses infirmières. La discrétion est de rigueur car les troubles vésico-sphinctériens, ano-rectaux et génito-sexuels obligent le soignant à entrer dans la vie très intime du patient, pour pouvoir proposer ensuite une prise en charge globale ou partielle de leur trouble. « C'est beaucoup de terrain, de finesse, d'expérience. Les fuites d'urines, de selles ou de gaz sont très dégradantes et il convient d'aborder les choses avec tact. Nous leur donnons des astuces et des conseils. Nous abordons toujours les questions sexuelles en dernier. »

binôme indispensable

La conduite thérapeutique décidée par le médecin se détermine en fonction de ce premier entretien. C'est dire si le rôle de l'infirmière dans la transmission des informations au médecin est important. Ici, le binôme infirmière-médecin s'avère indispensable. On peut aussi proposer l'orientation vers un sexologue - homme ou femme. Une neuropsychologue peut intervenir pour les patients les plus lourdement touchés, présentant des atteintes neurologiques. La douleur est prise en compte et traitée à chaque étape, notamment pour accompagner les examens, souvent attendus avec appréhension. « La douleur imaginée est très dépendante de la qualité de l'information que l'on a donnée et de l'idée que s'en fait le patient. » Les infirmières disposent d'échelles d'évaluation pour que les patients puissent exprimer leur gêne, leur qualité de vie... Une appréciation qui varie énormément d'une personne à l'autre. « Certaines femmes sont prêtes à aller jusqu'à la chirurgie après le bilan ici pour deux gouttes d'urine perdues dans la culotte... D'autres préfèrent d'abord se rééduquer et se muscler. Il convient de bien écouter les gens pour comprendre ce qu'ils souhaitent et ce qu'ils peuvent. »

auto-sondage

Les infirmières réalisent les examens urodynamiques sur des patients en consultation ou hospitalisés, et accompagnent ensuite leur suivi. L'enseignement de l'auto-sondage relève du domaine paramédical exclusivement. « On apprend aux gens à bien se nettoyer, on propose une sonde en fonction du handicap des personnes et ensuite on leur montre comment repérer le méat et poser une sonde eux-mêmes. Les femmes le font avec un miroir au départ, puis, avec l'habitude, elles y parviennent sans. » L'auto-sondage a valeur de traitement : vider et remplir la vessie constitue en effet une prévention indispensable aux infections urinaires. « Il faut que la personne accepte ce qu'on lui propose, le prenne positivement pour garantir l'efficacité du traitement. Ce premier pas est un peu difficile. Mais l'équipe est solide et les gens nous suivent. » Lorsque tous les traitements s'avèrent insuffisants, l'équipe propose des solutions plus complexes, que peu de centres expérimentent, comme, par exemple, l'injection de toxine botulique dans la vessie ou la neuromodulation (implantation d'une électrode au niveau de la racine sacrée).

savoir-faire à valoriser

éliane parle avec passion de son travail, combinant technique et psychologie. Lors des réunions de service, infirmières et médecins comparent dans une parfaite équité des rapports l'efficacité d'une nouvelle sonde ou d'une nouvelle machine. L'équipe s'apprête à recruter et à s'agrandir, et Éliane Tan souhaiterait que le savoir-faire infirmier soit davantage valorisé, « que les protocoles soient écrits et que notre pratique soit labellisée... L'infirmière a assez d'expertise pour pouvoir suivre et conseiller ! »

moments clés

- 1967 : naissance

- 1991 : obtention du diplôme d'État

- 2003 : cadre de santé à La Pitié-Salpêtrière (Paris), elle réalise son mémoire sur le rôle du cadre dans ce type de service, où médecins et infirmières travaillent en binôme.