« Les besoins sont énormes » - L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006

 

Psychiatrie

Questions à

Gérard Massé, responsable de la Mission nationale d'appui en santé mentale, veut que la psychiatrie s'articule mieux au secteur médico-social, sans s'isoler du soin médicamenteux.

Pensez-vous que l'évolution actuelle de la psychiatrie aille dans le bon sens ?

Une grande partie des professionnels de la psychiatrie semble avoir peur des propositions actuelles liées à son évolution, à savoir d'une part son articulation avec le social et le médico-social, et d'autre part son évaluation. Ces craintes ne sont pas justifiées. La psychiatrie n'a jamais travaillé seule et la politique de secteur était, dès ses débuts, synonyme de psychiatrie sociale et de travail en réseau. Passer de la psychiatrie à la santé mentale va dans le sens de l'évolution de la souffrance psychique, qui est elle-même un reflet de l'évolution sociétale.

Le plan Santé mentale annoncé le 4 février 2005 répond-il aux attentes du secteur ?

Le plan Santé mentale est une opportunité à saisir. La question est de savoir quel projet nous voulons soutenir : ainsi, les moyens financiers doivent-ils être investis dans la rénovation d'anciens hôpitaux, ou doivent-ils aller vers le développement de l'extra-hospitalier ? Encore aujourd'hui, le raisonnement dominant en psychiatrie est l'hospitalocentrisme. Si ce sont les institutions et non l'usager qui déterminent l'évolution du système, les scénarios risquent d'aller dans le mauvais sens.

Quelles sont les priorités actuelles ?

Les soins psychiatriques représentent une part croissante de la demande de soins dans les pays développés : 24 à 27 % dans les pays européens. L'activité des soins et la file active ont augmenté. Cela signifie que les gens sont mieux soignés. Cependant, ces constats impliquent un développement de l'extra-hospitalier, qui devra être mieux articulé avec l'intra-hospitalier. L'unité mobile d'urgence psychiatrique intersectorielle Éric (Équipe rapide d'intervention de crise) est un bon exemple de ce qui pourrait être fait à un niveau national. Le coût serait modeste et ce type d'équipe permettrait d'assurer un relais entre l'intra et l'extra.

L'évolution des métiers est un autre élément incontournable. Psychiatres, psychologues, infirmiers, assistantes sociales... La démographie de ces différentes professions évolue. Il faut anticiper ces variations et les réguler par un transfert de compétences vers les psychologues et les infirmiers de santé mentale.

Lorsqu'ils sont expérimentés, ils sont au moins du niveau de la psychothérapie de soutien et, la plupart du temps, le besoin des usagers est psychothérapeutique. Les psychiatres ne peuvent pas tout faire. Il faudrait par exemple reconnaître le statut des psychologues-psychothérapeutes et instituer une consultation remboursée par la Sécurité sociale !

Le rôle des médecins généralistes - qui sont en première ligne - et leur formation devraient également être repensés.

Enfin, le problème de la formation initiale qui ne prépare pas au métier reste intact. Je suis pour le diplôme unique. Cela dit, la psychiatrie n'a pas le poids qu'elle devrait avoir dans le cursus. Je suis aussi pour le retour des sciences humaines - sociologie, anthropologie - dans la formation initiale. Si vous n'avez pas une culture générale très large, vous ne pouvez pas faire un bon soin.

La question de l'évaluation en psychiatrie est-elle taboue ?

Elle est nécessaire car étroitement liée à la question des moyens. La psychiatrie n'a pas les armes pour se défendre car il n'y a pas d'évaluation des pratiques, or les besoins sont énormes et sous-évalués. Pourtant, en psychiatrie comme en somatique, les effets sont repérables. Certains patients vont être « lourds » et chroniques - comparables aux patients insuffisants rénaux par exemple - et vont représenter un coût important, d'autres non. Évaluer ne veut pas non plus dire discréditer ses voisins ! La polémique relative au rapport Accoyer est de trop : qui peut dire aujourd'hui que les médicaments soignent tous les problèmes, ou que la psychothérapie règle tout ? C'est la conjonction des soins qui donne les meilleurs résultats.

Comment expliquer la morosité actuelle du secteur ?

Nous vivons aujourd'hui une situation de crise, au niveau du pays et de notre discipline, car les valeurs de l'individualisme et de la résistance à la règle sont centrales, ce qui explique d'ailleurs la difficulté à réformer le pays. Il faut croire en ce pays qui a toujours fonctionné par crises. On ne se réforme pas dans le calme. Le consensus mis en place en 1968 ne tient plus. Aujourd'hui, il faut s'interroger. Qu'est-ce que la société attend de nous ?

Gérard Massé

Chef de service au centre hospitalier Sainte-Anne, à Paris.

> Responsable de la Mission nationale d'appui en santé mentale.

> Publication du rapport La psychiatrie ouverte, adressé au ministère de la Santé, ENSP, 1992.

> Directeur de publication du journal Nervure.