Les droits de l'homme menacés par le H5N1 ? - L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006

 

Pandémie grippale

Éthique

La justice et l'humanisme sont-ils solubles dans l'urgence sanitaire ? L'Espace éthique de l'AP-HP consacre quatre colloques aux enjeux sociaux d'une pandémie grippale(1).

« La question n'est plus de savoir si, mais de savoir quand. » Pour Emilio Mordini, professeur de bioéthique à l'université de Rome La Sapienza et directeur du Centre pour la science, la société et la citoyenneté, la pandémie grippale n'est plus aujourd'hui une hypothèse mais une certitude.

risque de dérapage

Dans ce contexte, la France a mis sur pied en janvier dernier un plan gouvernemental de prévention et de lutte(2). Mais, outre le défi de santé publique que représenterait la propagation d'un virus tel que le H5N1, cette question porte en elle des problèmes éthiques jusqu'ici peu abordés. William Dab, ancien directeur général de la santé, auteur en 2003 de la première version du plan, n'a pas nié que ses aspects éthiques avaient été évacués « au profit d'une démarche pragmatique ». Aujourd'hui professeur de la chaire hygiène et sécurité au Conservatoire national des arts et métiers, il admet qu'on ne peut plus faire l'économie d'un tel débat, d'autant que les conséquences d'une épidémie de ce type s'apparenteraient « à un état de guerre. » Avec tous les risques de dérapage que cela implique.

débat citoyen

Ces colloques sont le prolongement d'une plate-forme de veille initiée il y a quelques mois par le département de recherche en éthique de l'université de Paris-Sud XI, en partenariat avec l'Espace éthique, qui a souhaité « créer les conditions d'une approche pluridisciplinaire des enjeux éthiques et sociaux de la pandémie grippale »(3). Cette collaboration a, entre autres, donné lieu à la publication de PandÉmiqueS, pour « Pandémie », « Éthique », « Société ». Le n°1 rassemble des contributions qui insistent sur la nécessité d'ouvrir un débat national sur la question. « Comment déjouer les stratégies du pire, éviter que l'état d'exception justifie les arbitraires ? demande Emmanuel Hirsch, directeur de l'Espace éthique. Selon quels critères la vie d'une personne sera privilégiée au détriment d'une autre ? Qu'en sera-t-il des droits et du sort des personnes placées en quarantaine ? » Le défi éthique est lancé.

1- Prochains rendez-vous : accès aux soins et aux traitements, le 26 janvier 2007 ; droits et devoirs des professionnels, le 22 juin 2007 ; mobilisation de la société, le 21 septembre 2007.

2- Cf. Les soignants face à la grippe aviaire, L'Infirmière magazine n° 211, décembre 2005, pp. 26-31.

3- Sur Internet : http://www.espace-ethique.org/fr/grippe.php.

TÉMOIN Françoise Pellaë

« Nous ne pourrons pas soigner tout le monde »

« Je prépare le master de qualité et gestion des risques à l'université de Paris V. Dans ce cadre, j'ai abordé les risques liés à la pandémie grippale. J'étais donc sensibilisée au sujet, indique Françoise Pellaë, cadre de santé du département de biothérapie de l'hôpital Necker. Ce type de rencontre permet de prendre du recul par rapport à notre pratique quotidienne, d'autant que l'univers hospitalier, aujourd'hui en pleine restructuration, laisse peu de temps pour appréhender les possibles bouleversements associés à une pandémie mondialisée. Je suis assez confiante en la capacité des soignants à faire face, d'un point de vue éthique, à la prise en charge des personnes. Nous sommes marqués par une culture de service public qui veut que l'on accueille et que l'on soigne tout le monde. Mais dans le contexte épidémique dessiné, nous n'aurons pas cette possibilité et serons donc confrontés à des choix. Des établissements, comme le mien, réfléchissent à ces problématiques mais les professionnels devraient, sans doute, être mieux informés pour les anticiper. »