Plein cap sur l'urgence - L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006

 

l'équipe du Cap 48

24 heures avec

Dans les cas d'associations pathologiques somatiques et psychiatriques, que soigner en priorité ? À Aix-en-Provence, le Cap 48 prolonge le service d'accueil et d'urgence de l'hôpital général.

C 'est un symbole de la longue évolution du secteur psychiatrique et des urgences générales. Le Cap 48, pour « centre d'accueil permanent pour quarante-huit heures », est un cap de l'espérance pour certains, un cap du bout du monde pour d'autres. C'est aussi la concrétisation du désenclavement de la psychiatrie, idée forte de la politique de santé mentale depuis les années 60.

Stigmatisation

L'entrée des urgences psychiatriques au sein de l'hôpital est un grand pas en avant, au regard de l'histoire de la médecine. Tout le passé de la psychiatrie peut se résumer en un mot : stigmatisation. Stigmatisation de la psychiatrie au sein des disciplines médicales, stigmatisation des établissements psychiatriques longtemps construits à l'écart des villes, stigmatisation et isolement des patients, ces marginaux qui font peur à la société.

Le somatique d'abord

Le Cap a acquis sa structure actuelle en 1998 : huit chambres et une équipe coordonnée par le Dr Baldo, composée de quatre médecins, de dix postes d'infirmiers à temps plein, d'un poste et demi d'infirmier de liaison, de huit postes d'infirmiers de nuit, d'un cadre supérieur et d'un cadre de santé.

Tous les patients reçus au Cap 48 passent d'abord par les urgences générales dirigées par le Dr Kiegel, exception faite des personnes adressées directement au Cap par leur médecin traitant. La règle de fonctionnement est la suivante : c'est seulement une fois l'urgence somatique traitée qu'un patient est transféré au Cap 48. La nécessité d'une règle de fonctionnement comme celle-ci au sein des urgences est vitale à l'organisation des équipes et du travail. « Il faut que le patient soit disponible lors de l'entretien psychiatrique. S'il est tracassé par une sonde ou une douleur physique importante, il ne sera pas vraiment avec nous », remarque Raphaël Sablé, infirmier. Le Cap 48 reçoit principalement des personnes souffrant de troubles psychiatriques aigus liés à des pathologies psychiatriques, celles qui sont victimes de troubles médico-psychologiques intriqués (toxicomanie, alcool, tentative de suicide) et celles qui présentent des crises émotionnelles aiguës déclenchées par un événement traumatique récent.

Portes ouvertes

Il est à peine 10 heures du matin et déjà, les urgences générales sont surchargées. Côté Cap 48, c'est plutôt calme. Pourtant, une jeune fille hospitalisée au Cap interpelle au hasard les personnes qu'elle croise dans le couloir. Daniel Heymès, infirmier, la suit de loin et ferme les portes qui délimitent le Cap 48 du couloir menant aux urgences somatiques. « Cette jeune fille délirante montre les signes d'une problématique qui la déborde. Elle n'a plus de barrières, ce qui nous donne une indication sur les failles de son enveloppe psychique. » Ce débordement peut être vécu en identification projective par les soignants, c'est-à-dire qu'ils se sentent habités par quelque chose qui ne leur appartient pas.

Travailler la crise

Leur attitude clinique se décompose en quatre temps : recevoir ce qu'exprime le patient, garder ces émotions, les transformer par un travail d'élaboration et les restituer de manière non violente au patient. « Les portes du Cap 48 sont fermées principalement dans deux cas : pour contenir un patient agité, ou en présence d'un adolescent, puisque nous sommes légalement responsables de lui. Sinon, elles restent ouvertes. Les portes délimitent le Cap du reste du monde. C'est dans cet espace que la crise peut s'exprimer, s'apaiser, se travailler », insiste Nicole Taliana, cadre de santé du Cap 48.

Orientation du patient

Tandis qu'elle rassure une ex-patiente au téléphone, lui explique que le psychiatre ne peut la recevoir en consultation car le Cap n'assure pas de suivis, et lui donne les coordonnées du centre médico-psychologique, Thierry Alberti, infirmier, organise l'orientation décidée pour un patient. Après avoir contacté plusieurs cliniques spécialisées pour s'informer des places disponibles, il lui trouve une place. Afin de préparer son arrivée dans l'établissement, il faxe divers documents, puis téléphone à des entreprises de transport médicalisé afin d'assurer le transfert du patient des urgences psychiatriques à la clinique. Dernière étape à régler : les détails concernant sa prise en charge financière, c'est-à-dire la Sécurité sociale et la mutuelle.

Selon l'évaluation faite par l'équipe du Cap, plusieurs orientations sont possibles. D'abord, le retour à domicile avec ou sans prise de contact avec le CMP, ou avec un psychiatre privé, ou encore avec le médecin traitant. Si l'état du patient ne s'améliore pas, il est orienté vers une hospitalisation en clinique ou au centre hospitalier Montperrin. C'est le cas d'environ 30 % des personnes qui passent par le Cap. Dernière possibilité, le patient est hospitalisé en service de soins somatiques et sera vu par l'infirmière de liaison du Cap 48.

Liaison

L'infirmière de liaison du Cap 48, c'est Christiane Marsaud. Elle décroche le téléphone. Au bout du fil, le service de neurologie. « Je fais le lien entre la psychiatrie et les services somatiques. Par exemple, un patient diabétique peut avoir des problèmes psychiatriques que les soignants du service ont du mal à prendre en charge. Après un premier entretien, j'informe le psychiatre de la situation. » En 2004, le nombre de passages enregistrés par la psychiatrie de liaison dans les services somatiques a atteint 725. « Et ce n'est pas le travail qui manque », soupire Christiane Marsaud.

13 heures, c'est le moment de la relève infirmière, de la transmission entre l'équipe du matin et celle de l'après-midi. Raphaël Sablé et Élisabeth Baldo, médecin coordinateur de la Fédération accueil urgences de psychiatrie de liaison (réunissant le Cap 48 d'Aix, le Cap 48 de Salon ainsi que l'accueil soignant du CH Montperrin) sont penchés sur le dossier d'une patiente et discutent de la marche à suivre pour la journée : évolution de son état, soutien des proches, et réadaptation du dosage du traitement.

Urgences générales

Christophe Bonnet, médecin assistant aux urgences somatiques, appelle Zara Ferrière, médecin assistante au Cap48. Une femme a été amenée par la police aux urgences pour troubles de l'ordre public. D'après un premier examen aux urgences, elle est calme et ne semble ni alcoolisée ni sous l'emprise de substances toxiques. Zara Ferrière et Daniel Heymès accompagnent la patiente au Cap et la reçoivent immédiatement en entretien.

Lors de l'entretien, les propos de la patiente sont cohérents. Le binôme médecin-infirmier décide de la garder en observation. La patiente est accompagnée à sa chambre et Daniel lui explique le fonctionnement du Cap : le patient rencontre au moins deux fois par jour le médecin et plusieurs fois par jour les infirmiers. Les familles sont également reçues par l'équipe soignante.

« Temporalité »

« La notion de l'espace-temps est capitale dans la chaîne du soin en général, aux urgences somatiques et au Cap 48 en particulier, analyse Raphaël. Lorsque nous sommes appelés par les urgences somatiques, le temps et l'action y sont accélérés par rapport au Cap 48. Nous devons nous adapter à cette vitesse puis décélérer de retour au centre. La temporalité est tellement notre leitmotiv que lorsque nous repassons la porte du Cap 48, nous ralentissons le pas. » « Le temps peut être aussi accéléré lors d'un épisode maniaque, ajoute Daniel. Il ne faut pas se laisser happer. Le temps, au Cap, est un temps de traitement de la crise qui peut éviter une hospitalisation. Il permet au patient de se poser et de passer un cap difficile. »

Nicole explique : « Il faut savoir prendre son temps dans l'urgence psychiatrique. L'essence de notre travail est la temporisation. Il faut réintégrer la crise dans l'historicité de la personne. On peut aller vite avec un patient, quitte à revenir vers lui dans un deuxième temps. En psychiatrie, le temps constructeur est une scansion, une respiration. Le patient a besoin d'un temps d'élaboration pour que le travail de l'inconscient se fasse. Si nous multiplions le nombre de rencontres avec le patient, c'est dans une optique d'observation clinique du patient et de réassurance. Nous devons pouvoir répondre à cette question simple : l'état du patient a-t-il évolué au cours de la journée ? »

Le Dr Baldo poursuit : « le temps de l'urgence, c'est tout, tout de suite ! Nous redonnons au temps sa dimension : passé, présent, futur, pour que le sujet se repositionne dans une perspective temporelle. »

Réassurance

Le rôle infirmier consiste aussi à expliquer au patient son projet thérapeutique afin qu'il y adhère. Cette approche se fait par petites étapes pour que le processus psychique se passe bien. C'est un travail d'observation clinique dans le temps.

Voisin « persécuteur »

Un peu plus tard, le mari de la femme amenée par la police, contacté par l'équipe, arrive au Cap 48 et raconte l'historique des troubles de sa femme. Depuis deux ans, elle serait victime d'un persécuteur : son voisin. Elle ne le connaît pas et a pourtant des hallucinations cénesthésiques : il l'obligerait à s'habiller d'une manière particulière, il lui imposerait des tâches. Lors du deuxième entretien avec cette femme, la patiente a un contact étrange avec les soignants, ses réponses sont incohérentes, elle a des mimiques inadaptées à la situation et a l'air d'avoir peur. Ces troubles ressemblent fort à la manifestation d'une psychose hallucinatoire chronique.

16 h 45. Le Dr Baldo et Sarah Dugier, infirmière, reçoivent un patient. Celui-ci a été adressé par le médecin du travail. Il tient un discours incohérent et semble avoir bu. Sa situation familiale est difficile, il est violent. Des recherches indiquent que le patient est connu de Montperrin. Il est conduit à sa chambre. Rien n'est décidé à chaud, il sera évalué le lendemain.

Relève

Les téléphones sonnent dans le bureau infirmier. La voix rassurante de Nicole se mêle à celle de Raphaël, qui gère l'arrivée imminente d'une personne en crise. Il est 18 heures, le couloir du Cap est calme. Le médecin de garde prend la relève.