Portes ouvertes sur la folie - L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 221 du 01/11/2006

 

psychiatrie

Reportage

Au sein de l'hôpital psychiatrique d'Aix-en-Provence, le 3bisF, une salle d'art contemporain, propose des rencontres improbables entre le monde des internés et celui des visiteurs.

F comme femmes, F comme folie, F comme fermé. Le 3bisF était le numéro du pavillon fermé de contention, réservé aux femmes, au sein de l'hôpital psychiatrique de Montperrin, à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Qui aurait prédit qu'il deviendrait un lieu de rencontre entre l'art et la psychiatrie ?

Interface

Les portes de cet espace, créé en 1992, sont ouvertes, à l'image de l'esprit du lieu, qui confronte les points de vue et les populations. La frontière entre dedans et dehors est abolie. Les ateliers rassemblent des personnes issues de l'extérieur ou des patients. Et lorsque ces derniers s'y déplacent, ce n'est pas dans une logique de soins. Pour eux, le 3bisF est une fenêtre vers le dehors.

« Nous portons en permanence ce gros trousseau de clés, même si c'est un lieu ouvert. Elles représentent un vestige de l'époque asilaire. » L'anecdote est de Hamid Belgacem, infirmier de secteur psychiatrique au 3bisF depuis 1996. « Quand on arrive ici en tant qu'infirmier de secteur psychiatrique, il faut se détacher de beaucoup de réflexes, car nous sommes en dehors du contexte des personnes hospitalisées. Et pourtant, nous sommes aussi en prise directe avec le tout-venant de l'intérieur de l'hôpital comme de l'extérieur. Ici, les infirmiers ont un rôle d'interface entre les patients de l'hôpital, les artistes en résidence au centre et le public de l'extérieur. »

« Fragilisant »

Un grand bureau ouvert rassemble toute l'équipe du 3bisF. La journée de travail est ponctuée par les entrées et sorties de patients qui passent souvent sans but précis. Peut-être viennent-ils inconsciemment vérifier que ce lieu n'est pas une divagation de leur esprit ? « Ici, la routine n'existe pas, la prise de risque est quotidienne, raconte Hamid Belgacem. C'est fragilisant, mais très enrichissant, car c'est aussi l'ouverture à différents champs, humains, sociaux, artistiques... Les patients ne sont plus perçus en fonction de leurs symptômes mais dans toute la sensibilité de leur personne. On a abandonné tous les automatismes, on est avant tout dans l'humain. Nous travaillons sur la désaliénation de l'autre. Chaque patient a des potentialités impressionnantes, cela rend modeste. »

Questionnements

Espace hors temps, hors norme, le 3bisF interpelle. L'équipe est à l'image de cet espace atypique. « Bipolaire », dit Hamid Belgacem. Pas au sens maniaco-dépressif du terme, mais dans celui du mélange des métiers et des compétences : santé, communication, culture et arts fonctionnent ensemble. Marie-Louise Botella, responsable de la communication et de l'art visuel, et Sylvie Gerbault, directrice du centre, travaillent sur la programmation transdisciplinaire (théâtre, danse, musique et arts visuels) main dans la main avec deux infirmiers. Les artistes résidents doivent présenter un projet mêlant leur art, l'hôpital psychiatrique et la folie. Les différents ateliers et performances artistiques sont donc autant de questionnements sur la perception de l'autre, l'enfermement, la maladie mentale, le conformisme.

La preuve par le clown

L'imagination des artistes est parfois déconcertante. Lorsqu'on tombe nez à nez avec Proserpine, par exemple. Cette apparition clownesque au visage peinturluré, aux chaussures démesurées et aux loques bariolées n'a pas froid aux yeux, et ne se dégonfle pas face à des patients parfois agressifs. Proserpine défie du regard, et de sa voix rauque et métallique engage une conversation presque intime, tout en faisant quelques pas dans les allées de l'hôpital Montperrin. Devant ce clown, qui déambule le plus naturellement du monde, personne ne reste indifférent.

Proserpine est ce personnage créé par Caroline Obin en réaction au manque de lien entre les corps de métier, entre les milieux sociaux. « Plus qu'un déguisement, Proserpine va dans le sens de la revalorisation de la notion d'échanges d'idées, de revendications et de diversité. » Elle a un rôle de révélateur : miroir par identification ou réflecteur par comparaison. Le clown est le réceptacle d'un vécu analysé par la suite avec l'aide d'un sociologue puis joué et filmé avec un vidéaste, et enfin imagé plastiquement.

Angoisse

Au travers du spectacle ça me laisse sans voix, Olivier Thomas, scénographe et concepteur du projet, raconte la dérive paranoïaque d'un homme angoissé, métaphore d'une réflexion sur l'enfermement.

L'action prend place dans la réplique miniature d'un appartement sans couleur. Sur fond sonore d'un documentaire sur la vie des insectes, un homme seul, avec une poupée gonflable pour toute compagnie, craint qu'on lui vole sa pomme, unique touche de couleur dans ce monde terne.

« C'est avant tout l'expression la plus actuelle de l'exercice de la parole, c'est-à-dire l'absence de parole. Et puis, c'est l'interprétation théâtrale de symptômes liés à toute réflexion contemporaine : la pensée unique, le manichéisme, l'absence de nuance et de relativité », explique Olivier Thomas.

Maquette

Comment se réapproprier un lieu comme le 3bisF ? L'artiste Alain Rivière répond avec une maquette, exacte réplique au 1/8e du couloir reliant l'entrée et la pièce principale. Il s'agit du même couloir, vu autrement. Les visiteurs peuvent intervenir de différentes manières sur la maquette. Certains passent une main par l'une des portes, d'autres collent un oeil d'espion. Le décalage d'échelle est saisissant.

Après une longue histoire d'enfermement, le 3bisF redonne sa liberté à la folie en faisant tomber les murs de l'institution et en laissant les différents publics s'interroger et rêver dans un lieu qui semble suspendu dans le temps et l'espace.