Générations croisées - L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006

 

Lien social

Du côté des associations

Quand les têtes blondes côtoient les crânes dégarnis, tout le monde s'enrichit. Aux Parentèles, « Ensemble demain » retisse le contact entre les âges.

C'est jour de fête à la maison de retraite des Parentèles, dans le XXe arrondissement de Paris. Cet après-midi, les pensionnaires attendent la visite des élèves de CE1-CE2 de l'école élémentaire Tomasi et ceux de la classe d'intégration scolaire (Clis) de l'école Mouraud. Dans la salle commune, une quinzaine de vieilles dames guettent l'arrivée des petits. Au même moment, dans la rue, des enfants suivent bruyamment trois institutrices. Devant la maison de retraite, ils écoutent les consignes : « on monte au 6e, vous ne courez pas dans les escaliers, vous ne criez pas. On va passer juste à côté des chambres où les personnes âgées font la sieste », explique Carole Gadet, 34 ans, à l'origine de ce partenariat entre la maison de retraite des Parentèles et l'école Mouraud. L'aventure remonte à 1999. Après plusieurs années d'engagement humanitaire et un mémoire sur la transmission orale dans les sociétés africaines, l'institutrice cherche un moyen d'agir concrètement pour que les liens distendus entre les générations soient recréés. D'où l'idée d'organiser des ateliers pédagogiques favorisant les échanges entre élèves et personnes âgées. Forte de six années d'expériences réussies avec des classes de tous niveaux, la jeune femme crée en 2005 « Ensemble demain(1) », pour développer des partenariats intergénérationnels entre établissements scolaires et structures d'accueil de personnes âgées. Aujourd'hui, 45 classes, de la maternelle au collège en passant par des Clis et des Clin (classes d'initiation pour enfants non francophones), deux maisons de retraite, deux clubs du 3e âge et des associations de retraités du XXe arrondissement de la capitale sont impliqués dans le projet « Intergénération » soutenu par l'Éducation nationale. Depuis la rentrée 2006, Carole Gadet en est la coordinatrice en tant que chargée de mission pour le Réseau d'éducation prioritaire.

bisous et orangeade

Mayalen Manescau, 27 ans, animatrice aux Parentèles, a vite été séduite par les « ateliers intergénérations » : « ça marche très bien ». Quand les enfants sont là, « les personnes âgées ne sont plus tournées vers la plainte, elles cessent de se focaliser sur leurs médicaments ou de demander toutes les cinq minutes à quelle heure on mange », relève-t-elle. Entre enfants et personnes âgées, la bienveillance est réciproque. Les uns veillent à parler fort et distinctement, les autres commandent « une orangeade » pour leurs visiteurs. Fauteuils roulants, tremblements, visages ridés ou cheveux clairsemés : les jeunes s'accommodent très bien des attributs de la vieillesse. Ils ne sont pas avares de bisous et autres caresses, une communication non verbale essentielle pour les personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives.

de 7 à 97 ans

Mais au-delà de cette tendresse, Carole Gadet tient à ce que les échanges puissent servir de support à une exploitation pédagogique, en fonction des programmes scolaires propres à chaque niveau. C'est pourquoi les ateliers doivent être « hyperstructurés », prévient-elle, d'où la nécessité d'un important travail de préparation en amont. Parce qu'« on n'est pas dans une cour de récréation », les enfants doivent respecter des règles et sont invités à tirer un maximum d'enseignements de ces deux heures. Les institutrices organisent des petits groupes mixtes de cinq ou six personnes, de 7 à 97 ans, voire plus... Et même quand l'atelier tourne autour des jeux de société, l'aspect pédagogique finit toujours par affleurer. Au détour d'un loto sur les métiers anciens, par exemple. Potier, dentellière, lavandière : les vieilles dames racontent. Les souvenirs remontent, la transmission se fait. L'accent est mis sur l'éducation civique et l'histoire. « Quand j'étais petite, se souvient une pensionnaire d'origine polonaise, les filles et les garçons étaient dans des écoles séparées. Et quand on ne savait pas répondre, la maîtresse nous faisait approcher et frappait nos doigts avec une règle de fer. »

sujet grave

Les personnes âgées sont fières de transmettre un savoir aux enfants. « Ça leur restitue un rôle social qu'elles ont tendance à perdre en maison de retraite », explique l'animatrice. « Ça leur permet également de créer du lien entre elles : elles partagent ce moment privilégié, elles rigolent et continuent à se fabriquer des souvenirs qu'elles peuvent ensuite raconter à leur famille. Elles sont beaucoup plus gaies après la visite des enfants », conclut-elle. « Ça nous met de l'animation ! J'en sors toute décontractée », confirme Alice, 85 ans. « Ça nous rajeunit », renchérit sa voisine. Reste que les enseignants ne sont pas tous à l'aise à l'idée d'emmener leur classe au contact de très vieilles personnes. Ensemble demain entend donc former les professeurs à cet exercice. « C'est un sujet trop grave pour les adultes que de les confronter à leur propre finitude », explique Geneviève Arfeux-Vaucher, psychologue-clinicienne à la Fondation nationale de gérontologie. « Il faut prendre le temps de travailler sur ces réticences pour que le bénéfice soit réel, tant pour les enfants que pour les personnes âgées. »

1- 100, rue d'Avron, 75020 Paris.

Mél : ensembledemain@caramail.com

Articles de la même rubrique d'un même numéro