La psycho-oncologie - L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006

 

soins

Cours

Émergente mais reconnue par les pouvoirs publics, la psycho-oncologie s'impose dans les services de cancérologie au même titre que les soins techniques. Ce soutien psychologique vise à accompagner les patients, à prévenir et à traiter les répercussions négatives de la maladie sur leur psychisme. Les infirmiers en sont les acteurs mais aussi parfois les bénéficiaires.

ÉTAT DES LIEUX

Définition. La psycho-oncologie peut se définir comme « l'étude et la prise en compte des interactions entre le psychisme des patients et les profondes mutations existentielles que leur imposent le diagnostic du cancer, l'incertitude et la menace vitale qu'il induit, les traitements (mutilations réelles ou symboliques), la guérison (le malade doit recouvrer un nouveau statut), la chronicisation (elle est source de nouvelles angoisses) ou les étapes qui précèdent la mort ».(1) Son développement, relativement récent, répond à la nécessité de prévenir et de traiter les répercussions négatives de la maladie sur le psychisme du patient, en proposant un accompagnement adapté à ses besoins et à ceux de ses proches. Elle a pour objectif d'améliorer la qualité de vie des patients, leur bien-être physique, psychosocial et existentiel, et enfin de renforcer et soutenir leurs capacités d'adaptation, en améliorant les relations interpersonnelles et la communication avec l'équipe soignante.

Historique.

Les origines. La psycho-oncologie a émergé en France dans les années 1960 avec la création des premières vacations de psychiatrie en hématologie pédiatrique (hôpital Saint-Louis, AP-HP, 1960) et au centre anticancéreux de Villejuif(2) (1967). Alors qu'elle s'impose rapidement dans les pays anglo-saxons comme discipline oncologique, son développement reste laborieux en France, malgré la création en 1975 de l'Association psychologie et cancers (devenue Société française de psycho-oncologie) et, en 1984, du premier enseignement de psycho-oncologie à Marseille.

La légitimation. En fait, il faut attendre 1998 et les premiers états généraux du cancer, organisés par la Ligue nationale contre le cancer (LNCC), pour que les besoins en termes de soutien psychologique des malades soient clairement énoncés et la psycho-oncologie légitimée. Cette manifestation, destinée à recueillir l'opinion des malades sur leur prise en charge, confirme les insuffisances constatées de façon concomitante par les résultats de l'étude qualitative Comète sur la perception du cancer par les soignants, les malades et leurs proches. L'étude révèle « un déficit criant d'informations intelligibles, transparentes et adaptées et un manque de communication entre l'équipe soignante, le malade et son entourage. De plus, qu'il s'agisse des patients, de leur famille ou des soignants, tous expriment unanimement un besoin non satisfait en soutien psychologique ». De toute évidence, les progrès thérapeutiques accomplis dans la prise en charge des cancers n'ont pas, ou pas suffisamment, pris en compte la composante psychologique de la maladie. Un constat face auquel les pouvoirs publics ont vraiment pris conscience de la nécessité de reconnaître cette discipline comme une « sous-spécialité » de l'oncologie et de lui allouer des moyens financiers spécifiques(3).

Le Plan cancer 2003-2006. « Même si d'importants progrès restent à faire pour généraliser l'approche psycho-oncologique dans tous les services prenant en charge des malades atteints de cancer, explique le Dr Sylvie Dolbeault, responsable de l'Unité de psycho-oncologie de l'Institut Curie, le Plan cancer 2003-2006 aura eu le mérite de légitimer la place de la prise en charge psychologique dans le champ de la cancérologie moderne. Aujourd'hui reconnue comme un soin de support à part entière, elle a bénéficié de crédits plus importants qui, même s'ils restent très insuffisants par rapport aux besoins, ont permis de faire un grand pas en avant. Par ailleurs, la généralisation du dispositif d'annonce, permettant à chaque patient, au moment où il apprend sa maladie, de bénéficier de meilleures conditions d'information, d'écoute et de soutien (voir encadré), montre que l'accompagnement psychologique des patients atteints de cancers est désormais ancré dans les pratiques. »

Une nouveauté ? Pour les infirmiers, cela ne fait que structurer officiellement une démarche de soins qu'ils assumaient déjà. Ils ne cachent toutefois pas leur satisfaction de voir cette dimension capitale des soins enfin prise en compte au même titre que les soins techniques. « Si les protocoles de soins se recoupent souvent d'un patient à l'autre, commente Bernadette Smutek, infirmière principale de l'hôpital de jour de l'Institut Curie, en revanche la prise en charge psychologique des patients confronte chaque fois à une relation singulière et unique qui fait la spécificité de notre travail. »

Une spécificité qui tient au fait que les patients ne réagissent pas de façon univoque, chacun abordant cette maladie en fonction de son histoire, de sa personnalité, de ses valeurs et de son rapport à la mort.

UNE CRISE À RÉACTIONS MULTIPLES

Un soulagement. Certains malades trouvent dans la maladie l'occasion de transformer ce temps de régression en un réel travail de remaniement psychique, qui les met dans des dispositions positives pour affronter le cancer. « Il arrive en effet que des personnes plutôt mal dans leur vie, angoissées, tourmentées, décentrées par rapport à elles-mêmes, reçoivent le diagnostic comme un soulagement, indique Josette Olier, psychologue(4). Que ce malaise puisse tout à coup être nommé, fut-ce du nom de "cancer", leur apporte paradoxalement un soulagement : le mal étant repéré, elles y trouvent un point d'ancrage et vont pouvoir s'organiser dans la lutte à mener contre l'ennemi désigné. »

Une perte de contrôle. Toutefois, dans la grande majorité des cas, l'annonce du cancer donne au patient le sentiment de perdre tout contrôle sur sa vie. « Elle constitue un traumatisme, un acte de violence et génère un sentiment d'injustice intolérable qui engendre une sidération, puis un effondrement moral et un sentiment d'anéantissement », ajoute la psychologue. En effet, comment vivre quand l'avenir semble assujetti à la maladie ? Certains malades ne parviennent pas à surmonter cette incertitude et cette insécurité psychique. Chaque nouvel événement (chirurgie, fatigue, infection, report de chimio) est alors vécu comme une agression insupportable face à laquelle il doit trouver les ressources psychiques nécessaires pour s'adapter.

Une « épreuve ». « Les données récentes dont nous disposons dans la littérature, commente le Dr Dolbeault, indiquent que 50 % des patients touchés par le cancer parviennent, au prix d'un certain nombre de crises et d'efforts d'adaptation, à traverser cette épreuve en puisant dans leurs ressources personnelles et celles de leurs proches. Pour l'autre moitié des patients en revanche, les troubles psychopathologiques nécessiteraient théoriquement le recours à une prise charge spécialisée. »

Des troubles. Environ 30 % des malades présentent ponctuellement, par phases plus ou moins longues, des troubles de l'adaptation caractérisés par la présence de symptômes dépressifs et/ou anxieux, pouvant donner des tableaux assez bruyants sur le plan clinique. « Il s'agit généralement de troubles réactionnels, précise le Dr Dolbeault, qui, la plupart du temps, évoluent assez rapidement avec ou sans l'intervention d'un psychologue ou d'un psychiatre. » En revanche, les 20 % restants sont des patients présentant des troubles plus structurés (dépression, troubles anxieux graves, troubles psychotiques, confusion mentale souvent associée aux traitements, troubles de la personnalité...) réclamant une prise en charge psycho-oncologique spécialisée.

Un besoin psychologique. « Malheureusement, ces patients n'accèdent pas toujours à l'aide dont ils ont besoin, car même dans les équipes les mieux structurées (IGR et Institut Curie notamment), nous sommes loin d'avoir 20 % des patients aidés. À Curie, notre unité prend en charge en moyenne 6 % des patients suivis dans l'ensemble des services », souligne le Dr Dolbeault. Des chiffres corroborés par les résultats de l'enquête Epac (Ensemble parlons autrement du cancer) réalisée en 2000. Celle-ci montre en effet que seulement 7 % des patients atteints de cancer ont eu un entretien avec un « psy » dans le centre où ils sont suivis, alors que 60 % d'entre eux présentent un besoin de nature psychologique. Elle montre également que parmi ceux qui formulent clairement leur demande (18 %), seul 1 sur 2 obtient satisfaction. « Aujourd'hui, malgré les efforts réalisés, la demande (bien que sous-exprimée) reste très supérieure à l'offre de soins », constatent les spécialistes. Toujours selon cette enquête, 25 % des services ne disposent d'aucun psychologue ou psychiatre et nombreux sont ceux qui doivent composer avec des vacations à temps partiel, ne permettant pas aux « psys » de satisfaire tous les besoins ni de s'impliquer véritablement dans une démarche de soins globale et continue.

BESOIN D'AIDE : LES MOMENTS-CLÉS

Si le besoin d'être soutenu psychologiquement peut survenir tout au long du parcours de soins, il existe néanmoins des moments-clés où les soignants doivent redoubler de vigilance. Il s'agit précisément de l'annonce du diagnostic, de l'entrée dans la phase de traitement (chirurgie mutilante, angoisse liée aux effets secondaires des traitements) et plus tard, de l'annonce de la rechute, de l'arrêt des traitements spécifiques et de l'évolution palliative.

Annoncer la rechute. « Si la rechute engendre des bouleversements et des remaniements psychiques brutaux et douloureux, explique Alice Desmoulière, infirmière en radiothérapie, l'arrêt des traitements curatifs constitue pour nous une phase particulièrement critique dans le parcours d'accompagnement du patient. » De fait, la lueur d'espoir qui persiste lors de la rechute s'éteint définitivement avec l'arrêt des traitements et confronte violemment le patient à l'idée de sa mort.

Décrypter les questions du patient. « Certains nous demandent : "J'en ai pour combien de temps ?" "Quand est-ce que je vais mourir ?" et face à ces questions pour lesquelles il n'existe aucune réponse satisfaisante, il nous faut faire preuve d'une empathie positive, rapporte la jeune infirmière. Il ne s'agit en aucun cas de nier la vérité ou de se voiler la face, mais de toujours aider les malades à potentialiser les ressources qu'ils ont en eux, y compris jusqu'à la fin de leur vie. »

Cela suppose que les soignants sachent décrypter ce que les malades ont besoin d'entendre. Dans ce cas, la proximité, voire l'« intimité » de la relation soigné/soignant aident ce dernier à trouver la réponse adéquate, y compris parfois dans le « silence accompagnant ».

Comprendre les peurs du patient. « Certains patients sont paniqués à l'idée qu'on va les abandonner sous prétexte qu'ils n'ont plus de traitement, commente Ludivine Maillard, infirmière en service de chimiothérapie. D'autres sont angoissés par la peur de souffrir ou par la perspective que leurs enfants, leur conjoint, voire leur animal de compagnie se retrouvent seuls, sans personne pour prendre soin d'eux. Il faut pouvoir lire ces messages en filigrane et ne pas se focaliser sur ce que nous, nous pensons être l'essentiel pour le patient. »

Les soignants doivent donc acquérir une aptitude à recentrer leur écoute sur ce qui est important pour le patient et non pas sur ce qu'ils jugent eux-mêmes primordial ou secondaire. « Très souvent, ce que nous pourrions interpréter comme une angoisse légitime par rapport à la pénibilité du traitement ou de la situation n'est pas en phase avec le vécu réel du patient, poursuit Alice Desmoulière. Un problème de travail, un enfant malade, en difficulté scolaire, ou des troubles au sein du couple font aussi partie de leur quotidien. Nous ne devons pas oublier que les malades sont aussi des hommes et des femmes confrontés à des obligations professionnelles, des charges familiales et des relations de couple dont il ne faut pas faire abstraction. Les réaffirmer dans leur rôle socioprofessionnel et familial, c'est aussi un moyen de les aider à ne pas s'enfermer dans leur statut de malade. » Un point très important car ce statut peut dans certains cas mettre le patient en difficulté.

Annoncer la rémission. En effet, certains patients s'effondrent de façon décalée par rapport aux événements médicaux, alors que personne ne s'y attend. C'est en particulier le cas après l'annonce de la rémission car cette « bonne nouvelle » du point de vue du médecin les confronte à une dure réalité, celle de l'entrée en phase de surveillance loin de l'hôpital, des médecins, de l'équipe... « Nous rencontrons des patients littéralement paniqués à l'idée de se retrouver seuls, commente le Dr Dolbeault. Tout est terminé, mais leurs repères ne sont plus ceux d'avant. Si la confrontation au cancer provoque des changements personnels en termes d'image corporelle et d'estime de soi, elle peut aussi entraîner des changements plus globaux touchant au rôle du patient dans son couple, avec sa famille, dans son milieu professionnel. Il doit alors reconquérir la place qu'il occupait avant, ce qui pour certains représente un moment critique. »

C'est probablement ce qui explique que les principales revendications formulées par les malades aujourd'hui soient orientées vers le soutien, le couple et le moment de la réinsertion.

Prendre en charge « plus humainement ». « Globalement, explique Gulietta Hofmann, déléguée adjointe aux actions pour les malades à la LNCC, les patients sont unanimement satisfaits de la prise en charge sanitaire mais continuent à réclamer une prise en charge plus humaine et plus soucieuse de leur vécu quotidien. Ils ne veulent pas que la parenthèse de la maladie soit synonyme de mise à l'index. Ils ont besoin de recouvrer une normalité socioprofessionnelle en retrouvant leur place au travail, ou en ayant la possibilité de faire des projets. » C'est pourquoi la Ligue milite entre autres pour leur permettre d'accéder à des prêts bancaires. « Sur le plan humain, il faut encore améliorer la relation soignant/soigné, poursuit Gulietta Hofmann. Les malades aujourd'hui n'aspirent pas seulement à être correctement soignés. Ils veulent être entendus et soutenus pendant et après la maladie dans un continuum logique. Cette dimension de la vie après la maladie doit entrer dans la définition de la prise en charge globale des patients. »

L'AFFAIRE DE TOUS LES SOIGNANTS

Très directement impliqués dans le dispositif d'annonce, omniprésents tout au long du parcours de soins, les personnels soignants sont largement mis à contribution dans le suivi et l'accompagnement psychologique des patients. Le soutien émotionnel est un premier niveau d'intervention que les soignants sont capables d'appréhender d'emblée car ces notions (techniques d'écoute, empathie, clarification des concepts, accompagnement dans les décisions pour faire face à la maladie et ses répercussions) relèvent fondamentalement du rôle propre infirmier.

Le psy au cas par cas. « De fait, insiste le Dr Dolbeault, toute réaction émotionnelle, même intense, ne requiert pas systématiquement l'intervention du psychologue ou du psychiatre. La psycho-oncologie n'est pas le domaine réservé des spécialistes, mais une approche que nous devrions tous avoir, du brancardier au grand patron. Ainsi, une équipe opérationnelle, soudée, cohérente et capable de relever les problématiques, de légitimer certains problèmes, de donner des conseils, peut apporter le soutien psychologique nécessaire au franchissement d'une phase d'adaptation à la maladie particulièrement difficile. »

L'expert si nécessaire. Pour autant, chacun doit avoir conscience des limites de son savoir-faire, et accepter de se faire aider, voire de passer la main à l'expert, si nécessaire. Cela suppose qu'il y ait des référents « psys » susceptibles d'intervenir à la demande (25 % des services ne disposent d'aucune assistance psychologique spécifique) sur des cas complexes ou pour apporter un soutien consultatif aux équipes, en participant aux staffs ou aux transmissions infirmières.

« Discuter des cas, des problèmes que nous avons identifiés et de la manière dont nous y avons répondu en présence du "psy" nous permet d'analyser la situation plus efficacement et de ne pas nous perdre en conjectures stériles, expliquent Alice Desmoulière et Ludivine Maillard. Son avis nous aide en cas d'incertitude sur l'attitude à adopter. Il nous donne des pistes ou des fils conducteurs dans des situations complexes et nous conforte aussi parfois dans les réponses que nous avons apportées. »

En tout état de cause, si l'intervention systématique d'un psychologue ou d'un psychiatre n'est pas justifiée, sa présence et son expertise aident les infirmiers à structurer leur démarche et à repérer les troubles psychologiques. Ce qui contribue à améliorer la prise en charge globale des patients tout au long du parcours de soins.

SOIGNANTS ET SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE

Des soignants vulnérables. Cette transmission de savoir-faire, qu'elle soit réalisée sur le terrain ou par le biais de la formation continue, est doublement nécessaire ; d'une part, pour aider les soignants à répondre efficacement aux besoins des patients, et d'autre part, pour les rendre moins vulnérables et les armer contre la charge émotionnelle et le risque de burn out induits par la « violence » de cette relation. Présents tout au long de la prise en charge (ils sont de tous les soignants ceux qui passent le plus de temps au chevet des malades), « les infirmiers souffrent souvent de cette relation marquée par un manque de disponibilité, à cause de la charge et de la pénibilité du travail, et faute de savoir trouver les mots justes ou la réaction adaptée aux attentes des patients, indique l'enquête Epac 2000. À l'hôpital, 90 % d'entre eux éprouvent, à un moment donné, le besoin d'être aidés personnellement par un psychologue ou un psychiatre, mais seulement 1 sur 2 bénéficie réellement d'un soutien psychologique ».

Un besoin de soutien psychologique. Du fait de leur position charnière et de leur présence constante auprès des patients, les soignants sont à la fois acteurs du soutien psychologique et demandeurs d'aide. Reconnaître la nécessité de prendre en charge la dimension psychologique de cette maladie, c'est non seulement reconnaître la souffrance psychique des patients, mais aussi reconnaître au personnel soignant le droit d'exprimer ses doutes et son mal-être face à la gestion de certaines situations, et face à l'incapacité douloureuse d'apporter toujours la bonne réponse au bon moment.

La sollicitation insistante de patients anxieux ou de leurs proches peut en effet déborder un soignant, un médecin, voire une équipe déjà mise à mal par l'incertitude du pronostic vital. D'où l'intérêt de disposer de « psys » vers lesquels les soignants peuvent orienter les patients, et se tourner eux-mêmes pour trouver un soutien en cas de difficulté.

Des « psys » polyvalents. En cancérologie, les psychologues et les psychiatres sont polyvalents. Au-delà du travail qu'ils effectuent avec les patients, ils forment et accompagnent les équipes à cette résonance psychologique. « Les équipes qui ont fait l'expérience de la présence des "psys" dans les services de cancérologie décrivent toutes une amélioration des soins qui résulte du mieux-être des patients et des soignants », indique le bilan du Plan cancer 2003-2006. « Nous en observons tous les jours les bénéfices, confirment les infirmières de l'Institut Curie. Toutefois, il faut reconnaître que nous sommes privilégiées, car en plus de l'équipe dédiée à la prise en charge psychologique des patients, un poste de psychologue clinicienne a été spécialement créé pour le soutien et l'accompagnement des personnels soignants. » Cela dit, la présence des « psys » relève d'un ensemble englobant le dispositif d'annonce, la consultation infirmière et le suivi rapproché des patients à tous les temps du parcours de soins. Dans la mesure où ils peuvent apporter les réponses appropriées aux besoins des patients, les soignants redoutent moins les situations de crise. Ils sont donc plus sereins et plus disponibles, ce qui leur permet d'établir d'emblée une relation de confiance qui rassure les malades et leur donne la capacité de prendre activement part à leur plan personnalisé de soins.

Un déni à tolérer. Parmi les difficultés qu'ils rencontrent, la confrontation au déni revient de façon récurrente. Comment aider des patients qui refusent d'admettre qu'ils sont malades ? « Le déni fait partie d'un ensemble de réactions d'adaptation psychologique, souvent transitoires, que l'on observe chez des patients atteints de cancer », expliquent les spécialistes. Le plus souvent, il s'agit d'une stratégie efficace qui facilite le processus d'adaptation en permettant à la personne de prendre une distance temporaire. Ainsi, elle préserve ses forces pour mieux les mobiliser lorsqu'il lui faudra affronter les différents changements associés à la maladie.

« Lorsque le déni n'interfère pas avec les traitements ou le processus de guérison, il est rarement nécessaire d'intervenir, et nous jouons le jeu tel que le patient a décidé de le jouer, indiquent les infirmières. De même, lorsque la famille refuse d'appréhender le pire alors que le patient se trouve en phase terminale, nous nous devons de respecter ce choix et de faire bonne figure. Cependant, il arrive parfois que nous parvenions à faire entendre au patient et à sa famille que vouloir préserver l'autre en pleurant chacun de son côté n'est pas forcément la bonne solution, et qu'ils ont peut-être quelque chose d'essentiel à partager avant qu'il ne soit trop tard. »

Un apport des ex-malades. Autant dire qu'il faut aux soignants une sensibilité particulièrement affûtée pour être en mesure d'ajuster la prise en charge au cas par cas. Conscients de leurs limites et de la complémentarité des différents intervenants, ils peuvent apporter aux patients une réponse adéquate à leurs besoins. Au-delà des psychologues, les anciens malades bénévoles jouent aussi un rôle très important. « Les soignants sont très proches des malades, mais ils restent des soignants qui, dans leur grande majorité, n'ont pas été confrontés personnellement à la maladie », explique Anne-Marie Lauridant, coordinatrice régionale de l'association Vivre comme avant.(5) « Pour avoir moi-même vécu cette expérience du cancer et bénéficié du soutien d'une ancienne malade bénévole, je peux dire qu'après cette rencontre on sait un peu mieux où l'on va. On est aussi plus attentif et perméable à ce que nous disent les soignants », souligne-t-elle.

La relation soignant/soigné change au contact des bénévoles. Elle s'enrichit, s'approfondit. Les patients parlent davantage avec les soignants et surtout, s'investissent beaucoup plus dans leur parcours de soins. « La présence des bénévoles au sein d'une équipe est un "plus", conclut le Dr Dolbeault. Ils font partie intégrante du dispositif d'accompagnement, et nous apportent, par leur vécu et la perception très juste de ce que vivent les malades, un éclairage utile quant aux besoins des patients et aux moyens à mettre en oeuvre pour parfaire leur prise en charge. »

1- Source : Dr Daniel Serin, oncologue et coordinateur du groupe d'experts chargé du programme Epac. Celui-ci a été mis en place en 1999 pour améliorer la prise en charge globale des patients, à l'initiative du laboratoire Aventis, de la Société française de psycho-oncologie et de la Ligue nationale contre le cancer.

2- Source : Rapport de synthèse de la Mission d'étude 1994-1995, Nicole Alby.

3- Le plan quinquennal 2000 prévoyait d'allouer 1,5 million d'euros par an à la psycho-oncologie, c'est-à-dire 15 000 euros par département, ce qui représente un mi-temps de psychologue en début de carrière. Le Plan cancer 2003 a permis des enveloppes financières un peu plus importantes (3,1 millions d'euros en 2004 et 2,2 millions en 2005). En 2004 et 2005, 128 postes de psycho-oncologues ont été créés dans les établissements publics et participant au service public. Source : bilan du Plan cancer 2003-2006.

https ://http://www.e-cancer.fr/Les-Actions/Bilan-region-par-region/op_1-it_547-la_1-ve_1.html.

4- Source : Josette Olier, « Psychisme et cancer, un événement majeur », Santé Mentale n° 17, avril 1997.

5- Association de soutien moral, d'écoute et d'espoir pour les opérées d'un cancer du sein. Contact : 01 53 55 25 26 (Centre d'information national).

Pour en savoir plus

- Vivre avec et après un cancer et Vivre auprès d'une personne atteinte de cancer, standards options recommandations (SOR) de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, 2006.

- Revue francophone de psycho-oncologie : publication en langue française destinée à tous les soignants en cancérologie et recherchant des contributions infirmières. Mél : editions@springer-paris.fr

L'infirmière et le dispositif d'annonce

Le dispositif d'annonce est une mesure du Plan cancer qui doit permettre au malade de bénéficier d'une prise en charge dès l'annonce et tout au long de sa maladie. Il concerne autant le diagnostic initial d'un cancer confirmé histologiquement que l'annonce de la rechute de la maladie. Il doit permettre l'information, le soutien et l'accompagnement du patient et de ses proches et s'appuie sur une prise en charge pluridisciplinaire. Ce dispositif doit faciliter l'implication du patient dans la décision thérapeutique et lui permettre, tout au long de sa prise en charge, de situer l'ensemble des ressources mises à sa disposition. « Il comprend deux temps médicaux consacrés à l'annonce de la maladie et à la présentation du plan personnalisé de soins établis par l'équipe médicale, explique Bernadette Smutek. Les patients qui le souhaitent peuvent ensuite bénéficier d'un temps d'accompagnement paramédical. » Des recommandations nationales pour la mise en oeuvre du dispositif ont été adressées à tous les établissements de santé traitant des patients atteints de cancer.(1) Elles prévoient la création d'un poste d'infirmière référente à mi-temps pour prendre en charge la consultation paramédicale. « Cette consultation, poursuit l'infirmière, permet de reformuler tranquillement et simplement tout ce qui a été dit par les médecins. Elle offre au patient la possibilité d'exprimer librement ce qu'il ressent. Au-delà des réponses qu'ils apportent, les infirmiers peuvent repérer les besoins psychologiques et sociaux et, si nécessaire, orienter le patient vers un psychologue ou une assistante sociale. » Il est également prévu que l'infirmière référente entretienne un contact téléphonique ou électronique hebdomadaire (en général en fin de semaine car le week-end constitue pour certains une période difficile) et entre les cures de chimiothérapie. Idéalement, une ligne téléphonique et une adresse Internet doivent être mises à disposition des patients pour leur permettre de joindre l'infirmière.

1- Recommandations disponibles sur le site Internet de l'Institut national du cancer (Inca) : http://www.e-cancer.fr.

Le choix des thérapies

Ces différentes techniques peuvent être utilisées séparément ou en association :

> La thérapie individuelle : les interventions psycho-thérapeutiques individuelles permettent de se centrer sur la maladie et ses implications tout en explorant des éléments du passé et du présent qui pourraient affecter l'adaptation du patient à la maladie(1). L'objectif est d'améliorer le moral, l'estime de soi, les stratégies de gestion du stress, tout en diminuant la détresse émotionnelle. Cette interaction a comme effet d'accroître la perception de contrôle du patient dans sa lutte contre la maladie et l'aide à trouver de meilleures solutions aux problèmes associés.

> La thérapie de groupe : plusieurs études(2) montrent que la qualité de vie des patients s'améliore suite aux interventions de groupe. Le canevas de ces groupes composés de préférence de patients atteints du même type de cancer, favorise une démarche psycho-éducative incluant des stratégies de gestion et de support émotionnel et social. La thérapie de groupe est généralement brève (moins de 12 rencontres). Elle cherche à atteindre des objectifs plus profonds de soutien à l'adaptation existentielle, à la recherche de sens, à la confrontation active à la mort et surtout à l'utilisation maximale de son espérance et de sa qualité de vie résiduelle (Goodwin, 2001).

> La thérapie cognitive-comportementale (TCC) : Elle a pour cible principale les patients souffrant d'un syndrome spécifique associé au diagnostic de cancer (dépression, troubles d'adaptation avec humeur anxiodépressive, insomnie, etc.)

Elle postule que l'adaptation au cancer est déterminée en grande partie par la façon dont la personne perçoit sa maladie (Jacobsen, 1998). Elle vise à corriger les distorsions du patient, les craintes exagérées de récidive. Elle aide le patient à se déculpabiliser et à hiérarchiser ses priorités.

> La thérapie analytique : elle exige un travail personnel important et parfois long qui n'est pas toujours possible dans un contexte d'urgence.

> La relaxation réduit l'activation physiologique et induit des sentiments subjectifs ayant un effet relaxant. Elle est efficace dans la gestion du stress pour diminuer la douleur.

(1) B.M. Sourkes, M.J. Massie, J.C. Holland (1998) : « Psychotherapeutic Issues », Revue francophone de psycho-oncologie, Vol. 1, num. 1-2. Novembre 2002.

(2) Études Berglund en 1994, Fawzy la même année et Speigel en 1981.

Formations en psycho-oncologie

- DU de psycho-oncologie clinique, dirigé par le Pr Silla Consoli (HEGP). Ce DU est multiprofessionnel et s'adresse aux infirmiers, psychologues, psychiatres, médecins, assistantes sociales et secrétaires médicales. Il offre des repères cliniques pour comprendre les situations rencontrées en pratique médicale oncologique.

- L'Éfec (École de formation européenne en cancérologie) propose une formation d'initiation à la psycho-oncologie pour les infirmières intitulée « Soins de support en oncologie » et une formation multiprofessionnelle « Pratiques en psycho-oncologie ». http://www.fnclcc.fr/fr/institutionnel/formations/efec_recherche.php Rens. : Emma Salibu Tél. : 01 44 23 04 76 Fax : 01 45 84 66 82