Les balises de la dialyse - L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006

 

apprentissage

Enquête

Pas si simple d'utiliser un rein artificiel... y compris pour les infirmières, qui ont besoin d'un enseignement technique plus poussé que dans les Ifsi. Il y a dix ans, les premières formations spécifiques se mettaient en place.

«Àl'époque, c'était un besoin. Aujourd'hui, c'est une nécessité. » En 1995, Anne-Marie Girard, ancienne cadre infirmière, se lançait dans l'enseignement des techniques de dialyse. Aujourd'hui, la « Formation infirmière dyalise » (FID), créée à partir des ressources de l'Association pour l'utilisation du rein artificiel à Paris (Aura), reçoit 200 élèves par an.

Complexité

Grâce à l'apparition du rein artificiel dans les années 60, 30 000 insuffisants rénaux sont aujourd'hui traités dans l'Hexagone. À leur chevet, plus de 7 000 infirmiers. L'évolution des technologies, la longévité des patients dialysés, la progression du nombre de nouveaux insuffisants rénaux chez les sujets âgés, sans oublier l'accroissement des pathologies secondaires, ont développé la complexité des soins infirmiers. Face à l'augmentation de la demande, inhérente à la mise en oeuvre de techniques très spécifiques, la formation continue est un véritable atout.

Certes, les études d'infirmières sont reconnues comme polyvalentes, mais la dialyse est insuffisamment enseignée au sein des Ifsi. Les infirmières arrivent dans les services de dialyse bien souvent sans aucune pratique préalable. Quant à la formation assurée sur le lieu de travail et aux contraintes budgétaires, elles ne garantissent pas la qualité de la formation. Ce qui est contraire à une démarche qualité telle que définie par l'Anaes en 1991. Il est donc impératif que les infirmières désirant exercer dans un service d'hémodialyse bénéficient d'une formation supplémentaire après l'obtention du diplôme d'État, avant d'intégrer des services de haute technicité. Cette formation complémentaire est même obligatoire dans certains pays de l'UE. Par ailleurs, l'accroissement des responsabilités, envisagé dans le rapport Berland, devrait rendre encore plus nécessaire l'acquisition de connaissances approfondies dans cette spécialité.

Bien-fondé du concept

Pour Anne-Marie Girard, tout débute en 1993, lors de son passage à l'école des cadres. Elle réfléchit à la création d'un enseignement externalisé afin d'optimiser aussi bien la formation théorique que pratique et favoriser l'adaptation des infirmiers à la prise en charge des patients dialysés. « Sur le marché, ce dernier volet n'était pas proposé. Or manipuler le matériel en dehors de la présence des patients permet aux infirmiers d'apprendre plus sereinement la technique », relève Anne-Marie Girard.

Elle formalise alors son projet. Puis, elle réalise une enquête auprès des cadres des centres de dialyses sur l'ensemble du territoire, qui confirme le bien-fondé du concept. Le projet est aussitôt accepté par l'Aura.

En collaboration avec un néphrologue de l'association, Anne-Marie rédige, à l'intention des infirmiers récemment intégrés dans une structure de dialyse, le contenu du module de base fondé sur un enseignement théorique et pratique. Deux moniteurs d'hémodialyse sont mis à sa disposition par l'industrie pharmaceutique, partenaire de cette expérience. Une phase qui lui permet de développer un sens commercial certain et utile pour valoriser la structure. « Le 15 septembre 1995, précise Anne-Marie, je teste seule ce module pendant 3 mois auprès d'infirmières de l'Aura nouvellement embauchées. En décembre, je sais que le module fonctionne et je décide de le proposer en externe. Après, tout s'est passé très vite. »

Un besoin latent

« Le succès est venu progressivement, se souvient Anne-Marie. Un besoin latent existait. La FID a été un catalyseur de la prise de conscience. Pour se faire connaître, cet organisme a été présent sur les sites de nombreuses manifestations professionnelles et a fait l'objet de publications dans la presse spécialisée. La plupart des soignants sont maintenant convaincus que la qualité des soins passe par une formation formalisée et évaluée. »

Progressivement, le succès aidant, elle acquiert une autonomie de gestion organisationnelle et financière. Tout en étant salariée, elle dispose de son propre budget. « Mais surmonter les difficultés de la gestion financière n'a pas été une tâche aisée », admet Anne-Marie.

Partenariat

Pour bâtir son projet, elle a su s'entourer d'une équipe constituée d'experts du monde de la dialyse : « chacun transmet ses compétences dans sa spécialité ». Parmi les participants, outre le personnel permanent, on retrouve des professionnels de l'Aura, une diététicienne, un psychologue, des pharmaciens, des hygiénistes, mais aussi des intervenants extérieurs, une juriste pour les questions relatives au cadre réglementaire, et enfin des représentants de l'industrie pharmaceutique. « Ce projet a été mené grâce à l'adhésion d'une équipe, souligne Anne-Marie, selon un partenariat basé sur les compétences et la confiance. Sans eux, je n'y serais jamais arrivée. »

Le défi a été d'envisager des formations pour toutes les alternatives au traitement de l'insuffisance rénale terminale, afin que les infirmières puissent être le plus rapidement opérationnelles. Les modules « initiation à l'insuffisance rénale chronique », « formation de base à la dialyse péritonéale » et « formation théorique et pratique à l'hémodialyse » sont destinés aux infirmiers ne possédant aucune connaissance de base des techniques de dialyse. Des ateliers sont mis à leur disposition où ils peuvent effectuer ces gestes très spécifiques sur des moniteurs d'hémodialyse sans la présence de patients.

Les autres thématiques proposées portent sur l'actualisation des connaissances théoriques et pratiques à l'hémodialyse, l'épuration extra-rénale en insuffisance rénale aiguë destinée aux infirmières de réanimation ou encore la professionnalisation de la fonction aide- soignante en hémodialyse. Et pour finir, la petite dernière : « hygiène en hémodialyse et gestion des risques ». Des formations externes sont également assurées. « Quelle excellente surprise de répondre à des demandes de formation au Maroc ou d'être sollicitée par des homologues des DOM-TOM, s'amuse Anne-Marie. Leur éloignement rendant difficile l'accès à ce type de prestation, les équipes tirent de nous le maximum durant notre séjour. Tout en nous réservant un accueil extrêmement chaleureux, elles sont particulièrement réceptives à l'enseignement et très motivées. »

« Robotisation »

Au cours des formations, l'accent est également mis sur la relation avec le malade. « La dialyse, reprend Anne-Marie, impose au patient des soins trois fois par semaine. C'est un traitement palliatif qui ne le guérit pas. Pour le soignant, l'écueil est dans la répétition des gestes techniques presque toujours identiques. Il faut éviter la robotisation, rester vigilant et surtout être à l'écoute du patient. » Le rapport humain est un ciment qui ne doit pas être occulté.

Pour Anne-Marie, la formation ne s'arrête pas à l'aspect technique de la dialyse. Elle veut transmettre sa passion du métier et motiver les jeunes équipes soignantes. Récemment diplômées, les infirmières sont très désireuses d'entreprendre mais elles n'osent pas, bien souvent, formuler leurs idées. « La réussite de leur projet repose sur leur seule détermination, poursuit Anne-Marie. L'infirmière doit sortir de la salle de dialyse, et participer à des groupes de réflexion porteurs de renouveau. » Son expérience est en effet diversifiée : en tant que cadre de santé dans les unités de dialyse, elle intervient dans les modules optionnels de certains Ifsi. Elle est aussi membre de la cellule « qualité et gestion des risques » dans son établissement et membre expert à la sous-commission n°9 de matériovigilance à l'Afssaps. Elle participe à des travaux de recherche sur l'évolution des dispositifs médicaux avec l'industrie pharmaceutique. Enfin, elle a été sollicitée par la Société française d'hygiène hospitalière pour participer à l'élaboration du référentiel de recommandations sur les bonnes pratiques d'hygiène en hémodialyse. « Ces activités me permettent d'actualiser le contenu des formations », précise-t-elle.

Les formations proposées ont un intérêt économique certain. Une enquête de 2002 menée auprès de 43 cadres infirmiers et néphrologues a démontré que le délai d'intégration effectif dans l'équipe a été évalué dans 68 % des cas à 1 mois après avoir suivi une formation théorique et pratique de base à l'hémodialyse, contre 3 mois sans cet enseignement. Une autre étude menée sur les infirmières porte ce chiffre à 55 %. Le coût moyen brut d'intégration d'une IDE ayant 5 ans d'ancienneté sans formation est supérieur de 2 856,63 euros au coût d'une même infirmière ayant suivi la formation FID. Selon l'enquête, l'évaluation de la qualité de l'intégration a été notée « très bien » par 40 % des IDE en poste, 60 % des patients, 40 % des médecins et 60 % des cadres infirmiers. 40 % des infirmiers consultés pensent que la manipulation technique constitue le point fort de la formation, 15 % placent en premier la mise à jour des connaissances.

Groupes de dix

Les formations sont organisées par groupes de dix et sont personnalisées. Ainsi, l'enseignement est adapté non seulement à leurs attentes mais aussi à leur profil. Suite à une demande personnelle, Séverine Rust, infirmière de dialyse depuis deux ans à la clinique Bethesda à Strasbourg, a suivi une des formations FID : « l'enseignement reçu m'a offert de vrais atouts et m'a amenée à modifier mes habitudes professionnelles. » Même impression pour Corinne Hecht, qui exerçe depuis 2004 dans l'unité de néphrologie du CHU St-Jacques, à Toulouse : « La formation de perfectionnement que j'ai suivie au sein de l'Aura m'a permis de réfléchir sur mes actions menées quotidiennement. »

Formation accréditée

Pour exister, un centre de formation doit recevoir un agrément ministériel indispensable pour son exercice, reconduit chaque année selon les résultats des enquêtes de satisfaction et des audits sur site. Ainsi, la FID doit présenter tous les ans un bilan pédagogique et financier. Pour cela, Anne-Marie a du suivre une formation spécifique.

En 2005, le rapport de l'accréditation de l'Aura a mis en valeur le côté innovant de la structure du centre de formation. Aujourd'hui, Anne-Marie se tourne vers la certification, qui garantit la qualité des méthodes employées.

formations

L'EMBARRAS DU CHOIX

D'autres formations spécifiques sont à ce jour proposées en France. L'AFIDTN, Association française des infirmiers de dialyse, transplantation et néphrologie, offre non seulement des sessions de formation nationale d'étude et de perfectionnement des infirmières de dialyse, mais aussi des enseignements régionaux. D'une part des formations postbasiques, avec « dialyse transplantation et néphrologie », et « abords vasculaires », d'autre part des sessions à thème portant notamment sur la dialyse péritonéale, la transplantation, la responsabilité et la pratique infirmière, le diabète et l'insuffisance rénale. Le Depulp de l'université de Strasbourg présente lui aussi ce type de prestation mais est uniquement orienté vers la dialyse péritonéale. L'université de Technologie de Compiègne, elle, met l'accent sur les aspects environnants, avec sa formation sur « l'épuration extrarénale-dialyse ». Quant à l'association lyonnaise Cefidex, elle a choisi d'actualiser les connaissances des infirmiers libéraux dans les techniques de soins de la dialyse à domicile. Enfin, la formation « l'infirmière et l'hémodialyse » de la société Action santé, permet à un public débutant ou confirmé d'acquérir les techniques de la dialyse en situation aiguë ou chronique.